« Debout les femmes » : le nouveau trésor de François Ruffin

vendredi 1er octobre 2021.
 

La rage au cœur, les larmes aussi. « Debout les femmes », le nouveau film de François Ruffin, coréalisé avec Gilles Perret, est une gifle au cœur. Dans une rentrée où la zemmourisation médiatique occupe une grande partie du champ médiatique et politique, le troisième film du député insoumis constitue une bouffée d’oxygène salvatrice. Un trésor à exploiter pour ramener, enfin, l’urgence sociale qui fracasse le pays, et l’exploitation insupportable des héroïnes du premier confinement en particulier, au cœur de la campagne présidentielle. Notre article.

« La gauche est trop petite pour lui, c’est plus grand ce qu’il fait »

« Je ne vais pas dévaloriser ce que je fais, mais j’aurais tendance à dire que ce que fait François Ruffin, a peut-être une portée plus grande à travers l’art. Pour comprendre François Ruffin, il faut comprendre que c’est d’abord un créateur. C’est un homme politique, mais c’est d’abord un créateur. Tous ses films ont une puissance narrative qui va au delà de la juxtaposition des idées. Je l’admire beaucoup comme créateur. François Ruffin, il n’a jamais été membre d’un parti politique. Et cette distance qu’il a, est salvatrice. La gauche est trop petite pour lui. C’est plus grand ce qu’il fait ».

L’hommage est signé Jean-Luc Mélenchon. Le favori de la gauche pour 2022 était présent ce dimanche 26 septembre 2021 au Théâtre Toursky, pour la diffusion marseillaise de « Debout les femmes », le troisième film de François Ruffin, le deuxième coréalisé avec Gilles Perret. On avait quitté le duo sur les ronds points avec J’veux du soleil, manifeste du mouvement des gilets jaunes, le revoilà sur le terrain et dans la lutte, avec plus que jamais la rage au cœur.

8 mars 2018. C’est sans doute ce matin-là, que le troisième film du député insoumis est né. François Ruffin dort dans son bureau à l’Assemblée nationale. On toque à la porte. Encore endormi, le rédacteur en chef de Fakir ne répond pas. Une femme de ménage ouvre alors la porte, et la referme précipitamment. Le député de la Somme descend alors prendre son petit déjeuner, et à son retour, une fée est passée. L’après-midi même, le député insoumis prononce un discours dans l’hémicycle, qui fera date. Le combat pour les métiers du soin est enclenché.

Comment un député marcheur devient un véritable allié de la cause des métiers du lien

En décembre 2019, François Ruffin obtient une mission d’information de la Commission des affaires économiques sur « Les métiers du lien ». Avec Bruno Bonnel comme co-rapporteur. Le député La République en Marche (LREM), qui joue… le personnage de Donald Trump dans The Apprentice : qui décrochera le job ? , transcription française de la série qui a fait connaître le multimilliardaire américain. Autant dire qu’au départ, le duo Ruffin & Bonnel semblait difficilement compatible.

Et pourtant, et c’est aussi une leçon du film, même un député macroniste peut abriter un cœur. Oublions l’AAH, le refus de prolonger le nombre de jours de deuils pour un parent lors de la mort de son enfant, la loi Asile immigration et tant d’autres, pour dépasser l’appartenance à un parti politique au bilan sanglant. François Ruffin et Gilles Perret arrivent à faire de Bruno Bonnel un vrai personnage de cinéma : on ne sait pas si on doit l’aimer ou pas. Comment telle prouesse est-elle réalisable, se demandent sans-doutes les lecteurs de l’insoumission qui n’auraient pas vu le film ? En racontant l’histoire du député marcheur, tout simplement.

Son fils atteint d’une maladie dégénérative, Bruno Bonnel a côtoyé pendant 4 ans une aide soignante. Elle deviendra une membre de sa famille, jusqu’à être présente au premier rang au moment du départ. Le fait de côtoyer une travailleuse exploitée, même si le député marcheur récuserait ce terme, lui a fait prendre conscience des conditions matérielles d’existence des aides soignantes, et « en même temps », de leur dévouement corps et âme aux êtres humains qu’elles accompagnent. Une prise de conscience qui poussera Bruno Bonnel a demandé d’être co-rapporteur de la mission d’information sur « Les métiers du lien », et même de pousser en faveur d’une proposition de loi sur le sujet.

Les héroïnes du premier confinement, vous vous rappelez ?

Les conditions matérielles d’existence de ces travailleuses aux métiers si précieux, « essentiels » pour reprendre un terme tombé en désuétude, François Ruffin et Gilles Perret les mettent en lumière tout au long du film. Levé 4 heures du matin pour des miettes, pour largement moins que le seuil de pauvreté (1 041 euros) : pour des « salaires » oscillant entre 600 et 800 euros par mois ! Et ce, pour des dizaines et des dizaines d’heures travaillées.

Elles sont loin, les « héroïnes » du premier confinement. Vous vous rappelez ? Quand on applaudissait chaque soir à 20 heures à nos fenêtres. Quand le Président lui même, louait les métiers « essentiels », en première ligne, dans la « guerre » contre le Covid19. En première ligne, elles l’ont été, et elles le sont toujours. Simplement ces « héroïnes » ont été vite oubliées. La séquence de remise en cause de la rémunération des différents métiers selon leur apport ou non à l’intérêt général, illustré par ce billet coup de gueule de l’insoumission : « Coronavirus : les « riens » portent le pays. Et toi ? », a été vite refermée. Aussi vite que les fenêtres à 20 heures.

Pourtant, ce combat, François Ruffin a continué à le porter à l’Assemblée nationale. Abandonné par son « camarade » Bruno Bonnel, qui a contracté le Covid19, le député insoumis portera seul leur proposition de loi commune de revalorisation des métiers du lien. Amendement par amendement, François Ruffin fait une nouvelle fois l’amer expérience de la chambre d’enregistrement des désirs présidentiels, que constitue l’Assemblée nationale. Mais comme souvent, la révolte du député de la Somme prend le pas sur la résignation. L’Assemblée nationale est une chambre d’enregistrement ? Chiche, il va monter un Parlement de femmes, uniquement composé par ces héroïnes de l’ombre. Une ode à la lutte

Et c’est Jeannette, femme de ménage à l’Assemblée, qui va faire se soulever l’hémicycle. Racontant ses réveils à 4 heures du matin depuis 1993, pour des miettes, l’héroïne se transforme en tribune du peuple, et fait raisonner les murs de l’Assemblée : « Debout les femmes, debout les femmes, debout ! ». Refrain de l’hymne du Mouvement de libération des femmes (MLF). Les femmes se lèvent une à une à l’écran, bientôt imitées par les spectatrices et spectateurs du Toursky.

La lumière se rallume, c’est l’ovation pour François Ruffin.

En ces temps de zemmourisation médiatique, ce film peut participer, si on s’appuie dessus, au besoin vital de ramener, enfin, l’urgence sociale et écologique au cœur de la campagne présidentielle. Un trésor à exploiter.

Par Pierre Joigneaux.


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