Extension du pass sanitaire aux enfants et adolescents : des chercheurs et des professionnels de santé sonnent l’alerte

samedi 24 juillet 2021.
 

Face à la « décision brutale » d’étendre le « passe sanitaire » aux enfants de plus de 12 ans, des chercheurs et des professionnels de santé sonnent l’alerte : « Ces annonces du 12 juillet doivent nous ébranler, nous les professionnels de santé alors même que nous glissons sur une pente dangereuse pour le pacte social qui guide notre façon de vivre »

Lundi 12 juillet, dans une allocution télévisée, l’obligation vaccinale vient d’être annoncée de facto par la généralisation du « pass sanitaire » pour les activités du quotidien. Un revirement de plus, qui s’ajoute à la cacophonie des contradictions qui s’accumulent depuis mars 2020, puisqu’encore en avril 2021, le président de la République assurait que « Le pass sanitaire ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français. Il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas ».

La raison invoquée est l’échec d’une prétendue stratégie vaccinale fondée sur l’incitation. Il faudrait dès lors en passer par des mesures coercitives, impliquant un arsenal répressif pour les faire respecter.

Le problème est qu’on décrète l’échec d’une stratégie... qui en réalité ne s’est jamais déployée

Pour qu’il y ait échec de la stratégie vaccinale, encore faudrait-il qu’une stratégie se soit déjà déployée, en s’appuyant sur des leviers éprouvés et reconnus comme efficaces en santé publique. Mais comme pour les tests ou pour le traçage, cela n’a pas été le cas. La difficulté qu’il s’agit d’affronter n’est pas la fronde des « anti-vax » (ultra minoritaires)[1] mais fortement relayés par les médias.

Les populations cibles non encore vaccinées sont le plus souvent des personnes hésitantes qui se perdent dans les déclarations contradictoires, qui ne savent pas précisément si elles sont ou non éligibles, ni à quel type de vaccin, ou bien qui sont inquiètes des effets indésirables à court ou à long terme, ou encore qui sont trop éloignées du système de soins. Ce sont aussi les victimes de la fracture numérique, amplifiée par les modalités digitales de prise de rendez-vous. Ce sont enfin les plus vulnérables, les plus défavorisés, les personnes âgées isolées, laissées au bord du chemin d’une vision de type « start-up nation » passant par les nouvelles technologies et les éléments de langage distillés dans les médias plutôt que par une stratégie de soin humaine et de proximité.

Pourtant, tout cela pourrait se résoudre par la mobilisation des médecins traitants, qui depuis des mois demandent à avoir les moyens de vacciner.

Elle pourrait recevoir le renfort de tous les professionnels de santé, du médico-social et du social, des acteurs du quotidien, des collectivités territoriales, de l’assurance maladie... dans une stratégie « d’aller vers ». C’est ainsi, en téléphonant « tout simplement » aux personnes âgées isolées, que des pays voisins comme l’Espagne ont atteint une couverture vaccinale de 100% chez les plus de 80 ans. On pourrait ainsi renforcer l’action développée par certains CCAS qui prennent contact avec les personnes âgées et gèrent leur déplacement jusqu’au lieu de vaccination.

Que la France ait la plus mauvaise couverture vaccinale en Europe de l’Ouest chez les personnes âgées devrait pour le moins nous interroger[2].

Appeler, rencontrer, parler, expliquer, rassurer, mais aussi prendre le temps de recueillir un « consentement libre et éclairé », exigé par la loi de 2002 pour tous les actes de santé… mieux qu’une application numérique ou qu’un spot de communication culpabilisant, n’est-ce pas cela qui constitue, le coeur de la santé publique ?

Enfants et adolescents : de nouveaux « outils » pour contraindre

Alors face à l’échec d’une « stratégie » de santé publique qui n’existe pas, le bâton est à nouveau brandi. Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie des libertés individuelles menacées. En tant que chercheurs et / ou acteurs de santé, les auteurs de cette tribune ont évidemment conscience que le bien collectif prime, en la circonstance, sur les libertés de chacun.

Mais ils souhaitent attirer l’attention sur un déséquilibre des rapports bénéfice-risque des mesures qui s’accentue depuis le début de cette crise au désavantage d’un public en particulier : les enfants et les adolescents. Non seulement parce qu’ils sont les plus fragiles et les plus vulnérables aux décisions des adultes mais aussi parce qu’en termes de santé publique, ils sont et doivent rester la priorité des priorités.

Or soyons clairs, les principales victimes de la gestion de la crise sont, et ne cessent de l’être à chaque vague, les enfants et adolescents : santé mentale, violences, sédentarité, insécurité alimentaire et malnutrition, … le bilan sanitaire de la gestion de crise chez les jeunes dépasse et dépassera chez ces derniers de beaucoup les impacts de l’épidémie elle-même[3], et ceci particulièrement en France[4].

