Moderna, l’argent public et les paradis fiscaux

lundi 30 août 2021.
 

L’enquête d’une ONG montre comment le laboratoire qui fournit l’un des vaccins contre le coronavirus s’est enrichi sur le dos des Etats et en pratiquant massivement l’évasion fiscale

Les scientifiques qui ont découvert les vaccins ARN messager susceptibles de nous protéger contre le coronavirus, et peut être bientôt d’autres maladies aux formes diverses comme les cancers, méritent nos remerciements.

Les labos qui les fabriquent et les commercialisent les méritent beaucoup moins.

Ils n’y ont vu qu’une seule opportunité : s’enrichir grâce à la pandémie sur le dos des Etats et des contribuables. Dans le cas de Moderna, dont les pratiques viennent de faire l’objet d’une enquête de la part de l’ONG SOMO, c’est doublement le cas : en pompant l’argent public, puis en transférant les profits réalisés dans les paradis fiscaux.

Replongeons-nous quelques instants dans la situation de l’entreprise de biotechnologies juste avant la pandémie. Elle a été fondée en 2010 afin de poursuivre des recherches sur la technique de l’ARN messager. Elle a réussi pour cela à réunir, au fil des ans, 1,5 milliard de capital privé, en premier lieu auprès de fonds d’investissements tels que Ballie Gifford, Vanguard ou BlackRock qui sont ses principaux actionnaires. S’y ajoutent 680 millions d’investissements récupérés à partir de collaborations. Tout cela pour rien : en 10 ans, l’entreprise n’a rien trouvé, rien vendu, rien gagné.

Merci l’argent public !

Puis le coronavirus s’est répandu dans le monde. Moderna s’est alors retrouvée sous la corne d’abondance : le gouvernement des Etats-Unis lui a octroyé 4,1 milliards de dollars pour la recherche, les essais cliniques et la production de vaccins, auxquels se sont ajoutés 900 000 dollars de la part de COVAX, l’initiative publique mondiale en faveur des pays pauvres.

Avec ces 5 milliards, bientôt complétés par les précommandes de l’Union européenne, Moderna a pu s’appuyer sur les deux innovations que représentent l’ARN messager et la protéine Spike, deux révolutions issues de la recherche publique américaine. Elle a alors développé un vaccin ARN messager, là encore avec l’appui, non seulement de l’argent mais aussi de la recherche publique américaine : le brevet Moderna est codétenu avec le gouvernement américain.

En recevant l’argent de ce dernier, l’entreprise s’était engagée à être transparente sur la part de ses investissements financée par l’argent public. Elle ne l’a pas fait. L’enquête de SOMO montre qu’il a été plus que prépondérant.

En recevant l’argent de COVAX, l’entreprise s’était également engagée à servir rapidement les pays pauvres et intermédiaires. Elle ne l’a pas fait. Il a fallu attendre mai 2021 pour qu’elle consente à livrer 34 millions de doses. C’est très peu comparé aux centaines de millions de doses qu’elle a vendues aux prix forts sur les marchés solvables de l’Europe et des Etats-Unis. Innovation... fiscale

Mais la cupidité des dirigeants de l’entreprise est loin de s’arrêter là.

Si vous souhaitez visiter les bureaux de Moderna, il faudra vous rendre dans le Massachusetts. Enfin, vous n’y trouverez qu’une filiale. La maison mère, elle, est enregistrée dans un autre Etat : le Delaware, paradis fiscal notoire dans lequel on trouve 973 000 habitants et 1,5 million d’entreprises !

Vous y trouverez également une autre société, ModernaTX, entité qui détient tous les brevets de l’entreprise.

Le Delaware présente tous les avantages de l’opacité que peut proposer un paradis fiscal, en particulier l’absence d’obligation de rendre public ses comptes, un impôt sur les sociétés à 8,7 %, un système judiciaire favorable aux actionnaires et aucune taxe sur les revenus des actifs immatériels comme les brevets… Ca tombe bien : ModernaTX détient justement 780 brevets dont 595 sont liés à la technologie de l’ARN messager. Suivant un schéma habituel, toutes les filiales de l’entreprise en lien avec le vaccin doivent payer des droits à ModernaTX, transférant ainsi une partie des profits au Delaware où ils ne seront pas taxés.

Mais le sens de l’innovation – fiscale - des dirigeants de l’entreprise ne s’arrête pas là. Comme on peut le voir dès la première page de la partie rendue publique des contrats de préachats de vaccins par l’Union Européenne, l’Europe négocie avec Moderna Switzerland GmbH. Cette filiale, créée en juin 2020 dans le canton de Bâle (Suisse), semble ne jouer aucun rôle ni dans la recherche, ni dans la production de vaccins. Elle est en revanche immatriculée dans le territoire classé par le Tax Justice Network comme le troisième le plus opaque au monde, et le cinquième le plus utilisé par les multinationales pour échapper aux impôts.

En résumé, Moderna est une entreprise qui vend un produit financé par de l’argent public, revendu aux Etats au prix fort pour un profit qui, selon les estimations, devrait atteindre 8 à 10 milliards de dollars en 2021. Profits qui vont se retrouver en grande partie dans les paradis fiscaux.

Il fut un temps, après la Première et la Seconde Guerre mondiale, où les Etats avaient instauré des taxes sur les « profiteurs de guerre »...

Ah, au fait : le Directeur général de Moderna, Stéphane Bancel, est au sommet de la liste des neuf personnes dans le monde devenues multimilliardaires grâce à la pandémie (fortune de 4,3 milliards). Une liste dans laquelle on trouve également Timothy Springer et Robert Langer, deux scientifiques actionnaires fondateurs de l’entreprise (respectivement 2,2 et 1,6 milliards) ainsi que le président de l’entreprise, Noubar Afeyan (1,9 milliard).

L’histoire ne dit pas quelle stratégie fiscale ils comptent suivre.

Christian Chavagneux


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