À Rio de Janeiro, les paramilitaires sont devenus les rois du racket

samedi 7 août 2021.
 

Dans les favelas de la deuxième ville du Brésil des milices formées de membres ou ex-membres des forces de l’ordre font régner la loi et la peur en offrant leurs “services” aux habitants. Avec parfois la complicité d’une partie du monde politique. Un récit du site El País Brasil.

ll restait plus d’une heure avant l’aube quand il est arrivé chez lui. On était le samedi 12 juin, le Dia dos Namorados, la “Saint-Valentin” brésilienne, et l’homme le plus recherché de Rio de Janeiro venait rendre visite à sa femme et à ses trois enfants. Une situation idéale pour une embuscade. Ecko, un ancien trafiquant qui était dernièrement devenu l’allié de milices formées par des policiers véreux, a été interpellé par un groupe de 21 policiers.

Ecko a survécu à un premier tir dans la poitrine. Une photo publiée par la police le montre encore vivant. Cependant, quelques instants après l’opération, il est arrivé ce qui arrive si fréquemment au Brésil : le suspect est mort pendant son transport à l’hôpital. Il a reçu une deuxième balle dans la poitrine dans la voiture de police, “après avoir tenté de prendre l’arme d’un policier”, selon la version officielle.

De l’autre côté de la loi

Un finale au parfum cinématographique, dans cette ville hédoniste où la pègre est en évolution permanente sur fond de fusillades, d’alliances et de ruptures. Wellington da Silva Braga, plus connu sous le nom d’Ecko, était le chef de la milice la plus puissante de Rio.

Les milices constituent aujourd’hui la partie la plus importante de la criminalité organisée de la région de Rio, berceau politique du clan Bolsonaro. La différence principale entre elles et leurs concurrents – les narcotrafiquants, notamment –, c’est que ses membres sont, ou ont été, à la solde de l’État : ce sont des policiers, pompiers, gardiens de prison et autres qui sont passés de l’autre côté de la loi.

Certains ont été chassés de leur corps, d’autres concilient uniforme et banditisme. La journaliste Cecília Olliveira, qui s’est spécialisée dans la sécurité publique, étudie de près l’énorme avantage qu’ils possèdent sur les autres criminels :

Ils ont accès à des informations privilégiées, à des armes, à des munitions, et peuvent négocier avec les autres organismes publics du fait de leur statut d’agents publics.

Les premières milices sont arrivées dans les favelas il y a des décennies avec une proposition séduisante : faire régner l’ordre. Elles promettaient de tenir les trafiquants à distance moyennant une petite contribution.

Cette activité originale continue. Un résident de Jacarepaguá, un quartier de plus de 150 000 habitants de la zone ouest de Rio, explique que dans son immeuble “ils prennent 50 reais [8 euros] de taxe de protection par appartement. Le paradoxe, c’est qu’on paie pour se protéger contre eux.” Cet homme a demandé à conserver l’anonymat : l’omerta règne dans la Cidade Maravilhosa – la “cité merveilleuse”.

Les premières années, les autorités, l’opinion publique et les médias voyaient les milices d’un bon œil. L’enlèvement de quelques journalistes et une commission d’enquête qui, en 2008, a identifié 200 suspects ont contribué à faire changer cette attitude. Le président Jair Bolsonaro faisait partie des partisans initiaux des milices. Les militaires et les policiers ont toujours été une de ses principales bases électorales et Rio est son fief politique.

Des secrets emporté dans la tombe

Adriano da Nobrega – qui présentait la particularité d’être à la fois policier et tueur à gages – était le lien le plus direct du clan Bolsonaro avec ces groupes. Flávio Bolsonaro, sénateur et fils du président, l’avait décoré et avait employé pendant des années sa mère et sa femme au sein de son cabinet. Nobrega a été abattu lors d’une opération de police à Bahia, peu avant le début de la pandémie,, et a ainsi emporté dans la tombe les secrets des égouts de Rio.

En rançonnant leurs voisins et les commerçants, les milices de policiers véreux ont accumulé territoires et pouvoir. Leur activité s’est étendue comme une hydre dans l’État de Rio. Elles contrôlent déjà plus de territoires que les narcotrafiquants dans la capitale de l’État…

Les groupes comme celui qui était dirigé par Ecko imposent leur loi et leurs services : taxe de protection, transports collectifs officieux – que nombre de résidents préfèrent parce qu’ils fonctionnent mieux que les transports publics –, bouteilles de gaz, télévision par câble, connexion Internet. Ils offrent des services de base et la sécurité comme s’ils étaient les pouvoirs publics.

Vivre sous tutelle

Ils se consacrent également aux assassinats sur commande, avec la particularité d’enterrer les cadavres dans des cimetières clandestins pour ne pas laisser de traces. D’après une femme qui souhaite conserver l’anonymat, quand on vit sous leur tutelle on oublie la peur des vols ou de ces opérations de police quotidiennes et spectaculaires avec des dizaines d’agents qui tirent dans des rues bondées. “Il arrive parfois qu’une opération de police légitime ouvre la voie à une milice qui finit par occuper les lieux”, explique Cecília Olliveira.

C’est l’assassinat en 2018 de la conseillère municipale PSOL (Partido Socialismo e Liberdade) Marielle Franco, pour lequel deux ex-membres de la police militaire sont détenus en attente de jugement, qui a fait connaître ces bandes.

Le meurtrier présumé était l’un des meilleurs tireurs de son corps avant de devenir tueur à gages. Il est apparu qu’il possédait un arsenal et qu’il avait un logement dans la même résidence que Jair Bolsonaro. Le Rio le plus fétide émergeait après une période de douceur apparente.

Pendant que le Brésil mobilisait les militaires dans les favelas dominées par les trafiquants pour garantir le calme pendant la Coupe du monde de football de 2014 et les Jeux olympiques de 2016, les milices se sont étendues loin des projecteurs, explique Cecília Olliveira. Les groupes nés pour traquer les gangs de trafiquants ont fini par s’associer avec eux. Ecko est un exemple de ce lien et des mutations de la criminalité organisée. Il venait du trafic, pas des forces de sécurité.

“Un bon gangster est un gangster mort”

Un fait que Flávio Bolsonaro s’est empressé de souligner le jour où il a été abattu : “Ecko n’a jamais été policier”, a-t-il tweeté avant d’exprimer son “soutien inconditionnel aux vrais policiers de tout le Brésil”. Et Cláudio Castro, le gouverneur de l’État de Rio (PL, Partido Liberal) a proclamé :

“C’est un jour historique. Nous célébrons le fait d’avoir retiré de la circulation quelqu’un qui symbolisait l’impunité”

Le sociologue Jose Cláudio Alves interprète l’élimination du chef de milice de manière bien différente. Il étudie ces groupes depuis les années 1990 :

“Je suis convaincu qu’Ecko était un simple soldat, qu’il ne faisait que gérer un territoire. Il n’était pas le personnage clé”

Selon lui, l’opération visant Ecko et celles qui se sont déroulées l’année dernière se sont concentrées sur ce qu’on appelle les “narcomiliciens”, avec deux objectifs : “Blanchir les agents de l’État” et renforcer le discours : “Si je te tue, tous les problèmes sont résolus”.

La devise “Un bon gangster est un gangster mort” a beaucoup de succès au Brésil. Et l’amalgame de policiers criminels, de personnalités politiques et d’entrepreneurs aux affaires troubles étend méthodiquement le champ de leurs activités tout en conquérant le pouvoir dans les quartiers et les mairies.

Naiara Galarraga Gortázar

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