Les révolutions bourgeoises (anti-absolutistes, libérales, nationales)

dimanche 15 novembre 2020.
 

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Cours de formation MPS no.4 Les révolutions bourgeoises : La Révolution française 1789-1815 http://alencontre.org/archives/mps/...

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A) Le contexte historique

Du 12ème au 16ème siècle, la société féodale européenne commence à éclater ici et là dans des régions où le développement des rapports marchands, de l’urbanisation et de la circulation monétaire est avancé.

Comme les pouvoirs politiques restent féodaux de même que la richesse principale (foncière), de même que l’appareil idéologique (clergé), le marxisme nomme ce type de société : semi-féodale. « Elle est fondée sur la petite production marchande, au sein de laquelle les principaux producteurs - les paysans et les artisans - sont des producteurs libres et non pas des serfs, qui disposent de leurs propres moyens de production. Le mode de production capitaliste n’apparaît que lorsque ces producteurs libres sont dépossédés progressivement de leurs moyens de production et du libre accès à la terre » (Ernest Mandel). Dans le secteur géographique de mon bourg natal d’Entraygues, ce processus est évident aux 17è et 18è siècles pour les activités économiques liées au port comme pour la viticulture.

A partir des 15e et l6e siècles, le mode de production capitaliste commence effectivement lui-même à s’étendre dans certaines régions d’Europe occidentale (Nord et centre de l’Italie, Pays-Bas, Angleterre, parties de la France, de l’Allemagne, de la Bohème et de la Catalogne).

Les premiers pouvoirs politiques aux mains de la bourgeoisie (essentiellement bancaire et grossiste en marchandises) apparaissent dans les Pays Bas du Nord et à Genève. Ailleurs l’Etat reste semi féodal (souvent une monarchie absolue) ; la plupart des privilèges de la noblesse et du clergé sont conservés, bien que ces classes dominantes de la société féodale s’appauvrissent progressivement par rapport à la bourgeoisie et se décomposent lentement.

http://www.ernestmandel.org/new/ecr...

https://www.marxists.org/francais/k... (Les trois sources du marxisme)

http://centenaire.parti-socialiste.... (Les sources du socialisme français Winock)

B) Justification du concept de révolution bourgeoise

Le processus d’émergence des marchands du Moyen Age puis d’une bourgeoisie pré-capitaliste a été compris et théorisé par des bourgeois eux-mêmes, par exemple en France des personnalités comme Barnave, Mignet, Guizot, Thiers...

La concept de "révolution bourgeoise" constitue un élément important dans l’appareil conceptuel marxiste et plus largement socialiste (Jean Jaurès, par exemple, l’emploie avec le même sens). Il n’a pas actuellement la faveur des professeurs d’université, y compris parmi des historiennes remarquables, absolument non suspectes de conservatisme.

B1) Mathilde Larrère et son concept de "révolution libérale"

Maître de conférence en histoire contemporaine, dirigeante du PG 75 et animatrice de la Commission Histoire du Parti de Gauche, elle a coordonné un magnifique ouvrage intitulé Révolutions (éditions Belin) dans lequel elle n’utilise pas le concept de révolution bourgeoise.

En fait, elle utilise le concept de "révolution libérale" pour caractériser les mêmes faits que ceux placés par Marx ou Jaurès sous le nom de "révolution bourgeoise".

Elle définit en particulier comme libérales :

- la révolution anglaise du 17ème

- la Guerre d’indépendance américaine

- la Révolution française de 1789 à 1792 puis du 9 thermidor (1794) à 1799

Elle décrit bien le comportement politique des milieux économiques fortunés durant ces évènements. « Une fois le pouvoir monarchique abattu, les élites bourgeoises parlent de souveraineté nationale et non de souveraineté populaire parce qu’elles refusent le suffrage universel... Ces libéraux parlent de liberté de la presse, de liberté économique mais pas de droits sociaux (ainsi, ne remettent-ils pas en cause l’esclavage). Ils s’appuient sur le peuple mais ne veulent pas satisfaire ses revendications ; donc, ils essaient de le contenir puis de l’écraser si possible (niveleurs pendant la révolution anglaise, fermiers pendus durant la révolution américaine, loi martiale de la révolution française). »

Elle utilise encore le concept de "révolution libérale" pour caractériser les mêmes faits que ceux placés par Marx ou Jaurès sous le nom de "révolution bourgeoise" pour les révolutions de 1830 et 1848.

