Conflit ou consensus en France 2021

mercredi 25 août 2021.
 

Emmanuel Macron veut incarner une France pacifiée et consensuelle. Cette vaine promesse exacerbe la violence physique dans la société, estiment des chercheurs qui proposent de réintroduire de la conflictualité.

« Et en même temps ». Ce tic de langage d’Emmanuel Macron a fait couler beaucoup d’encre. Le président de la République qui espérait incarner une politique « et de gauche et de droite », qui se voulait « et d’une France et d’une autre », n’a eu de cesse depuis son élection de nier les antagonismes. À la conflictualité, il préfère le consensus. Aux débats politiques, les avis d’experts. Aux inquiétudes de la démocratie, le côté rassurant de la technocratie.

Mais sous couvert de société harmonieuse, le consensus ne cache-t-il pas une fausse bonne idée ? Cette logique présidentielle constitue-t-elle vraiment un antidote à la violence sociale partout blâmée depuis que des heurts ont éclaté dans le cortège de tête de la manifestation du 1er Mai ? Rien n’est moins sûr, affirme le sociologue Michel Wieviorka, qui vient de publier Face au mal. Le conflit, sans la violence (éd. Textuel, 2018). Il est persuadé qu’à force de refuser le conflit, certains manifestants ne voient plus d’autre solution pour se faire entendre que de jouer des muscles : « Les Black blocs sont moins une manifestation narcissique qu’une expression de rage, de ressentiment, de haine, de désespoir. Il y a, dans la violence, des éléments de sens qui peuvent renvoyer à du conflit perdu, introuvable, impossible. Du conflit qui pourrait transiter autrement que par la violence dans un autre contexte », estime-t-il.

Post-politique

Plus les espaces de discussion se referment, plus l’affrontement physique devient un exutoire privilégié pour sortir du refoulement imposé. « Si on ne gère pas ce qui divise une société, on rentre dans la violence », résume Michel Wieviorka. Et de ce point de vue, la croyance jupitérienne dans les vertus du consensus n’arrange rien : « Dans la situation présente, les risques de violence sont grands », avance-t-il. Car le pouvoir politique mis en place avec l’élection d’Emmanuel Macron est fragile, car sa base initiale est étroite, car les extrêmes l’attendent à tous les tournants. Mais surtout parce qu’« on voit mal comment pourrait se reconstruire un espace politique de débats comme celui que peut incarner une opposition structurée entre gauche et droite ».

« Il existe dans la société des intérêts et des positions irréconciliables, et il ne suffit pas de nier ces antagonismes pour les faire disparaître. »

Chantal Mouffe

Depuis Hobbes, on attend d’un État moderne qu’il établisse la paix et permette à tout le monde de vivre ensemble, sans tomber dans la guerre de tous contre tous. Pour cela, chaque individu doit transférer ce droit naturel à la préservation de soi à une autorité. Mais pacifier, ce n’est pas escamoter le débat, sauf à se leurrer. La philosophe Chantal Mouffe, théoricienne du populisme ayant inspiré le mouvement Podemos en Espagne, Jean-Luc Mélenchon comme Benoît Hamon en France, dénonçait l’« illusion du consensus » dans un ouvrage au titre éponyme publié en avril 2016, qui tombait à pic pour décrypter la séquence électorale à venir. Un an plus tard, alors qu’Emmanuel Macron vient tout juste d’être élu, elle explique dans une tribune au Monde que celui-ci représente « le stade suprême de la post-politique ». Tous les ingrédients de la nouvelle gouvernance théorisée en Grande Bretagne par le sociologue Antony Giddens et initiée par le New labour de Tony Blair sont là. En pire.

Le nouveau président français ne fait même plus semblant de croire au bipartisme : cette alternance entre centre-droit et centre-gauche qui rejetait du côté des extrêmes toute critique de la logique néolibérale est désormais obsolète. « C’est la possibilité même de contestation qui est récusée avec la disparition de la distinction entre la droite et la gauche », déplore-t-elle. « Comme nous le savons depuis Machiavel, il existe dans la société des intérêts et des positions irréconciliables, et il ne suffit pas de nier ces antagonismes pour les faire disparaître », rappelle en effet Chantal Mouffe.

Prévenir l’explosion

Refuser de créer des lieux pour que ces clivages puissent s’exprimer, c’est comme mettre un couvercle sur une cocotte-minute en oubliant d’actionner la soupape. À l’intérieur, ça bouillonne et ça fume. À l’extérieur, ça siffle doucement, puis de plus en plus fort. Et à la fin, la pression est telle que ça explose. L’histoire l’a montré : « Dans la société française, on est d’autant plus dans des risques de perte de sens que les grands repères à gauche qu’apportaient le marxisme, le communisme, étaient des cadres de référence qui permettaient de se projeter vers l’avenir. Quand ils ont commencé à se pervertir dans les années 1970, c’est alors qu’on a vu s’ouvrir l’espace de la violence », soutient Michel Wieviorka. Ainsi, selon lui, c’est quand le mouvement ouvrier s’est mis à décliner, privé de prolongement politique, qu’il a laissé la place aux Brigades rouges en Italie.

Contre cette obsession présidentielle de l’harmonie, Michel Wieviorka comme Chantal Mouffe plaident pour une vraie confrontation d’idées. Le premier en appelle ainsi à un « conflit institutionnalisé » : « Si dans une entreprise il n’y a pas de syndicat, le jour où des difficultés surgissent, la direction se trouve confrontée à des conduites de violence car personne n’est là, en face, pour discuter. Dans une commune où aucune association ne se fait le vecteur des attentes et demandes de la jeunesse, des émeutes peuvent éclater. Il vaut mieux des interlocuteurs exigeants, des "casse-pieds", plutôt que tout s’embrase », suggère-t-il. La seconde défend un pluralisme « civilisé ». « L’objectif d’une démocratie pluraliste n’est pas d’arriver au consensus, mais de permettre au dissensus de s’exprimer grâce à des institutions qui le mettent en scène d’une façon "agonistique" », défend-elle. À ses yeux, le rôle des institutions démocratiques consiste à fournir un cadre pour « s’opposer sans se massacrer ».

Marion Rousset


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