Le mouvement de 2019 à Hong Kong, et son écrasement

lundi 30 août 2021.
 

vendredi 27 août 2021, par BARON Alain

De juin à décembre 2019 un gigantesque mouvement pour la démocratie a eu lieu à Hong Kong. Jusqu’à 2 millions de personnes sont descendues dans la rue, soit l’équivalent de la moitié de la population adulte.

1. Quelle étaient les revendications du mouvement ?

Seule une infime minorité réclamait l’indépendance.

La revendication initiale était le refus d’un projet de loi rendant possible l’extradition sur le continent de toute personne présente à Hong Kong.

S’y est ajouté, à partir du 1er juillet, celle de l’élection au suffrage universel du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, qui est devenue la revendication centrale du mouvement.

Ce droit n’a jamais existé à Hong Kong.

Du temps de la colonisation britannique (1841-1997) : Le pouvoir exécutif était exercé par un gouverneur nommé par Londres

Le Conseil législatif (LegCo) avait pour seul rôle de l’assister. Pendant 149 ans, aucun de ses membres n’a été élu par la population. Ce n’est qu’en 1991, six ans avant leur départ, que les britanniques ont introduit une dose limitée de suffrage universel concernant l’élection de 30 % des membres du Conseil législatif.

Lors de la négociation sur la rétrocession de Hong Kong à la Chine, les Etats britanniques et chinois avaient fait en commun une promesse floue d’instauration du suffrage universel à une date non précisée.(1) Une trentaine d’années plus tard, cette promesse n’a toujours pas été honorée.

2. Qui dirigeait Hong Kong en 2019 ?

Formellement un pouvoir régional « autonome ».... mais :

Pas plus que le gouverneur nommé antérieurement par le pouvoir britannique, le/la cheff.fe de l’Executif hongkongais n’était élu.e par la population. Il/elle était choisi.e par un collège fermé de 1 200 personnes triées sur le volet (soit 0,003 % de la population adulte), dominé par les sommets de la société et très majoritairement favorable au régime de Pékin.

En ce qui concerne le Conseil législatif (LegCo), les procédures alambiquées mises en place ont toujours permis aux partisan.es de Pékin d’y être majoritaires en siège. Et cela alors même que celles-ci ont toujours été minoritaires en voix pour la partie des sièges élus au suffrage universel.

Sur le plan judiciaire continuaient à rester temporairement en vigueur une série de droits datant des britanniques : la liberté d’expression et d’organisation, le droit de grève, un Etat de droit, une relative indépendance du système judiciaire, etc.

Avaient été également soigneusement conservées les lois liberticides datant des pires moment de l’époque coloniale.

Même si le PC chinois n’a jamais eu d’existence officielle à Hong Kong, il y a toujours été secrètement présent. A partir de 1997, il a joué dans l’ombre un rôle déterminant.

3. Quels ont-été les signes prémonitoires de ce mouvement ?

En 2014 avait déjà eu lieu le Mouvement des parapluies qui avait paralysé 24h sur 24 le centre de Hong Kong pendant 79 jours. Sa revendication principale était, déjà, l’obtention d’élections au suffrage universel. Il avait été mené par des jeunes n’ayant pas connu la colonisation britannique et qui combattaient la mainmise croissante des autorités chinoises dans l’éducation. Ce mouvement se situait en rupture avec la politique des forces traditionnelles d’opposition qui depuis des années espéraient parvenir au suffrage universel graduellement par le biais de négociations sans fin avec les autorités chinoises.

Malgré l’ampleur du mouvement, les autorités n’ont pas cédé et la plus grande partie de la jeunesse en est ressortie démoralisée.

Mais une nouvelle génération militante était née qui s’est massivement remobilisée par la suite. En ce sens, le Mouvement des parapluies de 2014 a constitué une répétition générale de celui de 2019.

