Souvenez-vous des élections européennes de 2019 : le Rassemblement national défendait une écologie fondée sur le « localisme ». Alors, simple greenwashing de la part de la formation lepéniste ou adoption durable d’une pensée écofasciste ?
Si l’écologie restait la grande absente du programme du FN il y a quelques années encore, elle a fait une entrée remarquée dans les discours officiels du Rassemblement national depuis plusieurs mois. « J’ai regretté que Donald Trump sorte du Plan climat », affirmait ainsi Marine Le Pen le 20 mai 2019 sur France Info, soudainement oublieuse de son abstention lors du vote au Parlement européen de 2016 sur l’accord de Paris. À quelques jours des dernières élections européennes – où le RN était arrivé en tête avec 23,34% des suffrages –, elle articulait, cette fois lors d’un débat sur France 2, le fameux concept de « localisme » avec celui de la souffrance animale, auquel l’écologie devrait « s’attacher ». Devant un Yannick Jadot plutôt en retrait, on l’entendit retracer le parcours « mondialisé » des animaux jusqu’à l’abattage.
De tels thèmes surprennent encore au RN. Ils ont longtemps été le point aveugle des préoccupations d’un parti caractérisé par son climatoscepticisme pendant des années, et dont les élus européens sont particulièrement mal notés par les ONG pour leurs positions anti-écologistes. Cette réorientation, manifeste lors de la dernière campagne, semble pourtant durable. Puisant dans les visions écofascisantes des droites dures développées depuis plusieurs décennies, elle rhabille de vieux concepts afin de prétendre répondre aux urgences écologiques actuelles. Le 5 mai, Libération revenait sur l’origine d’une forme mutante d’écologie politique, celle de « l’écologie intégrale », tendance catho. Le journaliste Simon Blin, auteur de l’article, voit en elle un des terreaux du verdissement bleu marine.
Se référant à l’idéologue Jean-Charles Masson inspiré par Maurras, à l’encyclique papale Laudato si et aux élucubrations de la revue Limite mélangeant permaculture, lutte anti-OGM et bioéthique pour intégristes, « l’ordre naturel » de cette écologie intégrale et humaine apparaît comme un formidable outil pour le RN. Depuis quelques années, elle a fourni aux partisans de ce dernier une grille d’analyse opportunément compatible avec leurs positions anti-immigration.
Le catapultage par Marine Le Pen d’Hervé Juvin, entrepreneur et essayiste proche des mouvances identitaires, sur la liste des européennes, est à cet égard lourd de sens. Son concept phare, le « localisme », introduit dans les années 70, est devenu une formule magique dans la bouche des leaders du parti comme Jordan Bardella. Alternative économique au « mondialisme libre-échangiste », au « globalisme » qui « fait fabriquer par des esclaves à l’étranger pour vendre au chômeur en France », selon les mots de Marine Le Pen, cette reformulation de l’habituel credo protectionniste entend réconcilier économie et écologie.
Le localisme est aussi l’occasion d’identifier les écosystèmes aux « écosystèmes humains que sont les nations ». Cette métaphore de la nation comme milieu déstabilisé dont il faudrait expulser les corps étrangers en revenant à des frontières solides n’est pas nouvelle. Elle se réapproprie, en le modernisant, l’écofascisme patent au sein de mouvances identitaires comme celle de Terre et Peuple, créé en 1994 par l’historien médiéviste Pierre Vial. Prônant un retour aux racines païennes et celtiques des peuples européens, le groupe organise des universités d’été sur les thèmes de l’identité, de la race et de la nature. Il est aussi pro-nucléaire et ouvertement anti-immigration.
« On ne fera pas d’écologie sans frontières », assénait Bardella sur BFMTV le 15 mai. Il n’est donc pas étonnant que le tout nouveau député européen soit régulièrement relayé par de nombreux « enracinés » revendiqués, membres dirigeants du groupe Génération identitaire – un « Greenpeace de droite », selon ces derniers. Cette alliance entre écologie et xénophobie inquiète d’autant plus que l’urgence climatique et sociale risque de s’aggraver dans les années à venir. Les chasses aux migrants, les opérations contre les ONG de solidarité, l’attentat contre la mosquée de Christchurch – dont l’auteur soutenait Génération identitaire et se réclamait de l’écofascisme – interrogent sur la propagation d’une pensée plus systémique et la possibilité d’actions de plus en plus violentes.
Certes, la lutte contre la manipulation du vivant, chère à la revue Limite et aux catholiques intégristes de l’écologie intégrale, n’a pas intégré les discours du RN lors de la campagne européenne. Mais l’examen parlementaire des questions de bioéthique (autour de la PMA, de la GPA et – qui sait ? – de l’avortement et de la libre disposition des corps) pourrait offrir des opportunités à cette conception fascisante. Une conception qui pense les frontières nationales et biologiques comme infranchissables condamne de fait les corps étrangers, malades et tous les individus « contre-nature » à de nouvelles formes de violences politiques et institutionnelles.
Cyril Lecerf Maulpoix
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