Elle utilise enfin le concept de "révolution libérale" pour caractériser les mêmes faits que ceux placés par les marxistes et socialistes révolutionnaires sous le nom de "révolution bourgeoise" pour des révolutions du 20ème siècle comme la révolution "Jeune turque" de 1908, pour la révolution chinoise de 1911.

B2) Mathilde Larrère et son concept de "révolution radicale"

Pour caractériser la période de la Convention montagnarde de 1793 1794, elle emploie, comme plusieurs historiens anglo-saxons le concept de "révolution radicale". Plusieurs théoriciens socialistes (comme Rosa Luxembourg et Daniel Guérin) et historiens ont déjà exploité cette voie. Je suis d’accord, même si je préfère le terme de "révolution populaire (radicale)".

Je suis également en accord total avec son analyse des révolutions du 19ème siècle. « Tout le 19ème siècle est marqué par une tension entre les potentialités de la révolution libérale et celles de la révolution radicale. »

B3) Florence Gauthier

Florence Gauthier, maître de conférences en histoire moderne à l’Université Paris VII et éminente spécialiste de la Révolution française, a produit une Critique du concept de "révolution bourgeoise" appliqué aux Révolutions des droits de l’homme et du citoyen du XVIIIe siècle que tout lecteur peut découvrir sur le web à l’adresse URL http://revolution-francaise.net/200....

Avant d’aborder ma critique, je tiens à affirmer mon admiration pour ses écrits et ma conviction d’être évidemment bien moins connaisseur du sujet qu’elle. Ceci dit, cela n’empêche pas de réfléchir.

En fait, toute son argumentation part de son désaccord avec la caractérisation de la Révolution française comme révolution bourgeoise.

Je viens de signaler ci-dessus mon accord avec Mathilde Larrère pour ne pas analyser la Convention montagnarde comme faisant partie du processus de révolution bourgeoise. Globalement, je rejoins Rosa Luxembourg pour affirmer qu’ En l’an 1793, le peuple de Paris a réussi à détenir le pouvoir entre ses mains pour une courte durée.

La principale attaque de Florence Gauthier ne s’adresse pas à Marx ou au marxisme mais particulièrement au guesdisme puis à la version grossière du stalinisme :

Au début du XXe siècle, on entendait la Révolution française comme “révolution bourgeoise” dans le sens où la direction politique de la révolution serait restée bourgeoise, passant d’une fraction de la bourgeoisie à une autre. Les tâches de cette révolution auraient été accomplies par les coups de bélier portés par le mouvement populaire, considéré comme non-pensant, et se trouvant donc dans l’incapacité d’avoir un quelconque rôle dirigeant.

Toutefois, comme il s’agissait d’une “ révolution bourgeoise”, on rechercha l’existence d’un embryon de “prolétariat”. Et l’on interpréta alors la présence des Enragés, des Hébertistes, des Babouvistes, comme de petits groupes “communistes”, esquisse du mouvement futur, celui de la “révolution prolétarienne”.

Cette interprétation est présente chez Jaurès, dans son Histoire socialiste de la Révolution française. L’ouvrage dépasse d’ailleurs ce schéma interprétatif, grâce à la publication de très nombreux documents, parfois in extenso, qui laissent entendre les voix multiples des révolutionnaires, et qui contredisent bien souvent le schéma interprétatif.

Je suis surpris de voir Jaurès intégré parmi les théoriciens marxisants mécanistes de la Révolution française. Il analyse, à mon avis à juste titre et de façon admirable, le phénomène révolutionnaire de 1789 à 1791 comme maîtrisé par les élites bourgeoises. Par contre, il voit bien les aspects populaires pré-socialistes durant la période de la Convention montagnarde.

Florence Gauthier présente ensuite les mouvements révolutionnaires paysans et populaires urbains dès 1789 (magnifiquement analysés par Lefebvre et Soboul en particulier) comme contradictoires avec l’analyse de la révolution française comme révolution bourgeoise. Elle insiste en particulier sur les phénomènes d’auto-organisation démocratique de ces mouvements. La thèse de Soboul fit scandale en découvrant ce que l’historiographie actuellement dominante tente à toute force de dissimuler : la démocratie communale, vivante, inventeuse de formes de vie politique et sociale nouvelles s’appuyant sur la citoyenneté et la souveraineté populaire, créant un espace public démocratique, se nourrissant des droits de l’homme et du citoyen et inventant même, de concert avec la révolution paysanne, un nouveau droit de l’homme : le droit à l’existence et aux moyens de la conserver. Bref, la découverte d’un véritable continent historique, méconnu jusqu’à ces travaux.

