Loi Climat : le discours magistral de Mathilde Panot (video et verbatim)

samedi 3 avril 2021.
 

Le projet de loi « Climat et résilience » vient d’arriver ce lundi 29 mars en débat en hémicycle à l’Assemblée nationale, lendemain de grandes marches pour une vraie loi climat à travers tout le pays. Retrouvez le discours magistral de Mathilde Panot, vice-présidente du groupe parlementaire de La France insoumise à l’Assemblée nationale, en ouverture des débats. L’engraissement des riches en bande organisée, la répression sanglante des militants écologistes, l’enfumage en réunion, le conflit d’intérêts, l’atteinte aux générations futures… Un puissant réquisitoire contre la politique écologique d’Emmanuel Macron à partager sans modérations. Retrouvez le texte du discours en intégralité ci-dessous. Pour visionner la video de celui-ci, cliquer sur l’adresse URL portée en source (haut de page, couleur rouge).

Président, Ministre, Collègues.

Ce jour signe la fin de votre mascarade démocratique. Aujourd’hui, s’ouvre le procès de votre politique écologique.

Depuis 2017, vous avez voulu mettre à l’ombre des Gilets jaunes, des syndicalistes, des militants écologistes. Maintenant, c’est à votre tour d’être jugés sur vos actes.

La liste des chefs d’accusation est interminable. Votre premier méfait : l’engraissement des riches en bande organisée.

En 2018, vous supprimiez l’impôt de solidarité sur la fortune. Les riches n’étaient pas assez riches à votre goût. L’enquête préliminaire est sans appel : vous ignorez toujours que plus les riches s’enrichissent, plus ils possèdent, plus ils polluent. Si cela était votre objectif, alors bingo ! La France est le pays où la fortune des milliardaires a le plus progressé, +45% entre 2019 et 2020. En revanche, on verra plus tard pour le ruissellement, puisque notre pays compte toujours 10 millions de pauvres.

Avec cette suppression, vous rendiez 4 milliards d’euros à l’oligarchie, la même somme que vous souhaitiez récupérer à travers la taxe carbone. C’est comme cela qu’il faut prendre la puissance du mouvement des Gilets jaunes, qui a déferlé sur les ronds-points et dans les rues. Ils l’ont scandé partout : pas d’écologie sans justice sociale. Les gens n’ont pas d’autre choix que de prendre leur voiture pour se déplacer, mais c’est à eux que vous êtes allés chercher des noises, plutôt qu’à Total. Ce sursaut populaire magnifique a rappelé ce que nous sommes viscéralement : une patrie révolutionnaire. Les Gilets jaunes ont renoué avec le désir d’une société de solidarité et de partage. Je leur adresse ici un salut fraternel. Aux éborgnés, aux estropiés, aux gazés, aux matraqués, aux emprisonnés, aux condamnés, à ceux qui ont vu s’abattre la répression sur leurs corps, à toutes ces gueules cassées du macronisme, matés à tour de bras pour avoir exigé un monde plus juste.

La contestation a repris son souffle au moment de votre tentative de réforme infâme sur les retraites. Là encore, votre esprit comptable étriqué ne s’était pas aperçu qu’il s’agissait bien d’une politique anti-écologique. Vous vouliez nous faire travailler plus longtemps. C’est-à-dire produire, jusqu’à l’épuisement, toujours plus de marchandises inutiles et indésirables, déménagées de part et d’autre du monde, aggravant ainsi nos émissions de gaz à effet de serre. Votre logiciel basé sur la croissance infinie est archaïque. Il vous reste à apprendre que notre planète et le vivant ont leurs limites physiques, tout comme les êtres humains, qui ne rêvent pas de travailler jusqu’au seuil de leur mort. Avec cette réforme, vous anéantissiez le temps libre passé hors de la sphère marchande. Vous acheviez le modèle d’homo economicus, à l’heure où il est insoutenable. Vous réduisiez à néant nos capacités intergénérationnelles de résilience collective au chaos climatique, et ce alors que nos conditions de survie sont fondées sur l’entraide.

Il paraît même que vous voulez remettre cette réforme sur la table pour payer la crise du Covid, ce qui constituerait, j’en suis sûre, une circonstance aggravante.

Nous arrivons au deuxième chef d’accusation : matraquage, gazage et répression aggravés.

