Vacances : un privilège dont ne profitent pas 46% des Français (10% de plus en 6 ans)

dimanche 12 août 2012.
 

1) La « fracture touristique » d’après le ministère du Tourisme

Les inégalités d’accès aux vacances se creusent, de plus en plus de Français se privent. Le ministère du Tourisme réagit.

« Le taux de départs en vacances des Français s’affaiblit d’année en année, accentuant une fracture touristique entre ceux qui ont les moyens de partir en vacances et ceux qui ne les ont pas », déplore Sylvia Pinel, ministre du Tourisme, lors d’une conférence de presse, le 11 juillet dernier. Et de préciser :« 46% des Français ne partent pas en vacances. »

Depuis trois ans, on note une baisse importante des départs en vacances  : 78% des Français étaient effectivement partis en 2009, 73% en 2010 et seulement 69% l’année dernière, selon une étude quantitative réalisée par l’Institut Opinionway en mars et avril 2012.

L’heure est aux sacrifices pour les Français  : selon la même étude, cette année, 48% des Français déclarent qu’ils se privent pour réduire le budget de leurs vacances, en changeant en priorité la destination, le standing, les dates et la durée de leurs séjours. Les inégalités d’accès aux vacances sont évidentes  : près d’un Français sur deux partira avec moins de 500 euros alors que 6% partiront avec plus de 1 500 euros, toujours selon l’enquête Opinionway.

Il faut dire qu’une semaine de location équivaut souvent à la moitié d’un Smic. On retrouve donc logiquement 71% des cadres supérieurs sur le chemin des vacances, contre 41% des ouvriers. Plus on monte dans l’échelle sociale, plus on a de chances de partir. Forte de ce constat, Sylvia Pinel entend prendre des mesures pour mettre en place un tourisme plus « social »  : elle a annoncé il y a peu le lancement d’une mission sur « l’accès aux vacances pour tous » qui devrait déboucher, d’ici fin 2012, sur un plan d’action quinquennal.

Dans un entretien accordé au journal le Parisien, le 28 juillet, la ministre donne quelques pistes : «  Il s’agit de mettre à plat l’organisation des différents organismes, État, collectivités territoriales, CAF ou associations, qui œuvrent à faciliter l’accès aux vacances. Il faut aussi réorganiser les dispositifs d’aide aux jeunes.  »

L. B.

2) Jean Viard : « Remettre en place une vraie politique de départs pour tous »

Sociologue, directeur de recherche au Cevipof (CNRS) et spécialiste des loisirs, Jean Viard analyse les vacances comme un rituel nécessaire mais qui peut vite devenir discriminant.

La ministre 
du Tourisme, Sylvia Pinel, s’inquiète de la « fracture touristique ». Partagez-vous 
ce constat  ?

Jean Viard. Oui, depuis une trentaine d’années, seuls 60 % des Français partent en vacances, et ce chiffre ne progresse pas. Le processus de démocratisation des départs est bloqué  : il s’est arrêté dans les quartiers populaires, en particulier pour les groupes de personnes qui ne correspondent pas aux standards, comme les femmes seules avec enfants, les personnes âgées, les immigrés… Il faudrait remettre en place une vraie politique de départs en vacances, en particulier pour ces groupes sensibles. En même temps, il faut nuancer  : les Français ont beaucoup modifié leur façon de vivre. Aujourd’hui, à peu près la moitié d’entre eux ont un jardin, et beaucoup ont migré vers les régions touristiques. Par exemple, quatre-vingt mille Français s’installent chaque année entre Perpignan et Nice, et partent ensuite très peu en vacances.

Quels sont les facteurs qui influencent l’augmentation du nombre d’exclus 
des vacances  ?

Jean Viard. Le problème est d’abord économique  : ce sont les groupes les plus fragiles au niveau financier qui sont concernés. Mais il y a aussi des barrières de « modèles ». L’imaginaire des vacances entre en compte. Ainsi, la majorité des enfants qui ne partent pas vivent seuls avec leur mère. Et ces femmes seules avec enfants ont du mal à s’inscrire dans cet imaginaire des vacances. Face à cela, il faudrait responsabiliser les différents niveaux administratifs  : le départ en vacances des écoliers devrait être pris en charge au niveau communal, celui des collégiens au niveau départemental, et celui des lycéens au niveau régional. Le but n’est pas que 100% des gens partent en vacances. Si on enlève 10% de personnes qui ont horreur de voyager, 10% qui ne peuvent pas partir (les femmes enceintes, les personnes gravement malades)… l’objectif serait d’atteindre 80% de départs.

Pourquoi est-il important de partir 
en vacances  ?