D’une part toute révolution bourgeoise s’appuie sur des mouvements populaires ayant pour partie leur propre autonomie et parfois leurs propres modes d’organisation. D’autre part, pour quiconque analyse les années 1793 et 1794 comme relevant d’une révolution populaire (radicale) présentant des aspects pré-socialistes, la vitalité du mouvement social et de son auto-organisation ne sont absolument pas surprenants (sauf pour le stalinisme moscovite fort éloigné de la valorisation des phénomènes d’auto-organisation démocratique).

Florence Gauthier continue en niant le fait que le robespierrisme représente une fraction de la bourgeoisie française. Je suis d’accord avec elle mais cela n’invalide pas l’analyse de la révolution française de 1789 à 1792 et 1794 à 1799 dans le cadre du concept de "révolution bourgeoise".

Florence Gauthier poursuit encore en critiquant l’analyse prétendue "marxiste" de la Convention montagnarde comme une dictature. Je suis d’accord avec elle ; mais, encore une fois, cela arrangeait le stalinisme de justifier la dictature du prolétariat à la mode du guépéou par une prétendue dictature bourgeoise robespierriste. Cela n’invalide pas non plus l’analyse de la révolution française de 1789 à 1792 et 1794 à 1799 dans le cadre du concept de "révolution bourgeoise".

Autre argument L’école de Furet utilise le schéma de la “révolution bourgeoise” pour évacuer le mouvement populaire de ses préoccupations, et donc de l’histoire. Tout à fait d’accord mais ce Furet du bicentenaire n’a rien à voir avec le marxisme.

Florence Gauthier utilise ensuite l’exemple de Barnave, acteur de la révolution de 1789 et des droits de l’homme mais défenseur de l’esclavage en 1791. Son argumentation est surprenante car ce député issu d’une vieille famille riche et puissante du Dauphiné est un bon exemple d’élite bourgeoise consciente de ses intérêts matériels face à la royauté et aux institutions issues de la féodalité mais aussi face au mouvement populaire et à ses revendications.

Elle résume parfaitement la révolution bourgeoise de 1789 à l’été 1792 La société était menacée par les transformations de type capitaliste dans le marché des subsistances. La guerre du blé commençait : Les gros marchands de grains cherchaient à s’entendre avec les gros producteurs pour substituer aux marchés publics contrôlés par les pouvoirs publics, un marché de gros privé. Ces marchands devenaient capables, dans certains lieux comme les villes, de contrôler l’approvisionnement du marché et d’imposer les prix. Les économistes dits libéraux de l’époque soutenaient, avec beaucoup de conviction, que le droit à l’existence et aux subsistances du peuple n’était qu’un préjugé, que, dans le moyen terme, il serait assuré par la liberté indéfinie du commerce des grains qui devait résoudre le problème de la production et de la consommation pour tous, par l’harmonie des intérêts individuels en concurrence. Or, l’Assemblée constituante se rallia à la politique des économistes dits libéraux, proclama la liberté illimitée de la propriété et vota la loi martiale pour réprimer les résistances populaires. La contradiction qui éclata entre le droit de propriété qui n’est pas universel, et le droit naturel à la vie et à la conservation de l’existence fut exemplaire. Deux conceptions du libéralisme s’affrontèrent. Le libéralisme économique révéla son caractère pseudo libéral en renonçant à l’universalité du droit et en rompant ainsi avec la théorie de la révolution des droits de l’homme et du citoyen. La Constitution de 1791 viola la Déclaration des droits en imposant un suffrage censitaire, qui restreignait le droit de vote aux chefs de famille riches, maintint l’esclavage dans les colonies, au nom de la préservation des propriétés, nous l’avons déjà aperçu avec Barnave, et appliqua la loi martiale provoquant une guerre civile en France et dans les colonies.

Elle poursuit en constatant que c’est la révolution populaire de l’été 1792 qui remit la Déclaration des droits à l’ordre du jour et réclama un nouveau droit de l’homme : le droit à l’existence et aux moyens de la conserver. Les droits économiques et sociaux furent une véritable invention de cette période. Tout à fait d’accord ; c’est en raison de cela que la période ouverte par le 10 août peut être analysée comme révolution populaire (radicale) et non comme révolution bourgeoise.

