Dialogue avec Jadot

mardi 19 octobre 2021.
 

Yannick Jadot a gagné la primaire d’EELV. Le feuilleton médiatique permanent n’a pas pu s’empêcher d’attacher un adjectif à chacun des deux candidats en lice. Il y aurait eu d’un côté la « radicale », de l’autre le « pragmatique ». Mais la radicalité, c’est agir réellement au sens grec du mot « pragmatikos » : être dans l’action. Je pose ça pour la réflexion… Au final, les résultats ont été plutôt serrés. EELV reste donc partagé comme le sont les catégories sociales sensibles au centre-gauche. Elles hésitent entre rupture et accompagnement du système. Car dans la sphère politique, tout le monde est devenu écologiste. On doit donc désormais s’intéresser de près au contenu programmatique sur le sujet . Car il faut savoir de quelle écologie on parle. De l’écologie néolibérale mâtinée de bons sentiments écologistes ? De l’écologie « progressive » des petits pas qui valent « mieux que rien ». Ou de celle du pôle populaire dont le prisme écologique est fondamentalement social ?

Pour nous insoumis, la racine du désastre écologique c’est le capitalisme financier. Dès lors, les positionnements écologistes se font à partir d’une seule question : quelle rupture avec la logique d’accumulation productiviste ? C’est de celle-ci que vient la destruction environnementale et sociale. Ici, être radical c’est aller à la racine des problèmes comme c’est le sens du mot radical. L’action (pragmatikos) écologiste ne peut être que radicale. Aussi, je guette les pas de chacun. À vrai dire d’une façon générale je suis optimiste. Certes, nos concurrents m’ont fait l’effet d’être moins préparés que nous le sommes depuis désormais tant de temps ! Alors je suis prêt à parier : à moins de six mois avant l’élection, faute de temps, notre programme va être beaucoup imité et recopié. Je crois même que celui des autres se présentera comme un nuancier du notre. Tant mieux.

D’ailleurs, notre comparateur de programme montre que Yannick Jadot a fait d’importants bougés dans notre direction. Je l’ai vivement ressenti lors de son premier déplacement de candidat officiel. Il a rendu visite aux travailleurs de Ferropem comme je l’avais fait il y a deux mois. Moi aussi, j’avais choisi en 2012 et 2016 de commencer par une visite d’usine en lutte. Je comprends et j’approuve le message implicite. Jadot veut dire que la condition ouvrière ne lui indiffère pas. Ceux-là produisent le silicium, indispensable au fonctionnement des panneaux solaires et de tous les appareils électroniques. Or, deux usines sont menacées de fermeture par la maison-mère espagnole. De fait, Yannick Jadot a raison d’affirmer qu’il s’agit d’un enjeu de souveraineté nationale. Mot nouveau dans le vocabulaire écolo traditionnel. Et il a réclamé la nationalisation. Autre coup de barre collectiviste. Qu’il la souhaite « temporaire » n’est pas un obstacle entre nous. C’est déjà un premier pas vers l’idée de la méthode des réquisitions « dans l’intérêt général » et donc vers la planification. Au demeurant Jadot après avoir eu des mots assez durs contre nous sur le sujet a évolué et il fait sien un concept de planification ou « l’État donne l’orientation ». Ce n’est pas notre position, certes. Nous ne sommes pas pour que « l’État donne l’orientation ». La planification est un processus démocratique largement transversal dans sa définition et dans sa mise en œuvre. Les communes entre autres y jouent un très grand rôle.

Les premières grandes annonces programmatiques de Jadot ont été occultées par d’autres sujets médiatiques. C’est bien dommage, car elles méritent d’être commentées. J’en cite ici quelques-unes. Mais le détail est disponible sur notre comparateur de programme. En tous cas j’ai noté les efforts sur le volet social. Les convergences existent. Ainsi, Yannick Jadot fait de la sortie du modèle agro-industriel et de la malbouffe sa priorité numéro 1. C’est une convergence bienvenue avec le plan de sécurité alimentaire que je propose et dont j’ai donné des aperçus dans mon interview au journal « Libération ».

Je note aussi la proposition désormais commune de gratuité des premières quantités d’énergie indispensables et la tarification progressive. Ce n’était pas dans ses 10 premiers « chantiers » présentés sur son blog. Mais la flambée des prix de l’énergie et la situation d’urgence sociale du pays lui ont fait comprendre l’importance de ces questions. Les insoumis défendent cette mesure depuis la première version du programme « L’avenir en commun de 2016. Dans le contexte ce n’est pour autant pas suffisant. Voilà pourquoi je propose le blocage des prix des produits de première nécessité.

