Menaces, violences et valises de cash : l’affaire Sarkozy-Takieddine dégénère

lundi 15 novembre 2021.
 

Deux personnes ont été placées en détention provisoire, dont le riche homme d’affaires Pierre Reynaud : l’affaire de la fausse rétractation de Takieddine dans le scandale Sarkozy-Kadhafi a pris des allures de polar à la Scorsese. Mediapart révèle les dessous de ce nouveau volet.

Quand elle pousse la porte du commissariat du XVIe arrondissement de Paris un peu avant 16 heures, le 2 août dernier, la communicante Anne Testuz s’apprête à raconter sur procès-verbal une histoire qui va faire basculer quelques semaines plus tard l’affaire Sarkozy-Takieddine dans un monde digne des Affranchis de Martin Scorsese, où l’argent engendre la violence.

Sa déposition pour un « compte rendu d’infraction initial » est rédigée par un gardien de la paix. Elle commence ainsi : « Aux alentours du mois de mai 2021, Noël Dubus, avec qui je travaille sur le dossier libyen “Hannibal Kadhafi”, a eu besoin de 100 000 euros pour payer des juges au Liban et a demandé à Pierre Reynaud de lui emprunter cet argent. Pierre Reynaud a accepté, mais en demandant un garant. J’ai accepté d’être le garant de cette transaction. »

Les noms qu’elle cite – Noël Dubus, Pierre Reynaud – sont ceux de deux personnes actuellement mises en examen pour « subornation de témoin » et « association de malfaiteurs », suspectées avec d’autres, dont la femme d’affaires Michèle Marchand, une intime des couples présidentiels Sarkozy et Macron, d’avoir négocié la vraie-fausse rétractation de l’intermédiaire Ziad Takieddine dans l’affaire des financements libyens.

Le « dossier Hannibal Kadhafi » qu’elle évoque ensuite fait quant à lui référence au projet fou de faire libérer l’un des fils Kadhafi, actuellement incarcéré au Liban, afin que celui-ci accepte d’innocenter en contrepartie Nicolas Sarkozy dans la même affaire libyenne.

Plusieurs échanges téléphoniques interceptés par les enquêteurs indiquent d’ailleurs que Michèle Marchand, la papesse des paparazzis avec son agence Bestimage, a elle-même donné du crédit à ce projet, qui vaut désormais au dossier Sarkozy-Takieddine d’avoir été élargi mi-septembre par le parquet national financier (PNF) à des soupçons de « corruption d’agent judiciaire d’un État étranger », comme Mediapart l’a récemment rapporté.

La plainte d’Anne Testuz, qui n’a pas donné suite à nos sollicitations, semble avoir été prise très au sérieux. Le dossier est immédiatement transféré à l’Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) de la police judiciaire, qui, fidèle à ses habitudes, baptise le dossier d’un nom de code. Ce sera « Carthage ».

Les policiers entendent à nouveau, le 6 août, la plaignante, lui donnant l’occasion de détailler la suite de l’histoire. Elle raconte que les 100 000 euros demandés par Noël Dubus pour le « dossier Hannibal Kadhafi » et consentis par l’homme d’affaires Pierre Reynaud – déjà soupçonné d’avoir financé avec des sociétés offshore une partie de la rétractation de Takieddine – lui ont été apportés en cash, chez elle, par un certain « Karim » autour du 20 mai. Les billets sont pris en photo par la communicante, entreposés dans des sacs Chanel et immédiatement récupérés par son associé Noël Dubus. « Karim » laisse quelques jours à Testuz et Dubus, connu pour plusieurs escroqueries commises par le passé, pour rembourser la somme.

Problème : Noël Dubus, Pierre Reynaud, Michèle Marchand et un ancien prestataire de la campagne présidentielle de Sarkozy en 2012, Arnaud de la Villesbrunne, sont interpellés par la police anticorruption puis mis en examen par deux juges d’instruction, début juin, pour leur implication présumée dans la fausse rétractation de Ziad Takieddine. Ce qui rend difficile le remboursement des 100 000 euros pour le dossier Hannibal Kadhafi.

D’après le récit d’Anne Testuz devant les enquêteurs, un nouveau délai est donné mais les fonds ne reviennent toujours pas. La pression, elle, monte. Jusqu’au 30 juillet, où, rentrant chez elle, la communicante découvre le fameux « Karim » l’attendant chez elle dans l’escalier. « Et là, d’un coup, déboule une femme qui devait être sur le pas de ma porte et me donne un coup », rapporte Anne Testuz aux enquêteurs.

