Violences sexistes et sexuelles : « Le monde politique est encore celui qui se croit le plus intouchable »

jeudi 18 novembre 2021.
 

Ce lundi 15 novembre, Le Monde publie une tribune de 285 femmes travaillant dans le milieu politique et universitaire appelant à « écarter les auteurs de violences sexuelles et sexistes » de la vie politique. On en a causé avec deux des premières signataires, Fiona Texeire et Hélène Goutany, autrices du podcast « Y a pas mort d’homme ».

Hélène Goutany est journaliste indépendante. Fiona Texeire est collaboratrice d’élu.e.s, intervenante sur les violences sexistes et sexuelles à Sciences Po Rennes.

* * *

Regards. Vous venez de lancer le podcast « Y a pas mort d’homme », une série mensuelle de huit épisodes qui s’intéresse aux violences sexistes et sexuelles en politique. Comment en êtes-vous arrivées à monter ce projet ?

Fiona Texeire. Quand j’ai rencontré Hélène en début d’année, on a longuement parlé féminisme et politique. Les violences sexistes et sexuelles sont à mon sens un angle incontournable pour appréhender le fonctionnement de la classe politique. J’ai été collaboratrice d’élus pendant treize ans, ces violences, j’en ai été à la fois victime et témoin. Quand Hélène m’a proposé de créer un podcast, c’était une évidence : il était temps pour moi d’en parler ouvertement, pour dire ce qu’il se passe dans les coulisses du monde politique. Et c’est comme ça qu’est né « Y’a pas mort d’homme ».

Hélène Goutany. J’étais effarée de l’ampleur des violences sexistes et sexuelles en politique. Avec la présidentielle qui arrive, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour qu’elles soient évoquées dans le débat public.

Le premier épisode commence par cette question : « Pourquoi la politique reste un affaire d’hommes ? » et Édith Cresson en est l’invitée. Et ce constat tombe : « Que s’est-il passé en 30 ans ? Rien. » Rien, vraiment ?

Hélène Goutany. Non, il y a eu quelques avancées, on a eu d’autres femmes ministres – pas Première ministre, d’ailleurs Emmanuel Macron l’a dit avant l’été dans son interview dans Elle qu’il n’allait pas nommer de femmes à ce poste pour la fin de son quinquennat. On peut aussi s’interroger sur les femmes qu’il nomme, sur la présence médiatique de Marlène Schiappa qui n’a même pas de budget alloué… Les violences sexistes et sexuelles étaient censées être la grande cause du quinquennat, sauf qu’en réalité ces violences sont toujours là. Gérald Darmanin est toujours à l’Intérieur… Mais il y a eu une évolution avec Emmanuel Macron : il a féminisé l’Assemblée. Avant, les partis préféraient payer des millions d’euros d’amendes plutôt que d’investir des femmes. Pour autant, le pouvoir continue de changer les hommes (mais ça nous l’aborderons dans l’épisode 2 du podcast) et il est toujours plus compliqué de s’attaquer à des hommes de pouvoir. C’est aussi lié à la nature du pouvoir français. En France, on a inventé la loi salique qui interdit aux femmes d’accéder au trône. On a donc un pouvoir masculin, basé sur la séduction, et on a une conception du pouvoir hérité de l’Ancien Régime où un homme fort est un homme qui a plusieurs femmes. Regardez les réactions après l’affaire DSK, on est toujours dans ces schémas-là.

Fiona Texeire. En 30 ans, il y a eu la parité. C’est une réforme mise en place à la fin des années 1990, à la fois parce que la France était la honte de l’Europe tellement la politique se faisait en quasi non-mixité, et aussi sous la pression des mouvements féministes et des femmes des partis. Comme pour le droit de vote, les résistances étaient très nombreuses. Robert et Élisabeth Badinter expliquaient par exemple que ce serait une « dérive mortelle » pour la République. Mais quand on souligne que presque rien n’a changé, c’est d’une part que la parité est loin d’être achevée (80% des maires sont des hommes) et d’autre part qu’elle ne s’est pas accompagnée d’un réel partage du pouvoir et des responsabilités. Depuis trente ans, combien de femmes à la tête de l’État, du gouvernement, de l’Assemblée, du Sénat, du Conseil constitutionnel ? Aucune.

« C’est très difficile de dénoncer ces violences car elles sont exercées par des hommes puissants, qui jouissent parfois d’une immunité liée à leur fonction, d’une impunité liée au fonctionnement de la classe politique. Ces intimidations, ces violences impactent la manière dont les femmes peuvent peser politiquement. »

Vous affirmez que « le #MeToo de la politique n’est pas encore advenue ». Pourtant, il y a eu des affaires plus ou moins retentissantes : DSK, Tron, Baupin...