D’autres sujets restent à éclaircir. Ainsi, dans une précédente note de blog, j’alertais déjà au sujet d’une de ses propositions. Yannick Jadot projette de fusionner les minimas sociaux pour créer un revenu minimum à 660 euros. Soit 400 euros en dessous du seuil de pauvreté ! Au JDD, il précise qu’il sera porté « au niveau du seuil de pauvreté d’ici cinq ans ». Il prévoit aussi d’augmenter le SMIC « à hauteur de 10% sur le quinquennat ». Là, ça coince. 120 euros de plus dans cinq ans. C’est vraiment peu. 24 euros par an. Deux par mois… Avec ou sans l’ajustement inflation ? Augmenter les salaires et les minimas sociaux est pourtant une mesure écologique. Pas de recours massif aux produits de l’agriculture bio sans ces hausses des salaires pour permettre des prix dignes pour les producteurs. Et quand 8 millions de Français sont en insécurité alimentaire, cela devient vital.

Mais le plus intéressant d’une interview comme celle que Jadot a donnée au JDD réside parfois dans ce qui n’est pas ou peu évoqué. Finalement, celle-ci s’avère très consensuelle. Il n’y est pas question de blocage des prix, d’interdiction des pesticides ni des super profits des actionnaires du CAC40. Le rôle de l’État et le rapport de force à engager avec l’Union européenne restent donc flous. Pourtant, il ne pourra y avoir de bifurcation écologique sans relocalisation ni protectionnisme. 9 Français sur 10 y sont favorables. Mais cela est impossible sans remise en cause des traités européens.

Par exemple, le plan d’investissement de Jadot ne peut voir le jour sans passer outre les règles budgétaires de l’Union européenne. Or, tout vainqueur de la primaire des verts s’engage à défendre une Europe fédérale. Jadot revendiquait dès septembre 2020 dans l’Obs porter une candidature « proeuropéenne ». Ce n’est donc pas un petit sujet. Mécaniquement, cela amène sur la table la question de la dette. Jadot affirme qu’ « aujourd’hui il n’y a pas de problème de financement de la dette. » Bon. Et alors ? Ça ne dit pas ce qu’il faut en faire. Compte-t-il l’annuler, l’ignorer, la payer ? On ne sait pas. Et ce n’est pas une petite question.

La politique étrangère n’est pas non plus une mince affaire. Le moment est celui de ruptures et recompositions de l’ordre international. Les conséquences du changement climatique vont aussi bouleverser les équilibres entre les Nations et les peuples. Pour affronter ces défis, Yannick Jadot prône une « autonomie européenne de défense ». Contre qui ? Cela signifie-t-il sortir de l’OTAN ou y rester ? On ne sait pas.

Par ailleurs personne ne lui a demandé de s’expliquer sur son projet d’« union d’action franco-allemande », listé dans ses dix premiers chantiers. En matière de défense aussi ? Cela a de quoi inquiéter. En effet, le projet commun d’avion de patrouille maritime vient d’être enterré par les Allemands. L’assemblage du moteur français de la fusée Ariane va être délocalisé en Allemagne. Le prix à payer est connu d’avance. C’est le renoncement à l’indépendance industrielle stratégique de notre pays. Je ne suis pas d’accord.

Pour finir, je mets sur la table un sujet que je crois fondamental. Pourtant, Yannick Jadot l’élude toujours. Je parle du passage à une 6ème République. C’est la condition d’un profond changement du fonctionnement de la démocratie en France qui est aujourd’hui toute en panne. Sans cela aussi, pas de règle verte ni de nationalisation des biens communs. La convocation d’une Assemblée constituante est le moyen d’y parvenir. C’est un élément central dans la stratégie de révolution citoyenne présente dans le programme l’Avenir en commun. Mais dans l’interview au JDD, une petite phrase de Yannick Jadot m’interpelle : « la priorité de l’Assemblée nationale ne sera pas d’être une assemblée constituante ». Faut-il considérer qu’il n’en veut pas ?

Cette semaine, j’ai répondu de manière claire aux étudiants de Sciences Po. Céder à la sempiternelle ritournelle de l’Union c’est accepter de ne parler de rien. Surtout pas de ce qui fâche ! Mais cela ne dupera jamais personne. Au contraire, c’est un repoussoir. La clarté des positions est essentielle. Je tiens donc les miennes. En effet, sans cela, nous ne pourrons pas résoudre le principal problème posé : vaincre l’abstention. Je le redis : la mobilisation populaire est la clef du scrutin. Celle-ci dépend évidemment du programme. Et il ne se décide pas au moins-disant.


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