Covid : que faire face à la crise qui se prolonge ?

mardi 3 août 2021.
 

Le surgissement de l’épidémie à l’échelle mondiale a provoqué un ébranlement des états et des sociétés qui ouvre la possibilité d’une prise de conscience large que la mondialisation capitaliste conduit à des crises très graves dont les dimensions sanitaires, sociales, écologiques sont étroitement imbriquées.

La situation actuelle, avec à la fois l’émergence en un temps record de solutions vaccinales efficaces et l’incapacité du système de production à garantir un approvisionnement universel autorisant une vaccination de masse dans des délais rapides, souligne encore les impasses du capitalisme. La prolongation de la crise est lourde de conséquences sociales et économiques, mais également de risques démocratiques en lien avec la prolongation indéfinie de l’état d’exception. En ce sens, l’épidémie mondiale est une sorte de répétition de ce qui peut se produire de pire, mais aussi une alerte sur l’ampleur des ruptures démocratiques et écologiques, économiques et politiques, qu’il faut imposer pour espérer construire une issue positive à la crise sanitaire actuelle et aux crises multiples du système. En France, le gouvernement néo-libéral et autoritaire de Macron gère la pandémie de manière à la fois opaque et inefficace, antidémocratique et brutale. Sa « gouvernance de la crise », singeant la guerre, mine et lamine le mouvement social et plus largement la société civile. Les promesses incantatoires (« les jours heureux », l’identité française à préserver dans les fêtes, la culture, etc.) combinées à l’inconséquence, à l’incohérence et à l’abandon, provoquent des refus individuels ou collectifs – y compris irrationnels ou complotistes – devant les preuves répétées d’une incapacité de la puissance publique à conduire une politique sanitaire efficace et comprise par la population. La difficulté – engendrée en partie par la peur, mais peut-être surtout par l’état de la société dans cette crise – à mobiliser par des méthodes collectives et solidaires, pèse aussi, malgré des initiatives dans plusieurs secteurs (santé, éducation, luttes contre les licenciements, auto-organisation populaire face à la pauvreté). Dans ce contexte, il faut en appeler à une rupture avec les méthodes autoritaires et cyniques du gouvernement et mobiliser pour une véritable démocratie sanitaire impliquant les collectifs populaires, ainsi que le savoir-faire des salarié.es, des associations, des syndicats.

Imaginer une alternative à la gestion du gouvernement

Dans notre précédente note, consacrée à la vaccination1, nous avions conclu que « face à un gouvernement qui conduit une politique cynique et incompétente, (…) il faut imposer une gestion collective et démocratique de la crise sanitaire et défendre une autre politique de santé et notamment des vaccins considérés comme des biens communs ». Nous défendions en particulier dans ce texte la mise sous licence publique des vaccins dont l’efficacité est démontrée et la réquisition des moyens de les produire pour engager une campagne vaccinale de masse. Cet objectif est désormais porté à travers une pétition nationale très largement signée, notamment par des personnalités engagées du monde de la santé et de la recherche et par des organisations syndicales et associatives2. Le travail autour de cette pétition se poursuit pour faire de cet enjeu un véritable enjeu de masse.

Pour autant il paraît évident qu’à court terme la pandémie va demeurer un risque concret et lourd contre lequel la vaccination ne permet pas à elle seule dans l’immédiat de prémunir la société dans son ensemble. C’est pourquoi, au-delà des seuls enjeux vaccinaux et plus largement thérapeutiques (la mise en œuvre d’un traitement curatif ou préventif) il faut imaginer et défendre une alternative radicale immédiate à la stratégie sanitaire suivie par le pouvoir.

Dans ce cadre on ne peut passer sous silence les dégâts sociaux qu’elle a déjà causé et la surdité totale face à la détresse sociale de nombreux secteurs d’un gouvernement qui a mis en cause « tout ce qui faisait lien ». Que la priorité de la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche soit une enquête sur « l’islamo-gauchisme » alors que montent tous les signes de la souffrance et de la détresse du monde étudiant est un fait scandaleux particulièrement significatif de ses priorités… Plus largement, le fait qu’aucune mesure d’urgence économique, spécifiquement à destination des moins de 25 ans qui n’ont pas accès au RSA, n’a été prise, signale la profondeur de son cynisme… De même, en ce qui concerne le secteur de la culture et du spectacle vivant, à côté d’une diffusion en direct d’Aïda sur Arte dans un opéra vide, on cherche en vain les mesures utiles et significatives, qu’il est pourtant possible d’imaginer, permettant à ce secteur de retrouver une activité, au moins partielle.

Des secteurs entiers sont ainsi laissés à eux-mêmes à l’heure où l’on trouve des milliards pour lancer un super porte-avions nucléaire… Un plan massif de soutien social et culturel est l’accompagnement NECESSAIRE à toutes mesures sanitaires.