4. Quelles ont été les forces motrices du mouvement de 2019 ?

Le Mouvement de 2019 a été initié en avril par les forces traditionnelles modérées. Il a été dirigé jusqu’au 12 juin 2019 par la coalition CHRF (2). Celle-ci regroupait des partis politiques « pan-démocrates », des associations, la centrale syndicale HKCTU, etc. Son centre de gravité politique allait du centre-droit au centre-gauche.

Après la manifestation du 9 juin qui a rassemblé un million de personne, les jeunes ayant participé au Mouvement des parapluies se sont massivement remobilisé.es.

A partir du 12 juin 2019, et encore plus après le 1er juillet (marqué par le saccage du Conseil législatif), ils/elles sont devenu.es l’aile marchante du mouvement.

A partir de l’automne 2019, face au piétinement du mouvement, des jeunes récemment salarié.es se sont lancé.es dans une stratégie de long terme passant par la construction de nouveaux syndicats. La centrale HKCTU leur a apporté son soutien. Mais cet élan a été bloqué début 2020 par le déchaînement de la répression.

5. Quelles ont été les formes d’organisation issues de la nouvelle génération ?

Estimant que l’échec du Mouvement des parapluies s’expliquait par le rôle dirigeant d’organisations préalablement constituées, la tendance dominante des jeunes les plus mobilisés a été la constitution d’une multitude de petits cercles fermés de personnes ayant confiance les unes dans les autres. Surnommé.es les Courageux (the Braves), leur nombre peut être estimé à environ 10 000 personnes. S’inspirant des méthodes des Black Bloc européens, ces petits cercles coopéraient ponctuellement lorsqu’ils tombaient d’accord sur une action donnée. Dans les faits, les prises de décision étaient l’apanage des plus déterminé.es d’entre eux/elles. Le rôle des autres jeunes était de leur apporter un soutien.

Les syndicats nouvellement constitué.es à partir de l’automne 2019 ont au contraire reposé sur le débat public, la prise de décision en assemblée générale, et des structures élue.es démocratiquement.

6. Quelles ont été les formes d’action ?

La coalition CHRF a continué à appeler à des manifestations à vocation non-violentes, qui ont été progressivement interdites.

Du côté de l’aile la plus radicale de la jeune génération, plusieurs tactiques ont été successivement pratiquées de juin à novembre 2019. Dès que l’une d’entre elle se révélait inefficace, une autre était mise en œuvre, plus violente et réunissant moins de monde.

Au début, le recours à la violence avait pour but essentiel de protéger les manifestant.es des agressions violentes de la police et des partisan.es de Pékin. Il s’inscrivait dans une tactique défensive basée sur l’évitement des violences policières grâce à la mobilité (Be Water). Par la suite, le niveau de violence subi par les manifestant-es s’est amplifié avec notamment des morts suspectes et des agressions sexuelles.

Sans que cela ait été débattu collectivement, le mouvement a alors progressivement glissé vers une politique d’affrontements violents dont la transformation d’universités en camps retranchés à la mi novembre 2019 a été le point culminant.

En plus de participer au CHRF, la centrale syndicale HKCTU a appelé plusieurs fois à la grève générale. Cette forme d’action a été très rare depuis des dizaines d’années, dans un territoire où le recours à la grève est inhabituel et où le syndicalisme est très peu implanté sur le lieu de travail. Mais la grève générale du 5 août a été la seule ayant connu un nombre significatif de grévistes.

Dans ces conditions, les appels à la grève générale ont surtout été marqués par des blocage des moyens de circulation, impulsés par des jeunes radicaux détruisant des stations de transport en commun et de feux de signalisation.

Le mode d’action retenu par les nouveaux syndicats est symbolisé par la grève reconductible, partiellement victorieuse, de la santé publique de février 2020. Cherchant à unir dans l’action le maximum de salarié.es elle a reposé sur une structuration démocratique du mouvement.

Au final, chaque composante du mouvement a mis en œuvre sa propre orientation en s’abstenant de se désolidariser des autres. Des convergences ont eu lieu lorsque cela était possible.

