Vaccins. L’Europe protège les profits de Pfizer : jusqu’où ira le scandale ?

dimanche 25 avril 2021.
 

Le géant pharmaceutique américain promet aux marchés financiers une augmentation de ses tarifs jusqu’à 150 euros la dose. Il ne lâche rien sur ses brevets, qui lui assurent des profits considérables. Et le labo se révèle féroce vis-a-vis des pays les plus fragiles. Mais l’Europe, qui a d’ores et déjà financé une grande partie du coût de développement du vaccin, sort de plus en plus allègrement le portefeuille d’argent public. Jusqu’à quand ?

Albert Bourla a la baraka. Profitant des déboires répétés de ses concurrents, Pfizer, l’entreprise qu’il dirige, s’impose jour après jour, avec ses partenaires de BioNTech, comme le monopole ultradominant dans les pays occidentaux sur le marché des vaccins contre le Covid-19.

La rente des rappels vaccinaux

Mais le PDG a également un culot monstre  : après les révélations de l’Humanité sur l’augmentation imminente du tarif de ses doses – une perspective visant à appâter les fonds d’investissement et les grandes banques qui, de Vanguard à Morgan Stanley, en passant par BlackRock et State Street, contrôlent son capital –, l’homme maquille, dans un entretien dans les Échos et d’autres titres européens, sa multinationale en championne de l’«  équité  ». «  Nous avons décidé d’opter pour un système à trois niveaux de prix différents, pérore-t-il. Pour les pays à revenu élevé comme l’Europe, les États-Unis, le Japon ou le Canada, le prix est celui d’un repas  ! Ces vaccins ont un prix inestimable, en milliers de milliards de dollars, ils sauvent des vies humaines, ils permettent de rouvrir les économies, mais nous les vendons au prix d’un repas… Dans ces pays, les prix peuvent être un peu différents selon les volumes. Dans les pays à revenu intermédiaire, nous le vendons à la moitié de ce prix. Et dans les pays à faible revenu, en Afrique par exemple, nous le distribuons à prix coûtant.  »

La dose au prix d’un repas... dans un palace

Loin de ce discours résolument flûté, Pfizer renforce encore, ces dernières semaines, sa position dominante pour dicter ses conditions dans tous les domaines. Malgré l’absence, à ce stade, de preuves scientifiques consolidées sur le sujet, le géant pharmaceutique américain fait miroiter la perspective - juteuse pour ses bénéfices ultérieurs – d’une rente de situation parfaite, avec troisième injection indispensable et rappels de vaccination annuels.

De quoi lui permettre d’envisager, comme l’a relaté l’Humanité dès la semaine dernière, de fixer un tarif de près de 150 euros pour chaque dose, qui serait alors considérée comme «  hors pandémie  ». À ce prix, évidemment, le «  repas  » évoqué par Albert Bourla promet de devenir très vite un déjeuner dans un palace… Ce qui, avec les milliards de «  clients  » à vacciner, fera grimper l’addition globale à une tout autre échelle.

Pfizer aurait demandé que des bâtiments publics soient mis en gage

Mais ce n’est pas tout  : quand le grand patron de Pfizer s’engage à «  distribuer à prix coûtant  » son vaccin dans les pays du Sud, il omet de préciser qu’en vérité, sa société ne s’est avancée jusqu’ici que sur 40 millions de doses pour les 92 États les plus défavorisés, en partie bénéficiaires du système de mutualisation Covax. Soit un volume tout à fait dérisoire, censé pourtant participer à une couverture protégeant entre 1,5 et 2 milliards de personnes sur la planète.

Pire encore  : dans ses négociations commerciales avec les pays les plus fragiles, la multinationale américaine réclame des garanties extraordinaires pour se prémunir contre d’éventuelles poursuites en cas d’effets secondaires ou de malfaçons dans la fabrication. Selon le Bureau of Investigative Journalism, un réseau fédérant des enquêteurs dans le monde entier, Pfizer aurait, à cet effet, demandé en début d’année à plusieurs gouvernements latino-américains de mettre en gage des installations ou des bâtiments publics et, ces derniers jours, le mastodonte américain aurait tenté – avant de faire, mardi, machine arrière – d’obtenir une clause de cet ordre dans son contrat avec l’Afrique du Sud.

