Fukushima : au Japon, une catastrophe sans fin

samedi 13 mars 2021.
 

Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, il faut toujours arroser les réacteurs de la centrale pour stabiliser leur température. La zone d’évacuation s’étend encore sur plus de 300 km2. Pour l’auteur et théoricien Sabu Kohso, c’est une « catastrophe éternisée » dont les effets nourrissent un « capitalisme apocalyptique ».

Cela tombe comme un rideau de fin de spectacle, ça veut claquer comme une fermeture de ban : mercredi 10 mars, à la veille du dixième anniversaire de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi au Japon, une instance onusienne affirme qu’aucun lien ne peut être établi entre la radioactivité rejetée par les réacteurs fracassés par le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 et les taux de cancer mesurés depuis parmi les habitant·e·s.

Dans son rapport de 248 pages, le comité scientifique de l’ONU sur les effets des radiations atomiques (Unscear) explique que la forte augmentation de cancers de la thyroïde constatée chez les enfants n’a pas été causée par l’exposition aux rayons ionisants. Mais n’est que la conséquence du suivi sanitaire très précis mis en place par les autorités après la catastrophe : on verrait aujourd’hui ce qu’on ne cherchait pas auparavant. Par ailleurs, aucune hausse de déformations congénitales, de fausses couches, ou de naissances prématurées n’a été mesurée.

Le pasteur Akira Sato, en tenue de protection, devant l’ancien bâtiment d’une église, à Tomioka, abandonnée après l’accident nucléaire de 2011. (Philip Fong/AFP) Le pasteur Akira Sato, en tenue de protection, devant l’ancien bâtiment d’une église, à Tomioka, abandonnée après l’accident nucléaire de 2011. (Philip Fong/AFP)

En février 2020, 237 cas de cancers de la thyroïde étaient recensés par la préfecture de Fukushima, indique le World Nuclear Status Report. Le comité de suivi sanitaire de la préfecture de Fukushima ne reconnaît pas à ce stade de lien de causalité entre les occurrences de ce cancer et l’accident nucléaire. Le dépistage systématique mis en place montre un taux élevé de nodules tumoraux de la thyroïde chez les enfants âgés de 18 ans ou moins au moment de l’accident, précise l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). La plupart des cas identifiés sont de petite taille et sans expression clinique – à la différence de ceux qui sont recensés en France dans les registres des cancers.

Pour Greenpeace Japon, il est bien trop tôt pour conclure que le catastrophe nucléaire n’a pas provoqué de cancers, car les effets des radiations peuvent apparaître après de longues années. L’ONG s’inquiète en particulier du retour des résident·e·s dans des zones partiellement ou mal décontaminées, qui pourraient subir des conséquences à long terme sur leur état de santé.

Qui croire ? Greenpeace est une organisation antinucléaire. L’Unscear est une instance d’arbitrage scientifique qui se distingue régulièrement par son déni des impacts sanitaires délétères des radiations, notamment au moment de l’accident de Tchernobyl, en 1986. Cet organe unique en son genre bénéficie de l’aura que lui confère l’adoption de ces rapports en assemblée générale à l’ONU. Pourtant, son « recrutement est fortement endogène, ses délibérations privées et ses avis sans appel », décrit Yves Lenoir dans son livre La Comédie atomique, une histoire critique des instances de contrôle des radiations (voir ici notre entretien vidéo en 2016).

Le bilan humain et sanitaire de Fukushima fait l’objet d’une bataille de chiffres depuis dix ans, alors que l’estimation du nombre de personnes tuées par le tsunami de mars 2011 semble incontestée, autour de 20 000 morts. L’histoire de la plus grave catastrophe du début du XXIe siècle est loin d’être écrite.

Dix ans après, l’accident de Fukushima continue. Il n’a jamais cessé en réalité : de l’eau doit encore être injectée en permanence sur trois des réacteurs de la centrale nucléaire
 pour stabiliser leur température – ainsi que de l’azote, pour éviter une explosion d’hydrogène. Cet arrosage permanent génère 150 mètres cubes d’eau contaminée chaque jour – soit l’équivalent d’une piscine olympique toutes les trois semaines. Tepco, l’exploitant de l’installation, se donne encore dix ans pour récupérer tous les combustibles usés entreposés dans les piscines des six réacteurs – qui elles aussi doivent être constamment refroidies.

Les eaux souterraines en périphérie de la centrale sont pompées et déversées dans la mer, pour éviter qu’elles n’entrent en contact avec la radioactivité dans les bâtiments. Le sol est congelé en permanence sur une profondeur de 30 mètres pour former un « mur imperméable » et empêcher les radioéléments de se propager en dehors de la centrale.

Evolution du débit de dose dans l’air (1m du sol) autour de la centrale de Fukushima Daiichi, entre le 29/04/11 et le 21/01/20 (©IRSN) Evolution du débit de dose dans l’air (1m du sol) autour de la centrale de Fukushima Daiichi, entre le 29/04/11 et le 21/01/20 (©IRSN)

Après dix ans de ce traitement intensif, le volume des eaux contaminées et entreposées sur place en attendant que Tepco trouve quoi en faire, dépasse le million de mètres cubes. En février 2020, 977 cuves de mille mètres cubes chacune s’alignaient sur le site, détaille l’IRSN. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) estime que les capacités maximales d’entreposage du site devraient être atteintes l’année prochaine, d’ici l’été 2022. Les pistes à l’étude pour se débarrasser de cette eau encore partiellement contaminée sont l’évaporation et le rejet dans l’océan Pacifique.

Ces interminables travaux de gestion post-accidentelle sur la centrale de Fukushima-Daiichi font dire au théoricien et auteur Sabu Kohso que Fukushima est une « catastrophe éternisée ». Elle « témoigne de la tendance irréversible des appareils humains à aliéner le corps planétaire, à déclencher toujours plus d’incidents dont les impacts affectent toutes les activités vitales, alors que lentement et imperceptiblement, le flux invisible des radionucléides ne cesse de se fondre dans notre environnement », écrit-il dans un livre tout juste paru en français, Radiations et révolution (Divergences).

Dans l’eau, dans les sols, dans les aliments, dans l’air : les radioéléments sont mesurés en permanence et régulièrement cartographiés. Entre mars 2011 et octobre 2020, le débit de dose ambiant au niveau de la préfecture de Fukushima a globalement été divisé par deux. Cette diminution est due en grande partie à la décroissance physique des deux césiums (césium-134 et césium-137), explique l’IRSN.

À la fin de l’année 2011, les autorités japonaises ont défini une « zone de décontamination active » où le gouvernement doit mener des actions de nettoyage de la radioactivité. Environ 95 000 habitant·e·s en ont été évacué·e·s après l’accident, tandis que 65 000 personnes résidant en dehors de cette zone en sont parties volontairement. Au fil des ans et des opérations de décontamination, le périmètre des zones d’évacuation s’est réduit, passant de 1 150 km2 (soit 8,3 % de la préfecture de Fukushima) en 2013 à 336 km2 (2,5 % du territoire) en mars 2020.

Jade Lindgaard

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