Covid-19 : comment le vaccin d’AstraZeneca est devenu une piqûre de seconde zone

mercredi 24 février 2021.
 

Par Rozenn Le Saint

À partir du 25 février, les médecins généralistes pourront administrer des vaccins anti-Covid-19 aux personnes âgées de 50 à 64 ans : ceux d’AstraZeneca. Seront d’abord prioritaires celles qui présentent le plus de risques de développer une forme grave de Covid-19. Puis, « dans le courant du mois de mars, nous rendrons le vaccin d’AstraZeneca accessible directement en pharmacie pour tous les Français entre 50 et 64 ans », a annoncé Olivier Véran jeudi 18 février.

Un vaccin qui se conserve dans un simple réfrigérateur, aussi facile d’accès que celui contre la grippe… De quoi marquer un tournant dans la campagne de vaccination. Mais ce produit hier tant désiré pour son faible prix, ses facilités de conservation, et donc de distribution de masse, est aujourd’hui devenu le vaccin par défaut. Celui que l’on inocule faute de doses suffisantes de vaccins plus performants.

« Ce n’est pas un vaccin de seconde zone », a dû défendre Alain Fischer, le « Monsieur vaccin » du gouvernement, le 18 février, sur Europe 1. Avant cela déjà, Olivier Véran, ministre de la santé, a tenté d’en assurer le service après-vente en médiatisant sa propre vaccination avec ce sérum.

Le 8 février, le ministre de la santé Olivier Véran a reçu une injection du vaccin AstraZeneca. © Thomas Samson - AFP Le 8 février, le ministre de la santé Olivier Véran a reçu une injection du vaccin AstraZeneca. © Thomas Samson - AFP

Il est pourtant moins performant que les deux premiers autorisés en Europe, ceux de Pfizer-BioNTech et de Moderna. D’ailleurs, une fois que ces deux vaccins à ARN messager ont fait leurs preuves, la Commission européenne a conclu un deuxième contrat afin d’acheter à chaque fois 300 millions de doses en plus des pré-commandes initiales.

Mais encore faut-il que les capacités de production suivent. Les trois fabricants de vaccins vendus en Europe ont tous imposé des délais de livraison. Un bras de fer particulièrement tendu s’est engagé entre la Commission européenne et AstraZeneca en janvier, lorsqu’un important retard a été annoncé.

C’est pourtant la firme qui a promis le plus de doses dès 2021, et de loin. Le laboratoire partenaire de l’université d’Oxford, qui, elle, n’a aucune expérience dans la production de masse, mise sur la fabrication de 3 milliards de doses en tout dans l’année.

Pour les vaccins de Pfizer-BioNTech et Moderna, c’est clair : les essais cliniques montrent des taux d’efficacité de 95 % et 94 %, respectivement. Pour celui d’AstraZeneca, cela dépend des doses injectées, de la durée écoulée entre les deux piqûres et des zones géographiques de tests prises en compte. Les taux sont alors compris entre 62 % et 70 %. Les essais cliniques ont eu lieu en Grande-Bretagne et au Brésil, avant que la présence de variants n’y soit détectée.

Or depuis, une nouvelle étude réalisée sur quelque 2 000 personnes par l’université du Witwatersrand à Johannesburg a été diffusée en « preprint », c’est-à-dire pas encore revue par des pairs. Elle donne de premières indications inquiétantes sur l’efficacité du vaccin d’AstraZeneca en Afrique du Sud, où circule fortement le variant tant redouté : 22 % seulement.

Très loin du plancher de 50 % préconisé initialement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ses concurrents communiquent sur une efficacité a priori moindre face au variant sud-africain, mais pas à ce point. Néanmoins, pour eux aussi, les publications scientifiques à ce sujet font encore défaut.

Une étude sur la neutralisation du variant sud-africain par le vaccin de Pfizer-BioNTech a été publiée dans la revue scientifique New England Journal of Medicine le 17 février. L’expérimentation en laboratoire a consisté à tester un virus génétiquement modifié contenant les mêmes mutations que le variant sud-africain sur des échantillons de sang. Les chercheurs ont observé une réduction des deux tiers du niveau d’anticorps neutralisants par rapport à la version classique du virus, mais « cela n’a pas nécessairement d’impact sur la protection », explique Jean-Daniel Lelièvre, chef du service d’immunologie clinique et maladies infectieuses au CHU Henri-Mondor de Créteil.

