Algérie – Après les violentes agressions contre neuf institutrices : Terrorisées, des dizaines d’enseignantes fuient Bord Badji Mokhtar

lundi 14 juin 2021.
 

La famille de l’éducation ne décolère à Bordj Badji Mokhtar. Aujourd’hui, cinquante sept enseignantes, tout cycle confondu, ont quitté la ville par avion, trente huit autres ont pris le risque de faire le voyage par route, jusqu’à Adrar (770 km en grande partie en piste), dans des camions, et vingt autres sont parti mercredi dernier, fuyant le climat de terreur, qui règne depuis l’agression menée en pleine nuit, contre neuf institutrices à l’intérieur de l’école N°10 de Bordj Badji Mokhtar, où elles enseignent.

Tous les syndicats de l’éducation ont décidé d’arrêter les cours dans tous les établissements de la wilaya d’Adrar et de Bordj Badji Mokhtar, et d’organiser des rassemblements de protestation tous les jours de la semaine, jusqu’à ce que le ministre de l’éducation se déplace sur les lieux. Dans le cas échéant, ils annoncent le boycott de tous les examens.

C’est ce que nous a annoncé Ghafour Bensalmane, secrétaire du SATE (Syndicat algérien des travailleurs de l’éducation) et non SNTE (Syndicat nationale des travailleurs de l’Education) comme annoncé dans notre article paru ce matin, en précisant que d’autres actions de protestations pourraient être envisagées durant les jours à venir.

Depuis l’horrible agression des neuf institutrices, la panique s’est emparée de toute la communauté de l’éducation essentiellement des femmes, de cette ville, frontalière avec le Mali, où l’insécurité fait désormais partie de la vie quotidienne.

Ces femmes n’arrivent plus à supporter les menaces dont elles font l’objet depuis prés de trois ans sans que les autorités ne daignent prendre les mesures nécessaires. Durant ces trois dernières années, les agressions, les attaques, les vols et les intimidations ciblant les enseignantes et à un degré moindre leurs collègues hommes, sont devenus légion.

Les dizaines de communiqués et de réunions avec les autorités ainsi que les nombreuses grèves et journées de protestation contre l’insécurité dans les écoles et aux alentours, dont les dernières en début du mois de mai en cours, n’ont abouti à rien. Compliquant davantage la situation.

Agressées à coup de couteaux, par des hommes enturbannés qui avaient investi leurs logements de fonction se trouvant à l’intérieur de l’école N°10, au centre de Badji Mokhtar, les neuf institutrices avaient vécu deux heures d’enfer, en cette nuit du lundi à mardi derniers.

Sorties miraculeusement vivantes de cette tragédie, elles continuent malheureusement à subir la pression des familles de leurs tortionnaires, qu’elles avaient reconnus et identifiés, de leurs proches qui ont peur « pour leur honneur », et des autorités qui veulent clore rapidement le dossier.

Les témoignages de nombreuses personnes que nous avons pu joindre sont glaçants. Quarante huit heures après l’agression, les victimes n’ont toujours pas subi d’examen du médecin légiste ou, à la limite, du gynécologue.

A Bordj Badji Mokhtar, c’est un médecin généraliste qui les a auscultées, et prodigué les premiers soins avant d’être transférées dans la journée du mardi, vers l’hôpital d’Adrar.

Pourquoi n’ont-elles pas bénéficié d’un tel examen ? Pourquoi les autorités ont-elles tout fait, pour maintenir les victimes loin de tout contact avec leurs collègues et leurs syndicats ? La question reste lourdement posée.

Chargée de la commission femme au sein du SATE (Syndicat algérien des travailleurs de l’éducation) à Adrar, Halima Ahssini, se déclare « offusquée » par ce qui arrive aux neuf victimes qui, dit elle, ne sont toujours pas en mesure de reprendre de sitôt les cours. Elle été parmi les premières à être informée du drame qui s’est déroulée à l’école N°10 de Bordj Badji Mokhtar et a tout organisé pour recevoir les victimes à Adrar.

Avec ses collègues de Bordj Badji Mokhtar et le secrétaire de l’organisation syndicale à Adrar, elle n’a cessé d’alerter sur le climat de violence et d’insécurité que vivent ses confrères et particulièrement ses consœurs dans l’enceinte même des établissements démunis de protection et du minimum d’une vie décente .

« Ces institutrices ont vécu l’horreur et cet horreur n’est pas encore terminé. Elles continuent à recevoir des menaces et de représailles parce qu’elles ont reconnu et identifié, deux de leurs agresseurs devant les gendarmes. Elles font l’objet d’une campagne de dénigrement et de haine sur les réseaux sociaux, depuis qu’elles ont parlé des tortures et des violences qu’elles ont subies. De notre coté, en tant que syndicat, nous n’allons pas nous taire. Dimanche prochain, les enseignants de toute la wilaya d’Adrar, vont prendre part à un rassemblement de soutien avec nos collègues mais aussi pour dénoncer les violences qui leur ont été infligées et surtout l’insécurité dans laquelle se trouvent les établissements scolaires », affirme Halima. Elle n’est pas la seule.

De nombreux enseignants de la ville de Bordj Badji Mokhtar avec lesquels nous nous sommes entretenus expriment leur crainte de voir « ces agressions banalisées et impunies. Lors de la réunion avec le wali et les autorités sécuritaires, la communauté des enseignants de tous les paliers a exprimé sa colère et affirmé qu’elle ne reprendra pas les cours si des mesures adéquates de sécurité ne sont pas mises en exécution. Les enseignants sont terrorisés. Il faut les comprendre. Les crimes commis contre les neuf institutrices ne doivent pas rester impunis. Ces victimes ont droit à une prise en charge et une protection. Elles ont vécu un cauchemar et font aujourd’hui objet de chantage et de pression. Elles sont terrorisées. Elles ne doivent pas se sentir seules. Ce sont elles, qui ont besoin du soutien des autorités et de la société civile… » crie Mohamed, un instituteur collègue des neuf victimes.

Salima Tlemçani


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