L’œuvre de la Commune

dimanche 23 mai 2021.
 

La Commune de Paris fut la première ébauche de république sociale qui, selon Marx, « ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même ».

Début avril 1871 : la Commune venait d’être proclamée et la rupture avec Versailles, Thiers et les « ruraux » était en passe d’être consommée. La soixantaine d’élus désignés par les Parisiens le 26 mars et ayant accepté de siéger au sein de l’organe révolutionnaire se mit rapidement au travail. Tous les témoignages prouvent le travail acharné que fournirent, pendant le court laps de temps qu’il leur fut accordé, ces délégués du peuple bien décidés à vaincre le péril versaillais, à affirmer la République et à améliorer le sort de leurs mandants qui sortaient pour la plupart meurtris des épreuves du siège.

Gouvernement du peuple

En construisant une république généreuse, démocratique et sociale qui prenait le contre-pied du bonapartisme, le peuple parisien édifiait, sans réellement s’en rendre compte, un État d’un type nouveau qui, pour la première fois de l’Histoire, n’était pas dirigé pour et par des possédants alors en fuite, mais pour et par les travailleurs. L’État bourgeois laissait place à la première ébauche d’État ouvrier. Les membres de la Commune, où se côtoyaient petits patrons, artisans, ouvriers, fonctionnaires, intellectuels et artistes, représentaient admirablement la richesse de ce peuple laborieux de la capitale martyre.

Selon Michèle Audin, la Commune comprenait 33 ouvriers, 5 petits patrons (dont Eugène Pottier), 14 employés, 12 journalistes et une bonne dizaine de membres de professions intellectuelles et/ou libérales (instituteurs, avocats, artistes, médecins). Ainsi, l’organe de la démocratie populaire parisienne était composé à plus de 40 % d’ouvriers et même 60 % si on leur adjoint les employés, commis et autres comptables. Marx est donc dans le vrai quand il affirme, dans La Guerre civile en France, que « la Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. […] La majorité de ses membres étaient naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière ».

L’œuvre sociale

Dans son activité incessante, poussée en avant qu’elle était par un peuple mobilisé qui comptait bien s’approprier la souveraineté populaire pour qu’elle ne soit plus un vain mot, la Commune a abattu un travail gigantesque. Dès sa naissance, elle décrète des moratoires sur les loyers et les dettes, la réquisition des logements vacants au profit des Parisiens victimes des bombardements prussiens, puis versaillais. Par la suite, elle a interdit le travail de nuit dans certaines professions, notamment chez les boulangers (décret du 20 avril), ainsi que les amendes et les retenues que nombre de patrons opéraient avec un zèle remarquable par prélèvements sur les salaires (décret du 27 avril). C’est la première fois que les principes sacro-saints du libéralisme économique étaient ainsi battus en brèche.

La Commune, non contente de parer au plus pressé et de lutter contre les traits les plus iniques de la société dont elle prenait la suite, s’est également lancée dans des réformes structurelles sur le long terme notamment en préfigurant, par sa réforme du Mont-de-Piété, un véritable système d’assistance sociale. Elle a par ailleurs voulu édifier un système de crédit permettant aux travailleurs de s’associer dans des coopératives. La Commune décida en effet, le 16 avril, de confier aux Chambres syndicales le soin d’établir les moyens d’une remise en exploitation des ateliers abandonnés par leurs patrons via la création de sociétés ouvrières. Cette propriété collective associative était sans nul doute, pour nombre d’élus de la Commune influencés par l’enseignement de Proudhon, la pierre angulaire de l’œuvre sociale qu’il convenait d’entreprendre. On sait qu’ils ne disposèrent pas de suffisamment de temps pour transformer leurs idéaux coopératifs en institutions durables.

Révolution politique ?

On a pu mettre en avant la modestie de l’œuvre sociale de la Commune et conclure de ce constat, dans le fond largement lié à la brièveté de son existence, que le régime né de l’insurrection du 18 mars était une révolution purement politique. Notons tout d’abord que, pour la plupart de ses membres, la Commune avait pour tâche immédiate d’instaurer la République démocratique et que la transformation sociale procéderait de l’égalité politique, puisque la réorganisation de la production dans l’intérêt de toutes et de tous ne pouvait être que le fait de citoyens réellement libres et égaux.