L’Afrique du Sud a d’ores et déjà suspendu l’utilisation du vaccin d’AstraZeneca le 7 février. Puis Pretoria a même annoncé vouloir restituer le million de doses de vaccin reçues, dont la date de péremption affiche avril 2021, selon The Economic Times.

Pour autant, le 11 février, l’OMS a néanmoins recommandé l’utilisation de ce vaccin « même si des variants du virus sont présents dans le pays ». Et pour cause, AstraZeneca représente un des principaux espoirs d’accès à la vaccination des pays les moins riches : la disponibilité, le prix et les conditions de conservation très contraignantes des produits de Pfizer-BioNTech et Moderna les privent largement de ces produits de luxe.

L’OMS a rappelé qu’aucun résultat n’était disponible quant à l’efficacité du vaccin d’AstraZeneca contre les formes graves de Covid-19 face à ce variant d’Afrique du Sud : l’étude de l’université du Witwatersrand a été majoritairement menée sur des sujets jeunes avec peu de facteurs de risque de développer des signes graves de la maladie.

Pour Antoine Flahault, épidémiologiste et professeur de santé publique à la faculté de médecine de Genève, « l’efficacité sur les formes graves, c’est le plus important. Le suivi de la vaccination massive en Grande-Bretagne avec le sérum d’AstraZeneca apportera davantage de données et pourrait confirmer que peu de personnes vaccinées ont été hospitalisées pour cause de Covid-19 », augure-t-il. D’autant que l’efficacité du vaccin britanno-suédois sur le variant anglais, elle, n’est pas remise en cause.

Le variant repéré outre-Manche ne défie pas la campagne de vaccination enclenchée en Europe. C’est pour cette raison qu’il ne fait plus autant peur qu’à la veille de Noël, tant l’incertitude régnait. L’inquiétude se concentre à présent sur les variants sud-africain et brésilien. Leurs mutations semblent aussi favoriser la réinfection par le Covid-19 de personnes déjà atteintes par le passé.

Pour l’heure, ces variants sud-africain et brésilien sont seulement responsables d’environ 5 % des contaminations en France, contre 36 % pour le variant britannique, selon les estimations données par Olivier Véran à l’occasion du point épidémiologique du 18 février. Vont-ils finir par prendre l’ascendant ?

« Dans les régions où les variants anglais et sud-africain cohabitent, le premier reste majoritaire et cela n’est pas dit que le deuxième prenne le dessus, tempère l’immunologue Jean-Daniel Lelièvre. Comme les variants sud-africain et brésilien ne sont pas les variants qui circulent le plus en France, il reste un vrai intérêt à vacciner avec de l’AstraZeneca. »

En revanche, « la question se pose davantage dans les régions où les variants sud-africain et brésilien sont plus importants. D’autant que si on vaccinait uniquement avec le sérum d’AstraZeneca, qui ne fonctionnerait que sur le Covid-19 tel qu’on le connaissait jusqu’à présent et son variant anglais, cela donnerait un avantage au variant sud-africain, qui se développerait davantage », prévient Jean-Daniel Lelièvre.

Interrogé par Mediapart sur l’adaptation de la stratégie vaccinale, le ministère de la santé répond que « pour les territoires de Mayotte, La Réunion et la Moselle, qui sont confrontés à une circulation importante du variant sud-africain, nous avons fait le choix d’augmenter le volume de livraison en vaccin Pfizer-BioNTech. En effet, il existe un doute concernant l’efficacité du vaccin d’AstraZeneca contre le variant sud-africain », admet le ministère.

« Globalement, mieux vaut privilégier les vaccins qui donnent la meilleure protection, en l’occurrence, pour l’heure, ceux à ARN dans le cas du Covid-19. Même si on manque encore de données sur leurs effets sur la transmissibilité du virus, si un vaccin est efficace, la personne vaccinée élimine rapidement le virus et elle sera donc moins contagieuse. À l’inverse, si le vaccin est trop peu efficace, le virus va continuer de circuler », explique aussi Étienne Decroly, virologue spécialiste des virus émergents.

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