Jean Viard. Toutes les sociétés ont des moments rituels de changement de rythme. On pense par exemple au ramadan, ou à la fête des cerisiers au Japon. Cela traduit un besoin de marquer le passage du temps. Dans les sociétés européennes contemporaines, les vacances ont ce rôle. C’est la rupture avec le quotidien. Ensuite, on travaille à peu près 10% de notre existence, contre 40% il y a trois générations. Il faut que le travail soit très productif. Si vous ne voyagez pas, si vous ne voyez pas d’autres pays, d’autres cultures, vous devenez improductif. Dans notre société, on a réduit le travail, on a augmenté le temps libre, mais on a donné au temps libre la charge de régénérer. Enfin, dans une société basée sur la mobilité, ne pas partir met complètement en marge. Les personnes n’ayant jamais vu la mer sont perçues comme des handicapés sociaux.

1) Vacances : Ceux qui partent... ceux qui ne partent pas

Vacances. Si les Français sont de plus en plus nombreux à partir, au moins un tiers d’entre eux restent privés de ce droit. Et aucune amélioration n’est en vue.

À l’heure du retour médiatisé des aoûtiens, nombreux sont les Français qui ne peuvent toujours pas de nos jours s’offrir un départ en vacances. Au fil des générations, pourtant, la part de la population quittant son habitation durant ces périodes n’a cessé de croître. Si le taux de départ n’était que de 43 % en 1964, les chiffres donnés ces dernières années montrent ainsi une nette augmentation, bien que les résultats diffèrent selon les études, rendant difficile une évaluation solide. « On est considéré comme vacancier dès lors qu’on se déplace hors de son domicile pour, au minimum, trois nuits et quatre jours » explique le sociologue Jean-Didier Urbain, auteur de les Vacances (1) « Les routiers sont donc comptabilisés comme des vacanciers ! Et les chiffres sont biaisés. En vérité, en se basant sur des critères plus ancrés dans la réalité, on peut estimer que 65 % des Français sont réellement concernés par un départ. » Le nombre de séjours a par ailleurs grandi au cours des dernières décennies : les vacanciers partaient en moyenne 1,5 fois en 1968 contre 2,2 en 2004.

Disparités sociales et géographiques

Selon l’INSEE, les moins de vingt ans demeurent les plus nombreux à partir en vacances, avec un taux de départ de 72,4 % en 2004, bien que le nombre de jours passés en vacances soit proche de la moyenne (25,7 contre 26 pour l’ensemble des Français). Les retraités âgés de soixante-cinq ans et plus se sont pour leur part évadés environ 37 jours au cours de la même année. Un phénomène qui devrait s’accentuer dans le futur. Comme l’ensemble de la population, ces « papy boomers » ne favorisent pas automatiquement les mois estivaux : « Malgré les changements observés, les vacances sont toujours associées à juillet et août. Pour les Français pourtant, le fractionnement est désormais une habitude », rappelle Jean-Didier Urbain.

Pas pour tous les Français néanmoins. Environ 20 millions d’habitants restent ainsi chez eux. Parfois par choix : « Il y a encore une dizaine d’années, on estimait que ces "non-partants" étaient tous privés de vacances pour des raisons économiques ou professionnelles (par exemple les agriculteurs). En réalité, d’autres critères existent. Des causes « positives » apparaissent : chez les retraités notamment, certains ont envie d’enracinement et non de départ ; les personnes voyageant pour leur travail sont aussi enclines à rester chez elles. Cependant, la majeure partie, environ les deux tiers, ne part pas parce qu’elle n’en a pas les moyens financiers », affirme Jean-Didier Urbain.

Le fossé continue de se creuser

Les plus défavorisés sont évidemment les principaux touchés. Selon une étude de conseil en marketing Acxiom datée du mois dernier, 42 % des foyers privés de vacances ont en effet un revenu mensuel net inférieur à 1 200 euros. 50,3 % sont seuls, et 18,9 % n’ont aucun diplôme. 72,4 % d’entre eux ne partent même pas en week-end. « Il y a en plus une véritable disparité géographique, avec des poches régionales, voire locales, par exemple en Île-de-France. On part ainsi bien moins souvent quand on habite Saint-Denis que quand on réside à Neuilly », ajoute Jean-Didier Urbain.

Plus inquiétant encore, rien ne semble fait politiquement pour combattre cette fracture. Bien que la ministre de la Ville et du Logement, Christine Boutin, ait déclaré dernièrement se battre pour ne « pas enfermer les jeunes dans les quartiers » durant la période estivale, Jean-Didier Urbain parle pour sa part d’une absence totale de « véritable politique sociale » à ce sujet. Les 35 heures, dernière loi destinée à améliorer l’aménagement du temps libre, sont elles-mêmes montrées du doigt : « Il faut reconnaître que la RTT génère aussi de nouvelles inégalités, avançait un rapport de la CFDT sur « les vacances et le tourisme social », daté de 2005. Pour la grande majorité des salariés bénéficiaires de plus de temps libre, le faible niveau du pouvoir d’achat leur interdit un accès plus important aux vacances. ». En attendant donc d’éventuelles solutions, le fossé continue de se creuser. Un de plus.

(1) Éditions Le Cavalier bleu, 2002.

Antoine Aubert


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message