Karim m’a fait remarquer [...] que si je ne voulais pas me retrouver dans un coffre de voiture, il fallait le rembourser.

La communicante Anne Testuz

Elle poursuit : « Elle m’insultait de “pute” et me traitait de voleuse. » D’après son récit, la femme en question fouille ensuite son appartement, puis son sac et lui subtilise son passeport. « Elle voulait m’empêcher de partir tant que je n’avais pas remboursé », dit-elle. « Karim, lui, était toujours très calme alors qu’elle hurlait beaucoup et m’insultait », précise Anne Testuz, qui le présente comme silencieux et laissant faire. Un peu comme si des rôles avait été répartis.

« Karim m’a fait remarquer qu’aujourd’hui j’ai pris une baffe par une femme car il ne voulait pas que ce soit par lui, et que si je ne voulais pas me retrouver dans un coffre de voiture, il fallait le rembourser », a-t-elle indiqué.

La communicante prend une photo de son visage tuméfié, qu’elle donne aux policiers.

Deux jours plus tard, soit le 1er août, c’est au tour de Noël Dubus, qui fut avec Michèle Marchand la cheville ouvrière de la rétraction de Takieddine, et qui pilote le « projet Hannibal Kadhafi », de voir débarquer « Karim » et sa « collaboratrice » au domicile de ses parents, dans l’Oise, où il loge parfois. Là, la pression est telle, raconte-t-il à son tour, qu’il prend un « pistolet d’alarme », une réplique d’un Beretta, pour impressionner les visiteurs, restés derrière la grille du portail. « Il [Karim - ndlr] a dit qu’il allait violer ma mère devant moi », assure sur procès-verbal Dubus, dont l’avocat n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Le père de Noël Dubus, également entendu, a confirmé l’altercation : « C’est parti en catastrophe. Les deux étaient très agressifs en disant à Noël qu’il n’avait qu’à sortir, qu’il lui ferait bouffer le revolver et qu’ils auraient sa peau. »

Dès le début du mois d’août, une information judiciaire pour « extorsion de fonds », « association de malfaiteurs », « menaces sous condition » et « blanchiment » est ouverte et confiée à un juge d’instruction.

Grâce à une planche photographique de suspects potentiels que lui soumettent les policiers, Anne Testuz reconnaît au premier coup d’œil « Karim ». Il s’agit de Karim Medani, dont le casier judiciaire fait mention de nombreuses condamnations pour trafic de stupéfiants, violences aggravées, faux et usage de faux, vol, recel et détention d’armes.

Interpellé et placé en garde à vue, Karim Medani reconnaît avoir mis « la pression » pour le compte de Pierre Reynaud sur Anne Testuz et Noël Dubus pour une histoire de dettes, mais il dément catégoriquement avoir menacé ou violenté qui que ce soit. Propriétaire de plusieurs restaurants, Karim Medani raconte les choses sans détour s’agissant de Pierre Reynaud, qu’il connaît de longue date : « Lui m’utilise pour aller récupérer son argent et moi je le fais pour espérer pouvoir être intégré à des opérations avec lui. »

Il reconnaît être allé au domicile des parents de Dubus, assurant avoir promis de lui mettre « son calibre dans le cul », et aussi d’avoir pris le passeport d’Anne Testuz, laissant les enquêteurs pour le moins interloqués. « Je ne trouve pas normal de lui prendre son passeport mais je ne trouvais pas normal non plus qu’elle ose dire qu’elle allait partir en vacances alors qu’elle devait de l’argent à Pierre », leur a-t-il expliqué, avant d’être placé en détention provisoire. Il est présumé innocent, comme toute personne mise en examen.

« Mon client est hélas une victime collatérale dans ce dossier qui le dépasse – il ignore tout des éventuelles tractations qui ont ou auraient eu lieu. Le fait est qu’une somme d’argent a été empruntée et qu’aujourd’hui, mon client est en prison car les emprunteurs ont eu l’idée de déposer plainte pour s’éviter d’avoir à rembourser la somme prêtée… », commente auprès de Mediapart Me Julie Giry, l’avocate de Karim Medani.

