Mohammed Harbi, mémoires filmés

dimanche 8 août 2021.
 

23 entretiens, pour un total de 38 heures, éclairant non seulement l’histoire de l’Algérie mais aussi une réflexion servant à l’émancipation.

Entretiens et réalisation Bernard Richard et Robi Morder, sur une idée de Claude Kowal.

En ligne sur https://www.youtube.com/channel/UC_....

Mohammed Harbi a eu, depuis la guerre d’indépendance algérienne jusqu’à aujourd’hui, un parcours exceptionnel. Il a consacré sa vie à la lutte contre le colonisateur puis contre la dictature militaire qui s’est emparée de son pays. Il est convaincu que toute évolution démocratique de l’Algérie est soumise à la condition nécessaire que son histoire ne soit plus ­instrumentalisée par les pouvoirs.

« Un nationaliste authentiquement internationaliste »

Nous avons, avec Bernard Richard, passé neuf ans avant d’aboutir à la mise en ligne des mémoires filmés de Mohammed Harbi. Nous nous sommes orientés vers la constitution d’archives filmées, au service de l’histoire, à l’attention d’un public aussi bien algérien que français.

Né le 16 juin 1933 à El Arrouch, Mohammed Harbi, historien reconnu, a d’abord été un militant engagé pour l’indépendance de l’Algérie dès le lycée, à 15 ans, au sein du MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). À Paris, où il vient étudier, il noue des relations avec la gauche française, notamment les anticolonialistes qu’ils soient socialistes, communistes, libertaires, trotskistes. Les militantEs de la Quatrième Internationale, dirigée alors par Michel Pablo, vont apporter un appui matériel et politique à la lutte pour l’indépendance et c’est eux qui, outre la France, vont en Belgique ou en Allemagne être les intermédiaires entre le FLN et des personnalités du mouvement ouvrier, syndicalistes, députés, responsables d’organisations.

Dès cette époque, Mohammed Harbi porte une vision de l’Algérie nouvelle, démocratique, sociale, sécularisée, en nationaliste authentiquement internationaliste. Il défend le projet d’une UGEA (Union générale des étudiants d’Algérie), à l’encontre du projet d’UGEMA (Union générale des étudiants musulmans d’Algérie). Responsable de la commission de presse de la Fédération de France du FLN, il devient membre de cabinets ministériels du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), puis expert aux premières négociations d’Évian. Principal rédacteur du « programme de Tripoli », il est après l’indépendance directeur de l’hebdomadaire Révolution africaine, et cherche à mettre en application les décrets sur l’autogestion pris sous le gouvernement de Ben Bella. Cette période voit s’affirmer une résistance aux avancées démocratiques et sociales (obstacles à l’autogestion, code de la nationalité restrictif privilégiant la référence religieuse, pression pour le retour des femmes « à la maison ») et s’affermir les tendances conservatrices et autoritaires – déjà sous-jacentes dans la guerre.

Témoignage d’un homme toujours debout

Le coup d’État de Boumédienne en 1965 confirme la place centrale de l’armée, la cristallisation, derrière des discours « socialistes », d’une nouvelle bourgeoisie. Arrêté en septembre 1965, Mohammed Harbi est détenu dans la prison de Lambèse à Annaba, de triste réputation. En 1968, il est en résidence surveillée dans le Sahara. Avec Hocine Zahouane, comme lui co-fondateur de l’ORP (Organisation de la résistance populaire), il s’évade en 1970 et se réfugie en France où il enseigne aux universités de Paris 7 puis Paris 8 (Vincennes/Saint-Denis).

Le témoignage que cet homme toujours debout, qui s’est – dédaignant les honneurs, les propositions de postes ministériels, la corruption – placé au service de l’émancipation, apporte au cours de ces 23 entretiens, n’est ni une simple autobiographie ni un cours. C’est un permanent aller-retour entre situations, dilemmes, expériences vécues et réflexions qui valent tant pour le passé que comme éclairage du présent. L’on se rend ainsi compte de l’absence de véritables débats politiques au sein du FLN, remplacés par des négociations et compromis de clans, de la primauté du militaire, au point que l’on peut parler d’un parti/armée, des limites du populisme en tant qu’il promeut une unité du peuple sans traiter des différenciations sociales, de classe, des difficultés de faire passer les discours progressistes en actes concrets.

Notre projet initial, un documentaire, n’avait pu aboutir, faute de soutien de producteurs et de chaînes de télévision. L’histoire d’un Algérien, de surcroît de gauche, n’aurait pas permis un « retour sur investissement ». Aujourd’hui dans ce témoignage, des documentaristes pourront puiser pour apporter un éclairage original sur ces décennies de lutte d’un peuple dont la révolution a été suspendue, inaboutie. Achevés alors que le Hirak est en cours, ces mémoires filmés peuvent permettre de répondre à un besoin de connaître l’histoire (effacée par les autorités qui n’en conservent que ce qui est utile pour elles) pour les jeunes générations, mais également d’outil pour le présent tant une série de questions anciennes demeurent d’actualité.

Robi Morder

Notice du Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article...

Le livret aux éditions Syllepse : https://www.syllepse.net/syllepse_i...


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