Pour défendre une autre perspective il faut donc formuler des objectifs positifs qui permettent d’imaginer la rupture avec le cadre actuel – mortifère – de gestion de la crise. Mais pour cela on ne peut pas partir d’une appréciation fausse du risque que nous fait courir la circulation active du virus dans la population. Ainsi lorsque Barbara Stiegler écrit « Devant ce qu’ils appellent l’explosion inquiétante des contaminations et qu’ils devraient plutôt appeler l’augmentation normale et prévisible des porteurs sains (puisqu’elle est inévitable dans toute société où circule un virus et où l’on continue à vivre) »3 elle témoigne, comme d’autres, d’une compréhension lacunaire des enjeux sanitaires de la crise actuelle, qui sous-estime les risques de surmortalité liés à une circulation active du virus, même parmi les porteurs sains. Et qui sous-estime également bien entendu ses implications pour les structures de santé. Or, à raison de plus de 20 000 cas testés quotidiennement et de 400 à 500 morts (plus de 10 000 par mois), et avec la cascade de déprogrammations d’opérations et de reports de soins, après celle du printemps, qui résulte de la tension actuelle sur le système de santé, les implications sanitaires de la situation sont déjà très lourdes. Et cela au-delà même des malades infecté.es par le virus du Sars-COV2, parmi celles et ceux pour qui cette situation entraîne des pertes de chances thérapeutiques… Or, certains variants viraux laissent planer la menace d’une aggravation de cette situation, déjà intenable à moyen terme.

Une telle alternative doit donc partir au contraire d’une mesure exacte du risque et des implications de la situation actuelle pour défendre une démarche orientée par la priorité donnée à la satisfaction des besoins sociaux, centrée sur l’objectif de défendre la société plutôt que les grands groupes capitalistes, pharmaceutiques ou autres.

Objectif « zéro-covid ? »

Que défendre dans ce cadre sur le plan sanitaire ? Le débat actuel, en Europe comme aux Etats-Unis, est marqué par des interventions nombreuses en faveur d’une « stratégie de suppression virale » souvent baptisée « zéro Covid ». C’est le cas par exemple de la tribune publiée le 16 février dernier par le réseau d’universitaires critiques RogueESR dans le quotidien Libération4 et reprise de manière plus nuancée dans une note technique publiée sur le site du réseau le 17 février5.

On doit discuter la stratégie préconisée qui, du moins dans la tribune, privilégie un confinement préalable extrêmement strict comme moyen d’atteindre rapidement une réduction drastique de la circulation virale. L’objectif à atteindre étant fixé à moins de dix nouveaux cas par million et par jour (700 cas/jour contre 20 000 actuellement). Mais il n’en reste pas moins que l’argumentation des signataires en faveur d’une rupture avec la politique sanitaire suivie par le gouvernement représente une contribution utile au débat actuel. En particulier dans leur défense d’investissements massifs dans des moyens humains et matériels autorisant enfin une veille sanitaire efficace et une réduction significative de la circulation virale.

Les signataires proposent ainsi « la généralisation de tests rapides et la mobilisation de 40 à 50 000 enquêteurs de terrain (…) assurant un suivi humain des malades et des cas contacts et mettant en œuvre leur prise en charge et leur isolement ». Ils/elles envisagent « le cas échéant (…) des confinements brefs et localisés [qui] peuvent être mis en place en cas de redémarrage de l’épidémie ». Ils/elles recommandent « l’analyse systématique des eaux usées [qui] permettrait de détecter ces redémarrages très vite (…) ». Le tester-tracer-isoler devrait s’accompagner « d’investissements supplémentaires destinés à sécuriser les lieux publics en les équipant de ventilateurs à filtre HEPA, de flashs UV mais aussi de capteurs de CO2 et de particules fines qui permettent de quantifier précisément le risque dans un lieu donné et donc d’adapter la réponse sanitaire aux caractéristiques de l’endroit ». Enfin, selon les signataires « la stratégie se doit d’être concertée et synchronisée, à l’échelle européenne, afin d’éviter de compromettre les résultats par des réimportations incessantes de virus aux frontières ». Et ils/elles soulignent que « la stratégie d’élimination pose de plus la question du pilotage social de l’appareil productif, dans la mesure où à moyen terme, ces équipements imposeront une production publique continue de masques, de tests, de ventilateurs et de filtres ».

On peut critiquer le détail et souligner peut-être certaines illusions techniques dans la réponse à la crise, il n’en reste pas moins que toutes ces mesures sont articulées explicitement à la volonté de rompre avec les aberrations et incohérences de la politique sanitaire actuelle et de retrouver une vie sociale la plus normale possible. Si elles étaient systématisées et couplées avec une gestion démocratique de la crise, en rupture avec la brutalité inconséquente du gouvernement (les couvre-feux, la fermeture des universités, etc.), elles permettraient en effet de viser une réduction significative de la circulation virale.