Ajoutons par ailleurs que les Communards se considéraient comme les hérauts d’unemonde débarrassé des privilèges de la fortune. Ainsi, dans une proclamation du 19 avril, la Commune se définissait comme « la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des privilèges auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres ». Léo Frankel, international et proche de Marx, devenu délégué de la commission du Travail au Comité exécutif le 20 avril, le dit avec ses mots : « Nous ne devons pas oublier que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune ».

La dimension sociale des réformes politiques emblématique de la Commune n’échappera d’ailleurs à personne. Elle a par exemple détruit les bases de l’armée de classe en abolissant la conscription remplacée par le peuple en armes. Elle a également fait des élus des mandataires responsables et révocables et a plafonné leur traitement, tout comme ceux des fonctionnaires, à hauteur de 6 000 francs annuels. Selon Marx, la Commune a inventé « le gouvernement à bon marché, en abolissant les deux grandes sources de dépenses, l’armée permanente et le fonctionnarisme ».

L’égalité comme boussole

Grâce à Édouard Vaillant, qui sera plus tard cofondateur de la SFIO en 1905 avec Guesde et Jaurès, elle a mis en place un enseignement général pour tous. Pour le délégué de la Commune à l’enseignement, « il importe que la révolution communale affirme son caractère socialiste par une réforme de l’enseignement assurant à chacun la véritable base de l’égalité sociale, l’instruction intégrale à laquelle chacun a droit ».

Pour ce faire, il fallait que la République soit maîtresse chez elle ; ce qui fut fait, et promptement. Dès le 2 avril, la Commune avait séparé l’État de l’Église, cette « infâme » qui trompait le peuple en ne lui promettant la félicité que dans l’au-delà, après une vie de souffrance vouée à la valorisation du capital… Le budget des cultes est supprimé et les biens des congrégations « déclarés propriétés nationales ». Une nouvelle fois, l’affirmation de l’égalité politique nourrit la lutte contre les inégalités sociales.

La Commune a enfin amélioré le sort des femmes plus que ne le firent des dizaines de prudentes réformes « progressistes » au XXe siècle. Les femmes participent avec passion aux discussions dans les clubs, sont nombreuses à rejoindre la Société pour l’éducation nouvelle et obtiennent la création de nombreuses écoles féminines. En outre, il est décidé que les institutrices gagneront désormais la même rémunération que leurs collègues masculins. Tous les féministes – hommes ou femmes – d’aujourd’hui sont les descendants du Comité de vigilance des femmes de Montmartre et de sa célèbre animatrice, Louise Michel. Elle qui voulait « que tous aient l’instruction […], que les champs ne soient plus engraissés de sang ni la boue des trottoirs pleine de prostituées », elle a réussi à imposer par sa force de conviction l’idée que la condition de la femme ne pourra être améliorée radicalement qu’en liant cette cause au combat pour la laïcité et pour l’éducation. Quelle modernité dans le propos de la « Vierge rouge » !

Tout ça n’empêche pas, Manu !

Politiques, démocratiques, sociaux, économiques et culturels : que de changement en à peine deux mois ! Car la réaction militariste et cléricale n’accorda à la Commune guère plus de cinquante jours pour réaliser son œuvre…

Incontestablement, malgré ses erreurs et ses manquements parfois graves (que nous aborderons dans le prochain numéro de D&S), la Commune nous montre la voie à suivre vers la République sociale, cette république que le peuple insurgé de Paris avait tenté de bâtir du soulèvement de Montmartre aux derniers coups de feu qui résonnèrent près du Mur des Fédérés, lors de ces soixante jours qui ébranlèrent le monde. Pottier avait raison lorsqu’il lança : « Tout ça n’empêche pas, Nicolas, qu’la Commune n’est pas morte ». Entre les combats d’hier et ceux d’aujourd’hui, elle est un passeport pour l’espoir en même temps qu’une invitation à la lutte.

Jean-François Claudon


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