Réforme de la justice (France) : le projet Dupond-Moretti fait l’unanimité contre lui

dimanche 18 avril 2021.
 

Les organisations d’avocats et de magistrats tirent à boulets rouges sur le projet de loi pour la confiance dans la justice présenté ce mercredi par le ministre Éric Dupond-Moretti.

Une réforme fourre-tout, et qui mécontente tout le monde. Les professionnels de la justice consultés par Mediapart s’accordent à éreinter le projet de loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire » présenté ce mercredi 14 avril en Conseil des ministres par Éric Dupond-Moretti. Un texte patchwork dont personne ne voulait, mais qui doit être examiné dès le mois de mai en procédure accélérée au Parlement. Les syndicats de magistrats, dont les relations avec le ministre de la justice sont exécrables depuis ses attaques contre le Parquet national financier [1], dénoncent une absence de concertation et des mesures déconnectées des réalités, sur fond de pénurie de moyens humains.

Dans le bric-à-brac d’Éric Dupond-Moretti, on trouve notamment la généralisation des cours criminelles départementales sans jury populaire pour les crimes passibles de 15 à 20 ans de réclusion criminelle, la suppression des crédits de réduction de peine automatique pour les condamnés, mais aussi la possibilité de filmer les procès, la limitation de la durée des enquêtes préliminaires, ou encore de nouvelles garanties offertes aux avocats pour les perquisitions dans leur cabinet et les écoutes téléphoniques.

Les avocats ne sont pourtant pas tendres avec le projet de leur ancien confrère. « C’est un texte sans ambition, mal rédigé, et qui manque de cohérence », juge Christian Saint-Palais, le président de l’Association des avocats pénalistes (Adap). La disparition annoncée des cours d’assises au profit des cours criminelles départementales composées de magistrats, pour juger plus rapidement la majorité des affaires de viol et de braquage, ne passe pas.

Le paradoxe étant qu’Éric Dupond-Moretti a bâti sa renommée de plaideur justement sur les procès d’assises, et qu’il défendait ardemment les jurys populaires jusqu’à l’an dernier. « Elle va mourir, la cour d’assises, c’est clair ! Vous avez vu ce qu’ils nous ont fait à la chancellerie. […] On ne veut plus de la souveraineté populaire. La justice, elle est rendue au nom du peuple français et on est en train de l’exclure. Ils veulent de l’entre-soi ! », rugissait l’avocat Dupond-Moretti, le 6 juin 2020 sur France 2.

« L’expérimentation faite dans quelques départements depuis 2019 annonçait la suppression des jurys populaires, même si on nous promettait que rien n’était programmé. Je ne suis pas surpris, déclare aujourd’hui Me Saint-Palais. C’est une façon brutale d’imposer les choses, de trahir une parole. Une façon de faire de la politique qui ne me convient pas. »

La fin programmée des assises, proposée par un ancien avocat d’assises, c’est « une sorte d’escroquerie qui a été mise en place. Le nouveau garde des Sceaux met ses pas assez classiquement dans ceux de sa prédécesseure, et continue à mettre en œuvre la même politique, sans faire profiter au gouvernement de l’éclairage technique qu’il pourrait apporter », regrette Christian Saint-Palais. Pour le président de l’Adap, Éric Dupond-Moretti « a choisi de faire de la politique de la pire des façons, en négligeant les éléments qu’il connaît bien ».

Du côté des magistrats, le constat est tout aussi sévère. « La confiance ne se décrète pas, et ce n’est certainement pas en faisant de la télé-réalité qu’on va la restaurer », cingle Céline Parisot, la présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), selon qui filmer les procès n’est pas une panacée. « Quelles seront les garanties pour la présomption d’innocence, la vie privée, le droit à l’oubli, la sécurité des acteurs du procès ? Comment sera effectué le montage, comment respecter l’équilibre du temps de parole ? Nous n’avons aucune garantie sur ces sujets. Une fois l’audience filmée, on perd la main sur la diffusion. »

Céline Parisot s’inquiète également de « nouvelles dispositions techniques complexes et chronophages imposées aux parquets et aux enquêteurs, au bénéfice de quelques-uns, dont les avocats. Si on veut que les enquêtes préliminaires durent moins longtemps, il ne faut pas mettre des bâtons dans les roues des parquets et des enquêteurs, mais leur donner plus de moyens ».

La présidente de l’USM craint également les effets de la réforme annoncée de l’exécution de peines. « Éric Dupond-Moretti soutient dans les médias que les crédits de réduction de peines sont automatiques, alors qu’ils ne sont pas acquis, ce n’est qu’un calcul. Ces crédits peuvent être perdus à tout moment. Ils permettent seulement au détenu de se projeter dans l’avenir et de préparer sa réinsertion. Supprimer ces crédits, c’est n’importe quoi. On va multiplier les sorties sèches, tout en donnant encore plus de travail aux juges et conseillers d’insertion et de probation. »

Le Syndicat de la magistrature (SM) est tout aussi remonté. « La visée générale de ce texte, c’est que la justice n’est plus appréhendée que par le prisme des choix gestionnaires - juger plus avec moins de moyens –, et avec quelques marottes ministérielles », assène Katia Dubreuil, la présidente du SM.

« On n’a même pas fini d’essuyer les plâtres de la précédente réforme de 2019, que l’on s’épuise toujours à mettre en œuvre dans un contexte compliqué, qu’on nous annonce un nouveau ministre et une nouvelle loi. C’est uniquement de la communication. Il y a une absence totale d’analyse de fond de l’équilibre de la procédure pénale. »

Pour Katia Dubreuil, certains points du projet ne répondent à aucune nécessité d’intérêt général. « On nous dit que les enquêtes préliminaires durent trop longtemps. Mais l’idée d’une durée couperet n’a pas de sens : si les enquêtes durent longtemps, c’est par manque de policiers et de magistrats. Seulement 5 % des enquêtes préliminaires dépassent trois ans. Lesquelles ? Les affaires politico-financières. » CQFD.

Michel Deléan


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