Berlin et Bruxelles ont déjà financé près de la moitié des coûts de R&D

Et pendant ce temps l’Union européenne regarde ailleurs. Mieux, elle congratule et encourage Pfizer à continuer allègrement sa course aux profits. Bruxelles a largement contribué à la recherche et développement (R&D) de ce vaccin  : comme nous l’écrivions la semaine dernière, le rapport financier annuel de BioNTech évoque une dépense globale pour la mise au point du produit gravitant autour de 400 à 500 millions d’euros, alors que la Banque européenne d’investissement et le gouvernement fédéral allemand ont eux-mêmes apporté près de 450 millions d’euros.

Mais la Commission ne trouve rien à redire et continue de financer, sans discuter, les aménagements indispensables sur la chaîne de production, qui reste complètement contrôlée par la multinationale américaine. Depuis le départ, Pfizer récuse absolument l’idée de lever ses brevets et refuse de faire fabriquer son vaccin en dehors des États-Unis ou de l’Europe, même par le biais de contrats de licence volontaires avec des gros producteurs dans les pays du Sud, qui lui assureraient pourtant de généreux dividendes.

Or, contrairement à la propagande de Big Pharma, souvent relayée par la Commission européenne et, en particulier, par son «  Monsieur Vaccins  », le Français Thierry Breton, toutes les capacités à l’échelle mondiale ne sont pas mobilisées. Alors que la production potentielle de l’Inde – le pays est considéré depuis des années comme l’usine du monde dans le secteur pharmaceutique – est estimée autour de 2,4 milliards de doses par an, elle ne dépasse pas aujourd’hui le milliard. L’indispensable augmentation de la production planétaire

De la même façon, il n’est sans doute pas aussi compliqué que voudrait le faire croire le discours dominant de fabriquer les vaccins à ARN messager, comme ceux de Pfizer-BioNTech. La meilleure preuve, c’est que, avant la pandémie, il n’existait aucune capacité de production à une échelle de masse. Quelques milliers de doses sortaient des laboratoires pour des essais cliniques, tandis que, désormais, ce sont des centaines de millions qui sont fabriquées grâce à une conversion industrielle accélérée.

Récemment, l’exemple de Moderna, le rival de Pfizer sur cette même technologie, qui a transformé une friche de Polaroid dans le Massachusetts en usine de production de vaccins à ARN messager, est venu renforcer cette perspective. Désormais, d’après le Centre africain de prévention et de contrôle des maladies, plusieurs États du continent (Afrique du Sud, Nigeria, Égypte, Éthiopie ou encore Rwanda) auraient, affirme-t-il, la possibilité de participer à l’indispensable augmentation de la production planétaire.

Le problème, c’est que personne ne réussit, jusqu’ici, à décrocher Pfizer, BioNTech et toutes les multinationales pharmaceutiques de leur poule aux œufs d’or. Or, si la rareté artificielle en matière de vaccins assure à ces entreprises et à leurs actionnaires des profits proprement faramineux – l’ONG américaine Health GAP évalue les bénéfices entre 6,3 et 10,5 milliards d’euros, rien que pour Pfizer, en 2021 –, elle provoque aussi la prolongation de la pandémie, avec ses cohortes de variants plus dangereux les uns que les autres et, au bout du compte, de morts.

La guerre des stocks de vaccins

Dans ce marasme, la Commission européenne réussit à faire pire que les États-Unis de Biden (lire notre encadré ci-dessous). La semaine dernière, tout en saluant de manière appuyée Pfizer et BioNTech – des «  partenaires fiables  » –, Ursula von der Leyen, la présidente de l’exécutif à Bruxelles, a officialisé les négociations en cours pour leur acheter 1,8 milliard de doses, soit trois fois le volume déjà préempté par l’UE jusqu’à présent. Selon les confidences, la semaine dernière, du premier ministre bulgare, Boïko Borissov, les Européens devraient les payer sans barguigner 19,50 euros la dose (contre 13,50 euros dans le contrat actuel).

Une manière de relancer, sourire aux lèvres, la guerre entre les grandes puissances capitalistes pour mettre la main sur les stocks disponibles à moyen terme, sans rien régler, bien au contraire, sur la question vitale de l’accès universel aux vaccins. Derrière les profits indécents de Pfizer, pointe aussi la honte pour cette Europe-là.

Thomas Lemahieu


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message