Primaire écolo : ce que le premier tour dit des Verts

dimanche 26 septembre 2021.
 

Révélant un défaut de leadership au sein de ce camp et des fractures idéologiques et stratégiques non résolues, les résultats du premier tour de la primaire auraient plutôt tendance à compliquer l’équation des écologistes pour 2022.

22 septembre 2021 Par Pauline Graulle

Plus de 106 000 votants (sept fois le nombre de participants à la précédente primaire de 2016), des débats pacifiés et de haut niveau entre participants, une exposition médiatique inédite et plutôt favorable… Au soir du premier tour de la primaire écologiste, Julien Bayou, le patron d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), le principal parti organisateur, avait quelque raison de se réjouir de ce scrutin marqué par la « bienveillance, [la] loyauté et [le] respect ».

L’organisation de la primaire : pari réussi pour les écolos ? Alors que les deux finalistes se retrouvent ce soir sur LCI pour le débat de l’entre-deux-tours, rien n’est moins sûr. Certes, les Verts peuvent s’enorgueillir d’être désormais les seuls à se livrer à ce moment démocratique que les autres partis ont enterré, les uns après les autres. De là à penser que cette première étape du scrutin aura rapproché les écologistes de l’Élysée, c’est une autre histoire…

Ce dimanche 19 mai, au Pavillon des Canaux, ce café de l’Est parisien où étaient proclamés les résultats du 1er tour, l’ambiance n’était d’ailleurs pas à la fête. Derrière les sourires de circonstance, les mines étaient songeuses et l’inquiétude se lisait sur certains visages. « C’est le pire des scénarios, confiait à Mediapart, sous couvert d’anonymat, un élu proche de la direction d’EELV. Ça donne l’image d’un camp écologique hyper fragmenté. On se demande quelle dynamique pourra bien sortir du second tour de la primaire… »

Les Verts pensaient en avoir fini avec les rebondissements et les coups de théâtre de dernière minute ; le camp écologiste se retrouve une nouvelle fois bousculé par un premier tour inattendu.

Il y a d’abord une surprise majeure (si ce n’est la principale) : la contre-performance de Yannick Jadot. Alors que son équipe, et même certains de ses concurrents, imaginaient l’eurodéputé arriver largement en tête, le très médiatique Vert ne rassemble qu’un peu plus d’un quart des voix (27,7 %), ne devançant que de 2 728 voix Sandrine Rousseau, l’outsider du scrutin qui, avec ses 25,14 %, s’est elle aussi qualifiée au second tour.

Autre surprise, quoique de moindre intensité : en dépit du soutien des militants et d’une bonne partie de l’appareil, notamment des proches de la direction, l’atterrissage d’Éric Piolle, en avant-dernière position, avec 22,2 % des suffrages. Certes, il devance Jean-Marc Governatori, lequel finit bon dernier (à 2,3 %). Mais là encore, c’est une nouvelle tête, Delphine Batho, qui, avec ses 22,3 %, coiffe au poteau (d’une trentaine de voix) le maire de Grenoble.

Un premier tour avec, à l’arrivée, quatre candidats dans un mouchoir de poche, et personne qui se détache. Dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis d’une Ve République à bout de souffle, l’idée que l’écologie se joue en équipe pourrait apparaître comme une intéressante singularité dans le paysage politique. La thématique du « collectif » a d’ailleurs irrigué la première partie de la campagne, Yannick Jadot ou Éric Piolle filant la métaphore footballistique de « l’équipe de France de l’écologie », Sandrine Rousseau et Delphine Batho dénonçant le « présidentialisme ». Le camp écologiste a en outre largement mis en scène, via des débats sans accrocs, la cohérence et l’homogénéité idéologique de ses représentants, reléguant de fait la primaire à un simple choix de sensibilité ou de « casting ».

Reste que si cette première partie de scrutin a eu pour vertu de réaffirmer en positif la « marque » de l’écologie politique, elle échoue sur le reste. À savoir : donner des pistes de réponse aux deux « questions » intrinsèquement posées par toute primaire : celle de l’incarnation et celle de la ligne.

Sur le premier point, le score décevant de Yannick Jadot et les résultats très serrés démontrent qu’aucun leader « naturel » de l’écologie politique ne s’impose de manière « enthousiasmante ». Un écueil que n’ont pas manqué de relever les deux principaux adversaires à gauche, La France insoumise et le PS. Ce dernier ne s’est d’ailleurs pas privé d’enfoncer le clou dès lundi par la voix d’Olivier Faure : « Il y a une excellente candidate écologique, qui n’est pas EELV et qui s’appelle Anne Hidalgo », a glissé, sur France 2, le premier secrétaire, suggérant ainsi que s’il y avait une place à prendre, sa candidate pouvait tout aussi bien combler le vide…

Évidemment, le second tour, dont les résultats seront connus mardi prochain, forcera la famille écologiste à désigner son ou sa représentant·e pour la présidentielle. Reste que si les résultats du 28 septembre sont aussi serrés – et donc, tout aussi peu nets – que ceux du 20 septembre, la dynamique d’une candidature écologiste apte à rassembler l’ensemble de la gauche à la présidentielle sera affaiblie. « Si Jadot ne l’emporte pas largement à la primaire, c’est-à-dire s’il n’atteint pas les 60 % au second tour, il aura du mal à s’imposer face à Hidalgo qui occupe le même créneau électoral. Si, à l’inverse, Rousseau gagne sans une assise forte et large, elle sera incapable de damer le pion à Mélenchon », analyse ainsi un observateur.

