Chocolat : le guide pour acheter éthique et écolo

mercredi 29 décembre 2021.
 

Producteurs de cacao payés une misère, travail des enfants, déforestation... Le chocolat n’est guère éthique. Mais certains labels équitables et bio se démarquent : à l’approche des fêtes de fin d’année, Reporterre fait le point.

Chaque année, chaque Français en mange en moyenne 7,3 kilogrammes [1], dont une bonne partie pendant les fêtes de Noël. Tablettes, bonbons, pépites, biscuits, pâtes à tartiner... le chocolat a investi nos placards. Au point qu’on en oublie que les fèves de cacao, nécessaires à sa fabrication, sont récoltées sous les tropiques, à des milliers de kilomètres de nos foyers. Leur transport est polluant, et la cacaoculture pose plusieurs enjeux éthiques et écologiques. Peut-on continuer à consommer autant de chocolat ? Un autre chocolat est-il possible ? Reporterre fait le point.

1 — Comment fait-on du chocolat ?

Tout commence avec le cacaoyer, un arbre très sensible qui ne se développe qu’à l’ombre d’autres grands végétaux. Il est originaire d’Amérique du Sud, mais des plants de cacaoyers ont été acclimatés en Afrique de l’Ouest dès le début du XIXe siècle [2]. Il produit des fruits jaunes, appelés cabosses, qui ont la forme d’un ballon de rugby.

Les cacaoculteurs doivent séparer la cabosse de la branche avec une lame, puis fendre le fruit à l’aide d’une machette. Les fèves de cacao apparaissent alors à l’intérieur, enrobées d’une pulpe blanche. Elles sont récoltées, puis entreposées dans des bacs ou des feuilles de bananiers pour fermenter plusieurs jours, et développer les premiers arômes. Pour retirer leur humidité, les fèves sont ensuite mises à sécher, au soleil ou sur un courant d’air chaud, pendant près d’une semaine.

Le plus souvent, ces fèves sont rassemblées et envoyées par bateau dans des chocolateries en Europe. Elles y sont concassées (pour séparer le grain de cacao de sa coque et son germe), torréfiées (chauffées) et broyées. On obtient alors une pâte de cacao. En la pressant, sont extraits du liquide (du beurre de cacao) et un tourteau (qui deviendra de la poudre de cacao). Pour obtenir le chocolat que nous connaissons, il faut mélanger de la pâte de cacao avec du beurre de cacao, en ajoutant du sucre et éventuellement de la poudre de lait. Le tout est ensuite chauffé et brassé lentement pour développer l’onctuosité du mélange. Dernières étapes : le chocolat est tempéré (refroidi puis réchauffé) et, enfin, moulé.

2 — Quels problèmes pose la culture de cacao ?

« Aujourd’hui, plus de la moitié des producteurs de cacao vivent sous le seuil de pauvreté », déplore Frédéric Amiel, auteur de Petite histoire de la mondialisation à l’usage des amateurs de chocolat (Éditions de l’Atelier, 2021). Sur le marché mondial, le prix du cacao est très bas. Et même lorsqu’il augmente, ce ne sont pas les planteurs qui en bénéficient mais les fabricants de chocolat et les distributeurs. D’après une étude de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les cacaoculteurs ne reçoivent en moyenne que 11 % du prix d’une tablette vendue en France en grande surface. Pour certaines références de tablettes, ce chiffre ne dépasse même pas 4 %. Dans ce contexte de misère, l’Unicef rapporte que plus de deux millions d’enfants travaillent aujourd’hui dans des plantations de cacao en Côte d’Ivoire, le principal pays producteur à l’échelle mondiale.

Les cacaoculteurs ne reçoivent en moyenne que 11 % du prix d’une tablette vendue en France en grande surface.

La Côte d’Ivoire a également perdu 80 % de ses forêts en soixante ans. Les études manquent pour attribuer entièrement cette situation à la production de cacao, mais il est prouvé qu’elle y contribue. « Il n’y a pas de mise massive de cacao sur le marché sans déforestation massive », confirme François Ruf, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes (Cirad). Ce chercheur a étudié les différents « booms » du cacao de ces dernières décennies et en a élaboré un modèle.