En perquisition chez sa « collaboratrice », en réalité sa compagne, Lina B., les policiers découvrent 95 000 euros en liquide dans son appartement, ainsi qu’une Rolex d’une valeur de 43 000 euros (des sommes qui n’ont rien à voir avec les 100 000 euros réclamés). Confrontée à la photo du visage tuméfié d’Anne Testuz, Lina B. répond aux enquêteurs : « C’est du faux, elle a dû se porter un coup ou se maquiller. »

En perquisitionnant l’homme d’affaires Pierre Reynaud, un spécialiste de l’immobilier qui aime revendiquer sa proximité avec l’intermédiaire Alexandre Djouhri, un protagoniste clé de l’affaire libyenne, les policiers se retrouvent confrontés à un patrimoine vertigineux à fouiller : un hôtel particulier de 600 mètres carrés, avec piscine, sauna et jardin, dans le XVIe arrondissement de Paris, d’une valeur de 9 millions d’euros ; des montres de luxe et des berlines en pagaille, aussi.

Mais l’homme n’a pas qu’un patrimoine plantureux. Son casier judiciaire l’est aussi, avec onze condamnations entre 1992 et 2006 à son actif, pour escroquerie, transport de stupéfiants, faux et usage de faux, trafic d’influence, blanchiment, fraude fiscale, entre autres.

Dans les bureaux de Pierre Reynaud, les enquêteurs mettent la main, dans un coffre, sur… le passeport d’Anne Testuz, ainsi que sur d’autres documents lui appartenant. Placé en garde à vue, Pierre Reynaud jure que l’argent au cœur de tous ses nouveaux tourments n’est pas le sien, mais celui de Karim Medani – ce que ce dernier dément.

Confronté à des écoutes téléphoniques qui semblent l’accabler, Pierre Reynaud reconnaît avoir « le sang chaud » du fait de ses origines méridionales – il vient de Nice – et que, parfois, il peut avoir « des propos qui dépassent [sa] pensée ».

Les policiers l’interrogent : « Savez-vous qu’au regard de la loi, la menace verbale d’atteinte à l’intégrité physique d’un tiers constitue une infraction pénale ? »

Réponse de Pierre Reynaud : « Je n’en avais pas connaissance, je ne savais pas, je pensais que seul le passage à l’acte était pénalement répréhensible. »

Alors que le parquet et les juges d’instruction Vincent Lemonier et Dominique Blanc ont demandé le placement en détention provisoire de Pierre Reynaud, pour avoir violé son contrôle judiciaire dans l’affaire Takieddine – il avait interdiction de rentrer en contact de quelque manière que ce soit avec Noël Dubus –, un juge des libertés et de la détention (JLD), Charles Prats, a laissé libre Pierre Reynaud.

Deux personnes ont été placées en détention provisoire dans cette affaire.

La joie sera de courte durée. Deux semaines plus tard, le 14 octobre, saisie par le PNF, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris fera droit à la demande de placement en détention provisoire de Pierre Reynaud, et ce, pour plusieurs motifs : empêcher des pressions sur les témoins ou les victimes et leurs familles, empêcher une concertation avec les autres mis en cause, mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement.

La cour d’appel souligne dans son arrêt plusieurs éléments, notamment des conversations téléphoniques des 26 et 27 août de Pierre Reynaud durant lesquelles il expliquait à des proches son litige avec Dubus en ces termes : « J’ai été obligé de le menacer […] S’il ne me rembourse pas, je peux te dire qu’il finit dans une boîte de conserve. » Ajoutant qu’il n’hésitera pas à mettre le feu à la demeure familiale : « Je fais brûler son père et sa mère dans le château […] et tout ça avec lui dedans. »

Sollicité, son avocat, Me Maurice Lantourne, assure quant à lui que M. Reynaud n’a été qu’intermédiaire pour un prêt. « Mme Testuz a emprunté 100 000 euros à M. Medani recommandé par Pierre Reynaud, a-t-il expliqué. Pierre Reynaud n’a pas prêté ces fonds. En aucun cas, Mme Testuz n’a emprunté en invoquant une intervention auprès de Hannibal Kadhafi. Elle a invoqué devoir des commissions en Arabie saoudite. Il s’agissait d’un prêt. On parle d’extorsion, mais il s’agit du remboursement d’un prêt consenti. »

Selon plusieurs sources dans l’entourage de Noël Dubus, les 100 000 euros auraient été remis à un émissaire libanais afin de « faciliter » la libération de Hannibal Kadhafi, qui n’a jamais eu lieu. Ce dernier est toujours détenu à Beyrouth.

9 novembre 2021 Par Fabrice Arfi, Karl Laske et Antton Rouget


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