Le 10 juillet, Alain Fischer souhaite voir la vaccination des adolescents déployée en milieu scolaire notamment pour « atteindre indirectement les parents »[5]. Le 12 juillet, le président de la République étend le « pass sanitaire » aux enfants de plus de 12 ans, rendant leur vaccination de facto obligatoire … À moins que leurs parents aient le coeur, après un an et demi de privation, de leur interdire toute vie sociale en dehors du temps scolaire. Ainsi, on ne vaccine pas ses enfants pour leur santé, mais parce qu’on nous assène que c’est le seul moyen de retourner à une vie normale. Le vaccin protège à 100% du confinement, indiquait le ministre de la santé.

Ce revirement doit collectivement nous interroger à deux titres. Dans la première déclaration il s’agit « d’utiliser » les enfants pour amener les parents à se faire vacciner. Dans la seconde, il s’agit de proposer un choix étonnant : l’administration d’un produit de santé contre une liberté. Les bornes de l’éthique en santé publique ne sont-elles pas dépassées ?

Un revirement, qui est aussi un virage, transgressant les principes fondamentaux de l’éthique en santé publique

Car rappelons-le : la vaccination doit être un acte de santé, ce qui signifie que seul un motif sanitaire peut la justifier. Les enfants et adolescents doivent-il être vaccinés ? Il n’est pas du tout certain que ce soit la priorité aujourd’hui, et ceci pour deux raisons. La première est que les données en vie réelle confirment que la vaccination est très efficace contre les formes graves chez les personnes à risque élevé.

La priorité est donc d’éviter les hospitalisations, les admissions en réanimation et les décès en vaccinant les personnes vulnérables par leur âge ou leur état de santé qui représentent la quasi-totalité de ces formes graves. Cette priorité devient une urgence alors que le variant delta hautement transmissible se diffuse. C’est la stratégie adoptée par un grand nombre de pays dans le monde.

La seconde raison est que chez les enfants et les adolescents en bonne santé, l’intérêt du vaccin est, d’un point de vue strictement sanitaire et avec les connaissances dont nous disposons aujourd’hui, discutable en raison d’un rapport bénéfice-risque très limité voire défavorable. En effet, par exemple le risque d’hospitalisation liées à des complications des vaccins à ARN messager (notamment les myocardites) pourrait être selon certaines estimations préliminaires supérieur au risque d’hospitalisation lié au covid chez les adolescents et adultes jeunes[6].

Les effets indésirables du vaccin sont d’autant plus inacceptables que, d’un autre côté, chez des mineurs sans comorbidité, le risque de forme grave lié à une infection covid est extrêmement faible et celui de décès est quasi nul. Si une majorité d’agences sanitaires déclarent que le rapport bénéfice-risque est favorable chez les jeunes, à notre connaissance, aucun de ces avis à ce jour n’a publié des estimations chiffrées différenciant les mineurs en bonne santé et ceux qui ont des comorbidités préexistantes (et qui eux, en revanche, ont une indication claire en faveur du vaccin). L’urgence de vacciner les jeunes est d’autant moins impérieuse que l’essai justifiant une autorisation de mise sur le marché conditionnelle n’a pas encore fourni tous ses résultats.

C’est ce qui explique la récente position du Joint Committee on Vaccination and Immunisation (JCVI) anglais du lundi 19 juillet 2021 : le JCVI ne conseille pas la vaccination systématique des enfants en bonne santé, sur la base des preuves actuelles. Pour le JCVI, les avantages minimes pour la santé d’une vaccination des enfants contre le COVID-19 ne l’emportent pas sur les risques potentiels. Enfin, pour es experts anglais, une approche de précaution est préférable jusqu’à ce que davantage de données de sécurité soient disponibles et aient été évaluées[7].

Aussi, il est clair que si l’on vaccine les mineurs, il est assumé que ce n’est pas pour leur bien mais pour contribuer à une immunité collective. Autrement dit, on vaccine les enfants parce qu’on n’arrive pas à vacciner tous les adultes, ou plus exactement, parce qu’on ne fait pas l’effort suffisant pour aller vers les personnes vulnérables. Cette obligation est d’autant plus retorse qu’elle repose en réalité sur un transfert de responsabilité vers les parents.

Si, comme le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son avis du 9 juin dernier, les parents estiment que « le recul existant ne permet pas d’assurer la pleine sécurité de ces vaccins chez l’adolescent », ils se retrouveront alors face à un choix douloureux : priver leur enfant de lien social ou prendre le risque de le faire vacciner, choix dont ils devront assumer seuls la responsabilité en cas d’éventuelles complications, sans même parler des conflits entre parents que pourrait alimenter ce dilemme, et dont l’enfant se retrouvera à la fois la victime et l’enjeu, ou des éventuels désaccords entre parents et mineurs, ces derniers devant en dernière instance se soumettre à la décision de leurs parents.