7. Pourquoi ce refus du pouvoir chinois d’honorer sa promesse de suffrage universel ?

Le principe sur lequel repose l’Etat Chinois est que le Parti communiste dispose du monopole du pouvoir.

Il était hors de question pour le Parti-Etat chinois de déroger à ce principe et de reconnaitre aux Hongkongais.es un droit refusé à la population du continent.

Le flou des textes adoptés en 1984 et 1990 lui a rendu possible de remettre toujours à plus tard la mise en œuvre concrète de l’engagement d’instauration du suffrage universel pour élire le pouvoir exécutif et législatif.

L’intransigeance du parti-Etat s’est renforcée depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2012. Elle a franchi à Hong Kong un seuil décisif après les élections locales du 24 novembre 2019.

Contrairement aux élections législatives, ces élections locales ont lieu au suffrage universel. Fortement mobilisée, l’opposition y a raflé 86 % des sièges à pouvoir. Ce succès fulgurant a rendu crédible l’hypothèse d’une victoire de l’opposition aux élections législatives initialement prévues en septembre 2020.

Face au spectre de perdre le contrôle du pouvoir législatif, le Parti-Etat chinois a jugé qu’était venu pour lui le moment de passer à l’administration directe de Hong Kong, sans attendre la date de 2047 convenue avec les britanniques. Il a commencé par reporter de plus d’un an les élections législatives initialement prévues le 6 septembre 2020, puis promulgué, le 30 mars 2021, une loi électorale réduisant à néant toute possibilité de l’opposition d’agir au sein des institutions.

8. Ce résumé de la métaphore du militant hongkongais Au Loong-yu, écrite fin 2019, synthétise la dynamique du mouvement

"La poule aux œufs d’or (Hong Kong) jouissait d’une certaine autonomie. Elle voulait uniquement pouvoir continuer à parler cantonais, tout en aspirant à plus de liberté, et ne jamais être enrôlée de force dans la ferme d’élevage de Pékin.

Si Pékin avait perpétué l’autoritarisme soft de Londres, la révolte n’aurait pas eu lieu. Mais le dragon (Pékin), craignait que si sa poule aux œufs d’or continuait à disposer de certaines libertés trop longtemps, les animaux de la ferme de Pékin pourraient commencer à vouloir en jouir également. C’est pourquoi le dragon de Pékin avait décidé de mettre la poule en cage, et celle-ci s’est alors rebellée. Mais pour le dragon, la poule était incapable d’être son propre maître. Pour cette raison, elle avait nécessairement agi en connivence avec des « maîtres étrangers » tentant de la séparer de la ferme d’animaux du dragon".(3)

9. Quelle est la situation depuis 18 mois ?

1) A partir de septembre 2019, les manifestations ont été presque toujours interdites, et les arrestations se sont multipliées. A partir de début 2020, l’épidémie de Covid 19 a ensuite servi d’argument pour réprimer toute tentative de manifestation ou de rassemblement.

2) Sur les lieux de travail, des licenciements ont eu lieu, notamment suite à la grève générale du 5 août 2019. Les salarié.es des entreprises hongkongaises (et des entreprises chinoises implantées à Hong Kong) ont subi des pressions pour ne pas agir contre le gouvernement.

3) Une contre-révolution juridique est en cours alignant les droits des hongkongais.es sur ceux existant sur le continent. L’Etat de droit et l’autonomie juridique de Hong Kong sont remis en cause. Une partie des lois concernant Hong Kong sont désormais écrites, adoptées et promulguées à Pékin.

Le pouvoir d’interprétation des textes en vigueur appartient à Pékin. En cas de contradiction entre textes chinois et textes hongkongais, ce sont désormais les premiers qui l’emportent.

Le 30 juin 2020, une loi sur la sécurité nationale a été édictée par le pouvoir de Pékin. Elle doit être complétée ultérieurement par un article 23 inséré dans le texte servant de Constitution à Hong Kong (Basic Law). La loi sur la sécurité nationale prévoit des peines pouvant aller jusqu’à la prison à vie (4), ainsi que de remettre en cause les libertés d’expression et d’organisation et d’attaquer sévèrement la liberté de la presse.