Emmanuel Macron disait en juin 2019, au sujet des jeunes pour le climat : « J’ai besoin d’une chose, c’est que vous nous rendiez la vie impossible, nous les dirigeants […] J’ai besoin de ces mouvements, de ces indignations ». Ce qu’il a oublié de dire, c’est la manière singulière avec laquelle il allait leur répondre.

On pourrait résumer cela à une phrase devenue célèbre du préfet Lallement au sujet des Gilets jaunes, prononcée le 8 décembre 2018 : « Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter. Ça fera réfléchir les suivants ». Matraqués et gazés, parfois même sans raison apparente, comme le furent ces militants d’Extinction Rebellion sur le pont de Sully, à Paris, le 28 juin 2019, alors qu’ils étaient parfaitement pacifistes. Répression sans distinction, comme ce journaliste de Reporterre, placé 10 heures en garde à vue le 26 juin 2019 pour avoir couvert une action écologiste à l’aéroport Orly. Criminalisation tous azimuts, comme ces centaines de procès pour les décrocheurs de portrait de Macron. Comme ces militants anti-agro business pour qui vous avez spécialement inauguré en décembre 2019 la cellule de renseignement Démeter. Ou encore ces militants anti-nucléaire à Bure, qui luttent contre l’enfouissement des déchets nucléaires et l’empoisonnement des sols pour des générations, pour qui vous avez sorti l’arsenal anti-terroriste et dépensé 1 million d’euros dans l’enquête qui les vise. Quel est leur point commun ? Ils n’en peuvent plus de l’écologie des petits pas et de votre inaction coupable. Mais tiens, n’est-ce donc pas là une bonne raison pour les frapper gaiement ?

Venons-en au troisième chef d’accusation : enfumage en réunion. C’est celui-là d’ailleurs où votre taux de récidive est le plus élevé. Il suffit de remplacer des mots par d’autres : « écologie du concret », pour « écologie de la touillette », « écologie du progrès » pour « écologie qui laisse les pollueurs tranquille ».

La Convention citoyenne pour le climat a, pour sa part, rendu son jugement. C’est la note médiocre de 2,5/10 qu’ils ont donnée à votre texte, lui-même décrié de toutes parts. Savez-vous où étaient ces citoyens, hier ? Dans la rue, pour réclamer une vraie loi climat. On peut vous reconnaître un talent : celui de dresser, sans trop d’efforts, le grand nombre contre vous. Le Haut conseil pour le climat, le Conseil national de protection de la nature, le CESE, une centaine d’organisations de la société civile, la marée de jeunes qui défilait dans les rues dimanche, toutes et tous ne savent même plus dans quelle langue vous le dire : votre projet de loi est insuffisant.

Pour votre défense, vous nous dites : « mais regardez notre bilan en entier ! ». D’accord, je concède cet argument à la partie adverse ! Voyons-voir : tapis rouge et fanfare pour Amazon et ses entrepôts, retour des néonicotinoïdes qu’il est pourtant plus facile à interdire qu’à prononcer, pas d’interdiction du glyphosate, traités de libre-échange à gogo, aides publiques accordées aux multinationales polluantes sans contrepartie, fuite en avant dans le nucléaire, suppressions des aides à l’agriculture bio, autorisation de fermes-usines, contournements autoroutiers, la France condamnée pour pollution de l’air, destruction des effectifs du Ministère de la transition écologique et des opérateurs publics comme l’Office national des forêts… Wow. Êtes-vous sûre de cette stratégie de défense Mme la Ministre ?

Vous en arrivez même à fatiguer vos propres agents qui ne sont pas dupes de vos petites manœuvres, je cite : « J’ai fait un burn-out. Pas celui où on travaille trop… non… pensez-vous, à l’écologie, sous Macron… Non, un burn-out de manque de sens dans mon travail. Je voulais parler permaculture, collapsologie, résilience locale. On me demande de serrer des mains, de me réjouir des tasses qui remplacent les gobelets plastiques, d’organiser l’étape du « Tour de France des Objectifs du développement durable » dans ma région… ».

Les syndicats de votre Ministère avaient un mot pour cela : « inaction verbeuse ».

Je vous entendais d’ailleurs dire hier, Madame Pompili, qu’il « fallait continuer à se battre, continuer encore, ne surtout pas baisser les bras ». Encore faudrait-il les lever, ne serait-ce que pour dire aux lobbys de se taire. C’est votre quatrième chef d’accusation : le conflit d’intérêts. Nous sommes guidés par l’intérêt général, vous êtes les ventriloques des intérêts privés. C’est comme cela qu’on écrit un texte qui fait reposer notre destin sur la bonne volonté des multinationales, en leur disant qu’ils peuvent, mais qu’ils ne sont pas obligés, mais que ce serait bien quand même de faire un effort, parce que ce sera obligatoire en 2065, alors « siouplé » soyez sympas, ne polluez pas trop.