Des Verts qui se cherchent encore

Quoi qu’il en soit, la percée de Sandrine Rousseau au premier tour, laquelle nourrit, a minima, des ambitions en vue des législatives et du prochain congrès d’EELV l’an prochain, pourrait également bousculer les équilibres internes à ce camp. Il n’est en effet pas anodin que les vraies victorieuses du premier tour soient aussi deux candidates « hors parti » (Sandrine Rousseau, qui s’est éloignée de l’état-major des Verts avec qui elle entretient des relations compliquées depuis l’affaire Baupin, et Delphine Batho).

Une bonne nouvelle pour ceux qui voient dans EELV une organisation recroquevillée sur elle-même et qui n’a, de fait, pas été capable d’opérer le « dépassement » promis lors du dernier congrès. Une mauvaise nouvelle pour la direction actuelle qui, après avoir vu « son » candidat (Éric Piolle) relégué à l’avant-dernière place, se retrouve orpheline de représentant dans ce deuxième tour. Certes, ces derniers jours, des figures proches d’Éric Piolle – qui a annoncé qu’il ne donnerait pas de consigne de vote – ont d’ores et déjà annoncé leur ralliement à Yannick Jadot au second tour. Mais ce basculement ressemble davantage à une coalition anti-Rousseau qu’à un soutien sur le fond à l’eurodéputé.

Sur la ligne aussi, les résultats du premier tour n’ont fait que ajouter de la confusion à la confusion. Ceux qui pensaient que le scrutin permettrait de régler le serpent de mer du positionnement de l’écologie sur l’axe horizontal (l’écologie est-elle de gauche ou centriste ?) et l’axe vertical (l’écologie est-elle du côté des institutions ou du côté de la société civile ?) en sont pour leurs frais.

Non seulement la tentative d’Éric Piolle de combiner, dès le premier tour, une écologie « bien de gauche » – compatible avec la ligne d’un Jean-Luc Mélenchon –, et un ethos de gouvernement – d’où ses incessantes références à son expérience en tant que maire de Grenoble –, a échoué. Mais le second tour, loin de donner le sentiment d’un dénouement, (re)met en scène les vieilles oppositions entre ce que les Allemands nomment les « Fundis » et les « Realos ».

L’écologie politique, ou l’histoire sans fin d’un camp qui cherche, encore et toujours, son identité politique ? La primaire de 2021 n’est en tout cas pas sans rappeler celle de 2011, entre Nicolas Hulot, porteur d’une ligne de gouvernement plutôt centriste, et Eva Joly, porteuse d’une écologie de rupture, très critique des institutions – que l’on se rappelle ses discours anticorruption ou même de la polémique autour de La Marseillaise.

« En réalité, les résultats de ce premier tour montrent une nouvelle fois l’aporie de l’écologie politique française entre deux candidats qui jouent chacun leur partition : Jadot insiste sur l’écologie institutionnelle, Rousseau insiste sur l’alliance des luttes, explique la chercheuse Vanessa Jérome, spécialiste des Verts français. Mais le contexte a changé, tout le monde sait qu’on ne peut plus tergiverser et les deux candidats le disent. Il va être intéressant de voir comment tout cela va se résoudre »

Au lendemain du second tour, il faudra en effet, pour le vainqueur ou la vainqueure, proposer une synthèse. Laquelle ne sera sans doute pas si facile à trouver, non pas tant au regard du fond des programmes que sur la stratégie à adopter pour la suite.

D’un côté, Sandrine Rousseau, pour qui seule la « radicalité » permet d’accéder à la victoire, entend fédérer un électorat bien à gauche et lorgne du côté de Jean-Luc Mélenchon. De l’autre, Yannick Jadot est persuadé que la seule manière de faire les 50 % plus une voix nécessaires à l’accession à l’Élysée est d’aller chercher, au centre, les déçus du macronisme, et regarde plutôt du côté du PS.

Fusionner ces deux lignes contradictoires : une mission impossible ? « Les deux incarnent les pôles les plus éloignés parmi les 4 principaux candidats, sur le fond comme sur les alliances privilégiées », souligne le politiste Simon Persico, lequel note néanmoins que l’on retrouve des éléments de radicalité chez Jadot, qui menait des actions coup de poing quand il était chez Greenpeace, et des éléments de pragmatisme chez Rousseau qui a cogéré la région Nord-Pas-de-Calais avec les socialistes.

Mais l’addition des contraires pourrait avoir un effet démobilisateur, ajoute-t-il : « Une victoire de Jadot risque de renvoyer les rousseauistes chez Mélenchon ; une victoire de Rousseau risque d’envoyer les jadotistes au PS. » Par ailleurs, quand bien même Sandrine Rousseau parviendrait à retenir Yannick Jadot dans ses bagages (et inversement), leur discours respectif vis-à-vis de leur électorat respectif perdra sans doute en cohérence, voire en crédibilité. Dès lors, conclut Simon Persico, « l’enjeu, pour l’une comme pour l’autre, va être d’atteindre le cœur de cette primaire sans dénaturer la manière dont ils ont construit leur candidature jusqu’ici ». Pas gagné.


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