C) Survol des révolutions anti-absolutistes et bourgeoises

Du 16ème siècle au début du 20ème siècle des révolutions éclatent dans des pays dont le pouvoir politique est accaparé par une dynastie.

C1) Quelles révolutions caractériser de bourgeoises (anti-absolutistes, libérales, nationales

Nous comptons essentiellement parmi elles :

- la révolution des Pays Bas de 1566 à 1609. Elle est la première à fonder un Etat bourgeois que nous pouvons caractériser comme moderne.

- les deux révolutions anglaises du 17ème siècle, particulièrement celle de 1640 à 1660. Elle se termine par un compromis politique avec la royauté et les lords et surtout par une victoire évidente en ce qui concerne les conditions de développement capitaliste et le rôle de la bourgeoisie.

- la révolution américaine du 18ème siècle (1775 à 1783)

- la révolution batave (1781 à 1787)

- la révolution brabançonne (1787 à 1790)

- la Révolution française de 1789 à 1792 puis 1794 à 1799

C2) Quelles sont leurs caractéristiques communes ?

- Elles surviennent dans les territoires économiquement les plus avancés en matière développement capitaliste. Les Pays Bas représentent au milieu du 16ème siècle, le pays le plus riche d’Europe plaque tournante de l’activité commerciale, bancaire et culturelle, avec la plus grande flotte de commerce, de grandes villes, une industrie drapière florissante, une agriculture moderne tournée vers la consommation urbaine... En Angleterre, les comtés ruraux restés à l’écart de l’essor économique sont royalistes. Les révolutions américaine, batave, brabançonne et française explosent également dans des pays économiquement développés ; le même constat qu’en Angleterre peut être posé : les secteurs les plus ruraux combattent en défense du royalisme.

- Elles sont menées contre les ordres hiérarchiques monarchiques, particulièrement contre le roi.

- Leur base sociale est fort composite. Le peuple apporte son nombre et sa détermination mais l’embryon de bourgeoisie est très actif. Une partie des nobles profite de l’affaiblissement du pouvoir royal pour tenter d’occuper le devant de la scène politique.

- Leur base sociale évolue et se différencie...

- Elles portent également l’aspiration à la "souveraineté nationale". Dans le cas des Pays Bas, américain et brabançon, il s’agit d’une lutte nationale contre un roi étranger.

- Elles demandent un transfert de la souveraineté, du roi aux élus dans le cadre d’une séparation des pouvoirs

C3) Capitalisme et révolutions bourgeoises anti-absolutistes

Le capitalisme représente à l’échelle de l’histoire humaine un tournant aussi important que le néolithique, époque qui avait permis à l’humanité de sortir du seul nomadisme, chasse, cueillette pour engager le processus de développement de l’agriculture, du sédentarisme, de la ville, des Cités-Etat, de la division du travail, de la connaissance, de l’écriture, de la monnaie...

Le déploiement du capitalisme lié à la révolution industrielle et urbaine se déploie sur près d’un millénaire :

- > Quatre siècles de constitution des conditions de développement du capitalisme (12ème, 13ème, 14ème, 15ème) au sein du mode de production féodal ;

- > deux siècles de pré-capitalisme aux 16ème et 17ème siècles,

- > un siècle et demi de transition tiré essentiellement par le Royaume-Uni (berceau de la révolution industrielle), la France (principale puissance économique du monde), puis aussi l’Allemagne et les Etats Unis.

- > enfin un siècle et demi d’expansion planétaire jusqu’à la fin du 20ème siècle.

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C4) La révolution française

Je ne suis pas d’accord pour la définir comme l’exemple type des révolutions bourgeoises. La période de 1789 à 1815 correspond effectivement pour la France à la fin de la féodalité comme de la royauté absolutiste, à la mise en place des conditions politiques, économiques, politiques, financières permettant le développement du marché capitaliste. Cependant :

- d’une part la Révolution française de 1789 est une révolution populaire que la bourgeoisie réussit à chevaucher jusqu’en 1792 pour abattre les privilèges féodaux mais qui débouche en 1793 1794 sur le premier exemple dans l’histoire de perte du pouvoir politique par les privilégiés (voir sur ce point Rosa Luxembourg, Lénine, Jaurès...)

- d’autre part la grande bourgeoisie ne réussit à prendre les rênes du pouvoir que par la création d’un Etat centralisé, césarien, fort différent du libéralisme politique habituel


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