L’écologie de la caresse n’a fait ses preuves nulle part. Ce qu’il nous faut, c’est une rupture claire avec nos modes de production et de consommations devenus fou. La pandémie en est la démonstration la plus flagrante. Ce que nous traversons est une crise de la frontière écologique. La déforestation, l’agriculture et l’élevage intensif, le commerce illégal d’animaux sauvages, la persistance de ces pratiques nous assure d’une chose : nous ne faisons qu’entrer dans l’ère des pandémies. Il faut sortir de ce marasme. C’est ce que nous appelons la bifurcation écologique et solidaire. La destruction de nos écosystèmes, l’agression permanente de la société de consommation, la création de la frustration pour faire tourner la machine à consommer, tout cela doit prendre fin.

Nous devons désaccumuler. De quoi avons-nous réellement besoin ? Cette question est celle qui met fondamentalement en péril tout votre édifice libéral. Vous savez, personne n’irait pleurer la disparition des panneaux publicitaires lumineux, ou la fin des publicités pour les SUV. En revanche, nos concitoyens se plaignent de l’air pollué qu’ils respirent et font respirer à leurs enfants, ils s’inquiètent de l’alimentation qu’ils mangent ou de la qualité de l’eau qu’ils boivent. Vous tremblez quand il s’agit de contraindre les industriels, mais vous êtes indifférents à l’idée que nos compatriotes d’Outre-mer n’ont parfois pas d’accès à l’eau potable. 44 écoles ont du fermer en Guadeloupe faute d’accès à cette ressource vitale. Pour réaliser la bifurcation écologique et solidaire, il nous faut partir des besoins fondamentaux des gens. Pour cela, nous avons une méthode : la planification. Faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable, faire de nos forêts des biens communs, ne pas prendre plus à la nature que ce qu’elle peut reconstituer sont des objectifs que la Nation pourrait se donner.

Il faut croire que ces sujets ne vous intéressent pas : la plupart de nos amendements sur la forêt ou l’eau ont été rejetés parce qu’ils n’auraient, soi-disant, pas de rapport avec le texte. Tiens donc, l’eau, les forêts, aucun rapport avec une loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ? Balivernes. Nous ne discuterons donc pas de l’interdiction des coupes rases, qui libèrent une partie du carbone contenu dans les sols et détruisent la biodiversité. Pas plus de l’Office national des forêts, opérateur public qui a la charge de nos forêts publiques et que vous vous hâtez de privatiser. Nous ne parlerons pas non plus de la mise en place de régies publiques de l’eau, afin de préserver la ressource, à l’heure où elle se raréfie. Mais aucun rapport avec le climat, vous dis-je !

J’achève. Vous parlez sans cesse de « l’acceptabilité sociale des mesures », mais cette foutaise ne trompe plus personne. C’est à votre acceptabilité gouvernementale que nous nous heurtons. Vous avez sabordé les mesures de la Convention citoyenne, vous rejetez par paquet de 100 les amendements qui tentent d’améliorer un peu votre texte, vous activez le temps législatif programmé pour mieux museler l’opposition. Je vous le dis « sans filtre » : cette arnaque démocratique a assez duré. Elle se joue sur le dos de notre avenir collectif. C’est là votre cinquième chef d’accusation : atteinte aux générations futures.

Vous ne partagez pas le sentiment de l’urgence face au chaos climatique qui s’annonce. Le monde qui vient vous le fera comprendre coûte-que-coûte, de gré ou de force : ces jeunes pour le climat, les Gilets jaunes, les militants écologistes, la jeunesse à qui vous volez l’avenir. Le peuple finira, toujours, par se soulever contre les puissances de l’argent et leurs représentants politiques. Ils ne laisseront pas faire votre inaction coupable.

Nous sommes le mouvement de cet espoir : celui d’un pouvoir populaire fondé sur les intérêts de la majorité sociale de notre pays. Un tel pouvoir ne peut être qu’écologique. Nous n’avons qu’une hâte : tourner la page de votre irresponsabilité, faire de votre règne un accident de l’Histoire, et surtout, surtout, un mauvais souvenir.

Je vous remercie.

Mathilde Panot.


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