Il est évident qu’une telle stratégie n’a de sens que si elle dépasse l’approche strictement technico-médicale, pour prendre en considération toutes les dimensions de la crise. Il est clair également qu’elle peut être nuancée selon les territoires et ne suppose pas nécessairement une mise en œuvre uniforme pour tout le territoire national. Dans ce cadre il faut aussi inventer et promouvoir des solutions reposant sur l’alternance (au travail, à l’école, à l’université, dans les transports…) et l’adaptation cohérente et intelligente des usages aux contraintes imposées par la pandémie. Le livret LFI sur « la société du roulement »6 représente à cet égard une contribution intéressante et importante. Bien entendu cela suppose une révision radicale des préceptes qui ont gouverné la stratégie sanitaire jusqu’ici : centralité de la culture, protection des catégories les plus fragiles (notamment le monde des précaires et des saisonniers) plutôt que des grands groupes qui licencient – et un réarmement complet des services publics : santé et hôpital, éducation, enseignement supérieur et recherche, etc.

Enfin, cela passe par une critique radicale des conditions de décision et de « gouvernance » actuelles : la loi urgence et le désarmement du parlement, la gestion exclusive par l’exécutif à travers un conseil de défense opaque. Sur ce terrain il est temps en effet que se déploie une campagne politique et sociale qui mette la restauration d’un cadre de délibération et de décision démocratique au cœur de la réponse sanitaire.

Défendre un horizon de rupture démocratique face à la gestion cynique et inefficace du gouvernement

Une alternative de cette portée suppose la mobilisation de ressources considérables et une rupture radicale avec le cadre politique de gestion de la crise qui nous a été imposé. Sortir de la paralysie actuelle impose donc de construire un horizon de rupture sur le terrain démocratique autant que sur le terrain matériel.

Des interventions existent qui développent des réflexions et des propositions précieuses dans le sens d’une véritable démocratie sanitaire. Mais elles peinent à s’imposer dans le débat public, comme s’il existait une « omerta » sur la possibilité d’une gestion plus respectueuse de l’implication des populations, à la place de l’obéissance infantile aux injonctions7. Le texte de Barbara Stiegler déjà cité vise juste sur ce terrain : « (…) l’issue dépendra aussi de notre empressement à défendre ou enterrer la démocratie (…) ». Elle suggère « (…) la reconquête des espaces publics et la participation de tous à la science et au savoir. »8

Dans cette direction, il convient d’articuler des mesures démocratiques et des mesures d’éducation populaire et de maîtrise citoyenne des enjeux sanitaires et scientifiques.

Rupture avec le verticalisme et défense de la démocratie :

– Il faut défendre la rupture avec la gestion autoritaire et discrétionnaire de la crise par l’exécutif : dissolution du conseil de défense, réarmement du parlement dans la gestion de la crise, remise en cause du carcan imposé par la loi urgence.

– Quant au conseil scientifique, sa dévolution à l’exécutif doit cesser et sa mission doit être clarifiée en lien avec une restauration du contrôle démocratique sur la gestion de la crise. Dans ce cadre, sa composition doit-être interrogée et régularisée, notamment dans son articulation aux autorités de santé publique. Elle doit mieux intégrer, non seulement les problématiques sociales, mais également les préoccupations logistiques liées à la gestion de la crise et faire une place y compris à des acteurs/actrices compétent.es dans ce domaine, notamment issu.es de la protection civile.

– Bien entendu la restauration d’un cadre de délibération démocratique au sein du parlement, à la hauteur des enjeux de la crise et de la rupture qu’elle suppose, exigerait en réalité un moratoire sur les lois scélérates du gouvernement – Lois séparatisme et sécurité globale, Loi de réforme de l’Enseignement supérieur et de la Recherche – ainsi que sur les décrets sur l’assurance-chômage. De même qu’un abandon clair du projet de loi Retraite.

Significativement le gouvernement n’a rien proposé depuis mars 2020 pour que les enjeux politiques, sociaux et sanitaires de la situation soient débattus et maîtrisés collectivement, ni avec le parlement et les collectivités territoriales, ni a fortiori avec les syndicats, les associations, les citoyen.nes qui subissent la crise.