Dans ce contexte, l’obligation vaccinale des enfants se révèle en rupture majeure avec les principes éthiques en santé, comme le rappelle le même CCNE : « (…) est-il éthique de faire porter aux mineurs la responsabilité, en termes de bénéfice collectif, du refus de vaccination d’une partie de la population adulte ? » et « (…), si la vaccination leur était présentée comme leur seule chance de retour à une vie normale, cette pression effective poserait la question de la validité de leur consentement. »

Ces annonces du 12 juillet doivent nous ébranler, nous les professionnels de santé alors même que nous glissons sur une pente dangereuse pour le pacte social qui guide notre façon de vivre : solidarité, protection des plus faibles que ce soit les personnes âgées, les malades chroniques, les personnes vulnérables, mais aussi les enfants et adolescents.

Elles doivent nous alerter, nous les chercheurs dans le domaine de la santé, sur l’incapacité dont nous avons fait preuve à peser sur les décisions, sur les failles de notre système de santé à intégrer des données probantes portant sur les stratégies de prévention et à favoriser leur appropriation par l’ensemble des citoyens.

Enfin, elle doivent nous réveiller, nous les citoyens, les parents, les accompagnants des plus jeunes alors même que des mesures les ciblent sans que l’on ait épuisé tout ce qu’en tant qu’adultes nous pourrions faire pour les protéger et leur permettre de vivre normalement, en équipant massivement les bâtiments publics et l’ensemble des lieux clos de système d’aération qui ont fait leurs preuves, comme le réclament depuis des mois le monde de l’enseignement et de la recherche et en accompagnant l’ensemble des populations vulnérables par l’information médicale, la prise en charge précoce des symptômes et la vaccination[8].

Face à cette décision brutale, qui transgresse à la fois les principes fondamentaux de notre éthique médicale et ceux de la santé publique, nous appelons à annuler les mesures de restriction annoncées concernant les mineurs. Après un an et demi de privation et d’atteinte grave au développement des plus jeunes, il est urgent de rappeler à tous les responsables de la politique sanitaire de ce pays, mais aussi à tous ses agents et à tous les citoyens que nous sommes, que la valeur d’une société se mesure à la manière dont elle traite ses enfants.

Signataires

François Alla, professeur de santé publique, Université de Bordeaux, Chef du service de prévention CHU de Bordeaux

Gwenaëlle André, gynécologue Obstétricien , Bordeaux

Gaëlle Baudin, éducatrice spécialisée, Gironde

Henri Bergeron, sociologue, directeur de recherche CNRS, Centre de sociologie des organisation, Sciences Po, Paris

Anne Bernard, psychologue clinicienne, secteur médico-social, Gironde

Olivier Borraz, sociologue, directeur de recherche CNRS, directeur du Centre de sociologie des organisation, Sciences Po, Paris

Linda Cambon, enseignante-chercheuse en santé publique, Université de Bordeaux

Patrick Castel, sociologue, Directeur de recherche de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, Centre de sociologie des organisation, Sciences Po, Paris

Florence Cazard, pédopsychiatre, praticien hospitalier, Centre Hospitalier de la Fondation Vallée, Gentilly (94)

Faiza Chermak, praticien hospitalier en gastro-entérologie, CHU de Bordeaux

Marie-Claude Decouard, infirmière anesthésiste, cadre de santé formatrice, membre du comité d’éthique du CHU de Bordeaux

Léo Donzel Godinot, pharmacien de santé publique, Responsable de l’Unité de soutien aux actions de prévention, CHU de Bordeaux

Laurent Gerbaud, professeur de santé publique, Chef du pôle Santé Publique & Médecine Légale et du service de Santé Publique du CHU de Clermont-Ferrand, Chef du pôle Santé Handicap et du service de Santé Universitaire de l’Université Clermont-Auvergne

Patricia Martin, infirmière coordinatrice de soins, Gironde

Olivier Mollier, neurochirurgien, praticien hospitalier, CHU de Bordeaux, membre du comité d’Ethique du CHU

Etienne Nouguez, sociologue, chargé de recherche CNRS, Centre de sociologie des organisation, Sciences Po, Paris

Clémentine Ramanoël, pédopsychiatre, Bordeaux

Valery Ridde, directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement, Centre population et développement, Paris et Dakar

Céline Robert, psychomotricienne, Formatrice Conférencière enfance et parentalités, Bordeaux

Barbara Stiegler, professeur de philosophie politique et d’éthique médicale, Université de Bordeaux Montaigne, membre du conseil de surveillance de l’Agence Régionale de Santé Nouvelle Aquitaine

Cyril Tarquinio, professeur de psychologie clinique, directeur du centre Pierre Janet, Université de Lorraine

Stéphane Velut, chef du service de neurochirurgie, CHU de Tours


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