« On vit comme des animaux » : le scandale des 2 tours des Boute-en-train

jeudi 22 juillet 2021.
 

Est-ce ainsi que les gens vivent ?

Tout automobiliste habitué à circuler sur le périphérique nord connait bien les deux tours des Boute-en-train. Impossible de les manquer : ces deux barres jumelles de 16 étages voisinent le marché aux puces.

A l’origine, en 1964, elles ont bonne réputation. Leur construction est solide, les appartements vastes et lumineux. Seulement avec le temps les choses vont progressivement se gâter.

La cité verticale est littéralement annexée par le trafic de drogue. Les tours d’habitation souffrent de leur hauteur comme bien des habitations de ce type dont les pannes récurrentes d’ascenseur qui clouent chez eux les locataires des étages les plus hauts sont les plus pénalisantes.

Le choix des autorités depuis plusieurs années, sous l’ancienne majorité municipale, a été d’abandonner l’idée de rénover ces tours et les rendre de nouveau habitables. Un arrêté préfectoral a d’ailleurs acté leur destruction le lundi 10 mai 2021.

Cité dans le Moniteur du 4 juin 2021, la Société d’économie mixte de Saint-Ouen (SEMISO), qui garantit la gestion et l’entretien du patrimoine de la ville, décrit la suite : « Nous allons procéder étage par étage, ça dure plus longtemps mais cela permet de limiter les nuisances autour et d’ouvrir les Puces, le quartier peut ainsi fonctionner malgré les travaux. Les diagnostics techniques préalables (amiante…) aux travaux sont en cours et devraient s’achever pour le 15 juin 2021 ».

A la la fin des travaux de destruction, prévu à l’automne 2022, une ferme urbaine potagère devrait être installée selon le même article. Mon intention n’est pas ici de débattre ni de cette décision, ni du projet qui doit succéder aux deux tours sur ces lieux situés à quelques dizaines de mètres d’un autoroute urbain. Je veux seulement témoigner de ce que j’ai vu et entendu vendredi après-midi dans une des deux tours. Et poser des questions.

Une fois franchi la porte d’entrée, après que l’un des « gardiens » (pas l’officiel, celui qui, assis sur un fauteuil, s’est donné ce rôle) me demande où j’allais et si j’habitais là, on commence l’ascension. L’ascension car il n’y a plus d’ascenseur. J’irai seulement jusqu’au 10ème.

La tour est plus habitée que ne l’indique le nombre de locataires officiels qui y résident encore : trafiquants mais aussi squatters manifestement qui vivent dans des taudis délabrés. Beaucoup de portes ont déjà été murées au fur et à mesure du départ des locataires. Rares sont les niveaux d’escaliers éclairés car les ampoules manquent où ont été cassées. Les tags fleurissent partout.

La personne qui m’accompagne, habituée des lieux car elle vient aider tant bien que mal les derniers locataires, me dit que depuis son dernier passage, plusieurs niveaux ont été nettoyés. Les photos qu’elles me montrent de sa visite récente montrent en effet des immondices s’entassant jusque devant les portes des locataires. Car, et c’est là où je veux en venir, il reste des locataires.

Quelques dizaines répartis sur les deux tours. Ils vivent isolés les uns des autres car parfois plusieurs étages les séparent et rien n’indique, contrairement à ce qui est dit dans l’article du moniteur, une gestion organisée, étage par étage, de l’évacuation de l’immeuble. La nuit il y a du bruit, beaucoup de bruit, parfois on frappe à leurs portes. Ils n’ouvrent jamais bien sûr.

Ils essaient tant bien que mal de conserver un peu d’humanité et de confort dans leurs ilots. Mais l’humidité (il y a eu une grosse inondation voici quelques temps) a lézardé les murs et pourrit les peintures de leurs appartements. Beaucoup sont âgés.

Une dame de 72 ans, n’est pas sortie chez elle depuis trois ans ! Sans mobilité, victime d’un cancer, elle ne peut plus sortir de chez elle et compte sur une voisine, quelqu’un de sa famille, une des associations qui vient en aide aux gens d’ici, pour faire ses courses. Elle dit que jeudi soir la Semiso a fait une réunion d’information mais comme d’autres elle n’a pu s’y rendre faute d’ascenseur. Elle compte sur son pharmacien pour lui renouveler ses médicalement car plus aucun médecin n’ose s’aventurer ici.

Une autre, 92 ans, souffre de problèmes cardiaques. Elle vit là depuis le début. Elle aussi, faute de pouvoir se déplacer, a du remettre à plusieurs reprises une intervention pourtant nécessaire à son état de santé. Si elle est obligée de s’assoir au bout d’un moment, elle garde l’esprit vif et se demande pourquoi on a laissé dépérir une tour « aussi bien construite alors que tant de gens manquent d’un toit en France ». Elle se demande surtout au nom de quoi on la laisse vivre ainsi, sans ascenseur alors que comme les autres locataires, elle paye son loyer et les charges de l’immeuble, ascenseur compris.

Une autre se bat contre cette situation. Elle explique qu’il y a eu une fuite de gaz dans la tour dans la nuit du 30 juin au 1er juillet du fait d’un tuyau cassé (arraché ?) et que les pompiers ont dit à la personne qui les a alerté, en raison de l’odeur, que sans cela la situation aurait été catastrophique. Elle a voulu porter plainte au commissariat mais on n’aurait pas accepté sa plainte. Elle décrit les odeurs nauséabondes dans les escaliers – celle d’urine est en effet très forte – « parce que les gens se servent des placards d’électricité pour faire leurs besoins ». Un des derniers appartement murés, – continue-t-elle – l’a été en entassant à l’intérieur les déchets en tout genre qui débordaient.

Elle lâche « on vit comme des animaux. Je n’ose plus inviter personne chez moi ».

Je ne verrai pas d’autres gens. Beaucoup sont aussi âgés me dit mon accompagnatrice, quelques uns travaillent. Je ne veux ici polémiquer avec personne. Aucune des autorités et collectivités qui ont eu ou qui ont des responsabilités sur la situation. Simplement dire que même s’il est prévu une destruction en 2022, rien ne justifie d’ici là que ces gens vivent plus longtemps dans ces logements parce qu’ils sont victimes et en rien responsables de la situation et des dégradations de vie constatées.

Ceux que j’ai rencontré disent refuser d’être relogés n’importe comment, pas dans le même genre d’immeuble subissant des trafics, pas dans des appartements plus petits. Après ces années de galère, ils veulent voir respecter leurs droits. On les comprend.

Ils ont peur qu’un arrêté d’expulsion soit décidé et que du jour au lendemain ils se retrouvent à la rue, ce qui serait le comble. Pour certaines d’entre eux, on le voit, c’est une question d’assistance à personne en danger. J’estime qu’en attendant, même si c’est pour encore quelques mois, on leur doit a minima le droit à la propreté et à la mobilité verticale c’est à dire une réparation et un entretien permanent des ascenseur, quoi qu’il en coûte pour reprendre l’expression.

Pour conclure, j’ai essayer de garder un ton sobre dans ce post mais les témoignages reçus serrent le coeur. On ne peut accepter de laisser des gens dans une telle condition. Je vais essayer d’avoir des réponses aux questions posées ici et vais également contacter la sous-préfête à l’habitat indigne en ce sens.

Je remercie ici chaleureusement les associations et leurs bénévoles qui, souvent leur seul lien avec l’extérieur, rendent services à ces locataires et œuvrent à accélérer leur relogement.

Éric Coquerel.


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