Fiona Texeire. Je crois que le monde politique est encore celui qui se croit le plus intouchable. De la Révolution française jusqu’en 1944, nos institutions se sont construites en excluant les femmes. De 1944 à 2000, tout était fait pour leur barrer l’accès aux mandats électifs. Et depuis une vingtaine d’années, celles qui parviennent à pénétrer le jeu politique font souvent état de climats pesants, de sexisme, de harcèlement, d’agressions sexuelles, parfois de viol. C’est très difficile de dénoncer ces violences car elles sont exercées par des hommes puissants, qui jouissent parfois d’une immunité liée à leur fonction, d’une impunité liée au fonctionnement de la classe politique. Ces intimidations, ces violences impactent la manière dont les femmes peuvent peser politiquement, se maintenir sur le long terme. Elles portent en elles une remise en cause de l’égalité femmes-hommes et nuisent au bon fonctionnement de notre démocratie. C’est un enjeu qui dépasse l’expérience de collaboratrices ou de femmes élues et qui concerne tous les citoyens de notre pays.

Hélène Goutany. Concernant les affaires les plus retentissantes, il ne faut pas oublier que DSK, c’est arrivé aux États-Unis. On ne peut savoir ce qu’il serait advenu en France. Pour Tron et Baupin, il n’était plus possible de cacher leurs agissements et les partis ont arrêté de soutenir ces hommes. Par ailleurs, même s’il y a eu des affaires, des femmes très courageuses comme Sandrine Rousseau qui ont réussi à prendre la parole, il faut bien voir que parmi les victimes de Baupin, il n’y a que deux ou trois femmes qui ont continué à faire de la politique. Les autres sont dégoûtées. Donc non, le #MeToo de la politique n’est pas advenu, beaucoup de victimes n’osent pas dire ce qu’elles ont vécu. Le problème, c’est qu’une collaboratrice, ce n’est pas une fonctionnaire. Elle est employée directement par son député, et n’est donc pas protégée par ce statut, ce qui fait que c’est d’autant plus facile de s’en prendre à elle Les fonctionnaires sont bien évidemment aussi victimes de violences sexistes et sexuelles mais elle n’ont pas ce rapport de face à face permanent avec l’élu comme une collaboratrice peut l’avoir au quotidien dans les bureaux de l’Assemblée. Et pour en avoir interrogées plusieurs, à chaque fois, ce sont les mêmes techniques, les mêmes scénarios, et à chaque fois je suis étonné de la façon dont elles en parlent : elles vident tout leur sac. L’écoute n’est pas encore disponible. Mais il y a des initiatives d’entraide qui sont mises en place entre élus, entre collaborateurs. Pour moi, c’est de la mise en pratique de la sororité. La sororité, c’est un peu un mot qu’on pourrait penser galvaudé, mais en France on parle de fraternité donc, de fait, on est exclues du jeu. Faire preuve de sororité est d’autant plus dur qu’il y a moins de place pour les femmes en politique.

« Il faut écarter de l’exercice des responsabilités les hommes violents. Il faut engager un véritable rapport de force politique car une démocratie ne peut fonctionner en rabaissant 52% de la population. »

Que faut-il faire pour sortir de ce monde politique construit par et pour les hommes ? Continuer à avancer pas à pas, vers la parité, l’égalité, ou carrément faire la révolution et détruire le patriarcat ?

Hélène Goutany. Une jeune collaboratrice m’a raconté que, quand on grandit en France, c’est "pas cool" de traîner avec les filles. Les filles ne s’aiment pas entre elles, elles ne sont pas éduquées à s’apprécier et il y a toujours des mises en concurrence.. Ce qui est chouette en ce moment, c’est qu’il y a beaucoup de mouvements féministes, que des femmes se font entendre, qu’il y a une libération de l’écoute – non pas de la parole –, néanmoins le féminisme est toujours victime de backlash, des moments de retour aux normes patriarcales comme on peut le voir avec des candidats non-déclarés comme Éric Zemmour, qui prône un retour à l’ordre masculiniste.

Fiona Texeire. Ce qu’il faut faire, c’est garantir aux femmes l’accès à l’engagement citoyen, politique. Il faut permettre à celles qui souhaitent s’investir de pouvoir le faire sans craindre d’être victime de violences sexistes et sexuelles. Il faut écarter de l’exercice des responsabilités les hommes violents. Il faut engager un véritable rapport de force politique car une démocratie ne peut fonctionner en rabaissant 52% de la population.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message