Ainsi, la gestion hyper centralisée via les ARS de la vaccination est un exemple de ce qu’il ne fallait pas faire. Un contrôle minimal par des collectifs locaux de sa mise en œuvre au plan des territoires aurait permis d’éviter le scandale des résident.es du XVIe arrdt de Paris vacciné.es en Seine St-Denis au détriment des résident.es prioritaires de ce département. De même, quand il est nécessaire, un confinement accompagné par la distribution à l’échelon local et micro-local, où la connaissance des situations de misère et d’exclusion est la plus fine, des produits et biens essentiels aux individus et populations les plus défavorisées, changerait la donne. Plutôt que des injonctions par en haut à coup de conférences de presse, une gestion plus décentralisée, adaptant le cadre général aux spécificités locales de l’épidémie et aux besoins sociaux est nécessaire : le refus de tenir compte des avertissements des élus de Dunkerque et de Moselle est, là aussi, significatif.

– Il faut donc également défendre la mise en œuvre d’une expertise citoyenne indépendante au plan national – pourquoi pas sous l’égide du CESE, comme cela a été le cas de la Convention citoyenne sur la transition écologique. Elle devrait être prolongée par la création de structures territoriales de pilotage faisant une large place à l’expertise des acteurs de terrains et des citoyen.nes, autorisant une adaptation fine des préconisations générales.

– Enfin il faut favoriser à tous les niveaux la prise en compte de l’expertise des travailleurs et travailleuses : salarié.es du privé, agent.es du service public, et de leurs organisations. En particulier dans les secteurs clés, non seulement de la santé, mais de l’éducation, des transports publics, de la distribution…

Education populaire et savoir scientifique :

Les préconisations confuses et contradictoires, les aberrations et les incohérences de la stratégie gouvernementale sont facteurs d’inquiétudes qui alimentent le rejet de toute mesure sanitaire, voire le développement d’un déni de la pandémie et une lecture complotiste de la situation, y compris dans des sphères parfois proches de nous.

Une gestion alternative doit donc intégrer cette défiance. La cohérence des mesures et la mobilisation des ressources de l’économie, de l’état et de la société au service de la population pour faire face à la crise, sont les premières réponses à celle-ci. Au-delà il faut mettre en œuvre une politique d’éducation de masse, fondée sur le partage des connaissances et des ressources pour comprendre la crise. Mais en étant bien conscients que le critère déterminant d’efficacité d’une telle approche c’est la rupture avec l’opacité qui règne actuellement dans la gestion et la construction d’une stratégie effectivement plus efficace et plus démocratique. Celle-ci, en impliquant largement la population, en favorisant l’auto-organisation et l’auto-éducation sur les questions sanitaires, pourrait favoriser également une amélioration significative du vécu collectif de cette crise.

Il faut rechercher une appropriation à la fois collective et fine des savoirs scientifiques et sanitaires, consciente des critères qui en déterminent la solidité et de leur caractère dynamique et en construction. Il convient donc d’assumer au grand jour l’existence de débats et même de controverses, tout en ne cédant jamais au relativisme et à la facilité qui nie toute possibilité d’accéder à des critères de vérité par la vérification et l’expertise établies scientifiquement. Il convient également d’exiger toute la clarté sur les rapports entre sciences, institutions publiques et laboratoires privés : publication des accords commerciaux, des subventions, mise à jour des forces de lobbying, des conflits d’intérêts.

Enfin bien sûr, il faut prendre acte des conséquences désastreuses de la politique suivie en matière de recherche depuis plusieurs décennies, pour la réorienter radicalement : reconstruction d’une puissante recherche publique, reconstitution et contrôle public des capacités de recherche développement, qui ont été sacrifiées dans des secteurs stratégiques aux intérêts à court terme et à la logique financière du privé. Cela implique une révision complète du système de la formation et de la recherche, la défense résolue d’un enseignement supérieur public dégagé des impératifs de la marchandise et des pressions du privé et une politique de protection des ressources nationales et européennes de recherche et développement.

Construire un large front

La situation sanitaire actuelle peut amener un nouveau confinement comme seule réponse susceptible d’être activée face à une nouvelle flambée épidémique. D’ores et déjà la perspective de confinements locaux rigoureux est posée. C’est en très grande part la conséquence de la stratégie cynique et socialement inefficace du gouvernement. Mais quoiqu’il en soit à cet égard, la question d’un contrôle efficace de la circulation virale demeurera longtemps encore une question centrale et pour l’instant non-résolue en France et même en Europe. A partir d’une critique radicale de la gestion du gouvernement, en changeant radicalement de paradigme pour remettre au centre les exigences sociales et démocratiques, il faut en parallèle avec la campagne à mener sur les enjeux liés à la vaccination, favoriser la construction d’un large front citoyen, politique et social, pour la mise en œuvre des conditions matérielles et politiques d’une gestion de la crise sanitaire orientée par le bien commun, par la priorité donnée à la satisfaction des besoins sociaux, par la défense des catégories les plus fragiles et les plus exposées sanitairement et socialement. Il faut donc s’atteler de toute urgence à sa construction et inscrire son développement dans l’horizon positif d’une rupture avec la faillite actuelle du système et du gouvernement.


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