Délinquance financière : quand l’État laisse filer l’argent

mercredi 14 juillet 2021.
 

Le constat est « accablant » : chaque année, ce sont plusieurs dizaines, voire des centaines de milliards d’euros qui échappent totalement à l’État. Et l’État, justement, semble s’en moquer.

Ce mardi 6 juillet, Ugo Bernalicis, député La France insoumise, faisait à l’Assemblée nationale la présentation de son rapport de suivi de l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière – un travail de deux ans mené avec son collègue LREM Jacques Maire.

Ainsi avance Ugo Bernalicis : « L’efficacité de l’action publique contre la délinquance économique et financière reste très insuffisante [...] Les retards pris sont la démonstration que le gouvernement n’a pas de volonté réelle d’une part de lutter contre cette délinquance qui touche de plus en plus de nos concitoyens et d’autre part de récupérer l’argent qui manque cruellement à nos services publics ».

Ce rapport de suivi fait suite à un premier rapport, publié en 2019. L’idée était de suivre l’action gouvernementale en matière de lutte contre la délinquance financière, qu’il s’agisse de fraude fiscale, fraude à la TVA ou encore de grand banditisme. Deux ans plus tard, « la France est à la ramasse », quasiment rien n’a bougé, si ce n’est une vingtaine d’enquêteurs en plus – sachant que, dans le même temps, le nombre de dossiers par enquêteurs a augmenté car, oui, « c’est la délinquance la plus dynamique, mais ce n’est pas celle qui occupe les plateaux télé », déplore le député insoumis.

Manque de moyens

Le premier problème de la France, c’est – une fois n’est pas coutume – le manque de moyens, humains surtout. Si on prend le total des effectifs spécialisés dans ces affaires (police, douane, magistrats), on arrive difficilement à 700 personnes chargées de poursuivre ces 80-100 milliards de fraude fiscale, mais aussi ces quelques autres milliards de blanchiment, trafic, etc. Car la tendance des effectifs est à la baisse depuis des décennies. Le pire, c’est que l’Intérieur n’est même pas en mesure de dire le nombre d’effectifs précis dans cette lutte contre la délinquance financière, assure Ugo Bernalicis.

Tout ça n’a qu’une raison : le manque de volonté politique. La décision politique la plus éclatante, c’est la création de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco). Concrètement, avant, il y avait 20 magistrats au parquet de Paris, et désormais ils sont 13 à la Junalco et 7 sont restés au parquet. Magie administrative…

Manque de transparence

Après les gilets jaunes et leur revendication d’une plus grande justice fiscale, l’exécutif avait lancé un processus d’évaluation, finalement confié à la Cour des comptes. Et là, patatras, les barrières sont restées closes. La Cour n’aura pas accès à l’intégralité des données des ministères concernés – Bercy, Beauvau et la Chancellerie – et ne pourra que pondre un rapport sur la fraude à la TVA. C’est déjà ça, direz-vous. Résultats : 15 milliards d’euros annuels qui échappent à l’État.

Au-delà du fait que les ministères ne donnent pas les moyens d’avoir accès aux informations, ni aux députés, ni à la Cour des comptes, Ugo Bernalicis rappelle les exercices de com’ de Gérald Darmanin, quand il fut aux Finances : si l’État récupère plus de la fraude fiscale, cocorico, s’il récupère moins, c’est qu’il y a moins de fraudeurs...

L’argent déconfiné

Autre sujet soulevé par le rapport des deux parlementaires : l’explosion des arnaques pendant le confinement. Et là encore, l’État est aux abonnés absents. Car les arnaques en ligne – concrètement, vous achetez quelque chose sur Internet et le site disparaît l’instant d’après – sont en dessous de tous les radars. Les services de l’État n’ont rien d’exhaustif à présenter à ce propos, alors que le nombre de plaintes pour escroquerie a explosé en 2020 : 362.000 victimes, soit 1,2 million de foyers touchés. Pour autant, le taux de plainte reste très faible pour des vols de 50 ou 100 euros. Et quand plainte il y a, on est autour des 90% de classement sans suite. Pourquoi ? Parce que dans ce cas-là, les autorités compétentes pensent le préjudice au cas par cas. Et c’est là que tout s’écroule : trop de moyens pour des trop petites arnaques. Alors qu’au total, le préjudice est énorme. Mis bout à bout, on est sur de « l’escroquerie de masse », lance Ugo Bernalicis.

La première des réponses à apporter à la lutte contre la délinquance financière, nous dit Ugo Bernalicis, c’est de doubler, voire tripler tous les effectifs. Oui, mais ça va coûter un pognon de dingue ! Sauf que, pour le coup, voilà une politique publique qui, au-delà de son aspect juste et de la responsabilité de l’État vis-à-vis du consentement à l’impôt, est difficile de ne pas qualifier de rentable.

Loïc Le Clerc


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