La Loi électorale du 30 mars 2021, évoquée plus haut, a fait passer de 57 % à 22 % le pourcentage de législateur/trices élu.es au suffrage universel. L’opposition qui a toujours été majoritaire en voix aux législatives, devrait passer en siège sous la barre des 15 % (contre environ 40 % précédemment).

Quand au comité chargé de désigner le/la chef.fe de l’Exécutif, en faire partie est désormais quasiment impossible à l’opposition. La loi du 12 mai 2021 sur la prestation de serment permet par ailleurs aux autorités d’écarter, et/ou de traduire en justice, tout.es élu.es, candidat.es ou personne travaillant pour l’Etat.

Au final :

Les contre-pouvoirs existant précédemment sont méthodiquement déconstruits ;

Toute personne présente à Hong Kong vit aujourd’hui sous la menace permanente d’être arrêtée et jetée en prison, y compris pour des propos ou des actions antérieurs à la promulgation de ces récentes lois.

Au 15 avril 2021, plus de 2 500 personnes faisaient l’objet de poursuites judiciaires (dont 720 risquant des peines pouvant aller jusqu’à la prison à vie). Parmi elles, 1 962 étaient en détention provisoire ;

4) Le processus d’éradication de l’opposition :

L’essentiel des militant.es connue.es de l’opposition sont aujourd’hui en prison, en détention préventive ou en exil. Certain.es ont annoncé renoncer à toute action politique ;

Face à l’ampleur de la répression (5) et l’accentuation de mesures frappant spécifiquement les élu.es d’opposition, un nombre croissant ont démissionné de leur siège : la quasi-totalité des élu.es d’opposition au Conseil législatif, et (au 16 juillet) 67 % de celles et ceux élu.es dans les institutions locales (6) ;

Pour la même raison, une série d’organisations politiques, syndicales et associatives se sont auto-dissoutes.

Il s’agit de la pire des situations à Hong Kong depuis la « terreur blanche » des années 1920.

10. Pourquoi le mouvement a-t-il échoué ?

1) Une première raison est la disproportion considérable entre un parti-Etat régnant sans partage sur un pays de 1,4 milliard d’habitant.es, et un territoire de 7,5 millions (soit 186 fois moins). Ce rapport des forces aurait pu être modifié si une convergence avait eu lieu entre les populations de Hong Kong et du continent. Mais, malheureusement : en Chine, la répression s’est considérablement renforcée depuis 2013, à Hong Kong, le mouvement ne s’est qu’exceptionnellement tourné vers la population du continent (un courant très marginal a même tenu à son encontre des propos xénophobes (7).

2) Le mouvement ouvrier, qui a joué un rôle central dans l’obtention du suffrage universel en Europe, était dans l’incapacité de jouer un tel rôle :

A Hong Kong, le recours à la grève est exceptionnel, HKCTU est faiblement implantée sur les lieux de travail, et les nouveaux syndicats apparus vers la fin du mouvement (et qui auraient pu constituer le deuxième pilier d’une stratégie de long terme), n’ont pas eu le temps de prendre leur essor avant le déchaînement de la répression ;

Sur le continent, les seules structures syndicales ayant le droit d’exister depuis plus de 70 ans sont celles de la centrale ACFTU, partie-prenante du parti-Etat. Les petites structures indépendantes de base, qui s’étaient constituées depuis les années 1990 ont été pour l’essentiel éradiquées entre 2013 et 2018.

3) Comme déjà indiqué, le mouvement de la jeunesse pensait initialement pouvoir triompher rapidement. Il a impulsé empiriquement dans ce cadre des tactiques successives, de plus en plus violentes et de moins en moins massives, en changeant de stratégie par glissements successifs.

Alain Baron, Union syndicale Solidaires. Bibliographie


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