Certains producteurs défrichent des parcelles de forêts pour y installer une plantation. Cela leur procure des rendements importants les premières années, mais cela ne dure pas si les cacaoyers ne sont pas protégés du soleil par d’autres grands arbres. « Un boom du cacao dans une région est presque inévitablement suivi d’une récession à l’échelle locale, poursuit François Ruf. Elle induit à son tour une nouveau boom dans une autre région, un peu plus loin, avec les mêmes producteurs ou leurs fils. C’est une longue répétition de cycles régionaux qui se déplacent une fois la forêt consommée à un endroit donné. » À tel point qu’il ne reste presque plus de surface forestière dans le principal pays producteur de cacao. En outre, pour améliorer leurs rendements, certains producteurs utilisent des produits chimiques qui abiment leur santé et polluent leur environnement.

3 — Commerce équitable, agriculture biologique… Les labels sont-ils une solution ?

La majeure partie du cacao que nous mangeons ne répond pas à des exigences sociales et environnementales. Sur les 7,3 kilogrammes de chocolat consommés par an en France, seulement 300 grammes sont labellisés Fairtrade/Max Havelaar, le principal label de commerce équitable dans notre pays.

Les garanties majeures du commerce équitable sont : un prix minimum d’achat garanti pour les producteurs auquel s’ajoute une prime de développement pour des projets collectifs, et une garantie de traçabilité. Contrairement au cacao conventionnel, qui vient principalement de Côte d’Ivoire, le cacao équitable est, notamment, originaire du Pérou, d’Équateur et de République dominicaine.

« La dynamique est positive, on a doublé le volume de cacao équitable consommé en France depuis trois ans. Mais ce n’est pas non plus faramineux », regrette Blaise Desbordes, directeur général de Max Havelaar France. Le secteur de la transformation et du commerce de cacao est dominé par quelques entreprises : Mars, Nestlé, Ferrero, Mondelez… Et elles utilisent peu de cacao équitable. La labellisation reste donc un marché de niche.

Autre limite : « Dans le commerce équitable, le prix minimum d’achat aux producteurs est un bon principe, mais son niveau n’est pas suffisant, dit Frédéric Amiel. Celui du label Fairtrade/Max Havelaar décolle à peine du prix du marché. En réalité, il faudrait multiplier par deux ou trois la rémunération des planteurs. » Il constate que seules quelques marques, comme Éthiquable (label Symbole des producteurs paysans et label agriculture biologique), essaient d’atteindre ce niveau.

C’est le problème de base dans le secteur du cacao, les prix sont trop bas, dit Christophe Eberhart, cofondateur d’Éthiquable. Chez Fairtrade, le prix minimum garanti pour les producteurs, en incluant la prime de développement et la prime bio, est de 2 950 dollars la tonne. Notre label garantit un prix minimum de 3 600 dollars la tonne. Mais nous achetons nos cacaos encore plus chers, entre 4 000 et 4 500 dollars la tonne ! » Des améliorations du niveau de vie des producteurs existent donc selon les exigences des labels, mais elles restent marginales.

Une autre promesse du commerce équitable est la garantie de traçabilité. Cette traçabilité est plus ou moins précise : certains labels choisissent de vérifier une simple équation : X tonnes de fèves équitables entrées dans une usine doivent permettre de fabriquer X tonnes de chocolat équitable. Si cette équation est respectée, les tablettes sont labellisées. Une traçabilité comptable donc, qui permet d’assurer au consommateur qu’il a bien soutenu une filière éthique. Croque-t-il pour autant un carré de chocolat équitable ? Pas forcément, puisque du cacao « ordinaire » est mélangé à l’équitable dans l’usine — pour des raisons de praticité.

C’est ainsi que fonctionne le label Fairtrade/Max Havelaar. « Ce n’est pas le cas chez d’autres labels de commerce équitable, comme SPP, WFTO, Fair for life ou Bio Partenaire » dit Julie Stoll, déléguée générale de Commerce équitable France. [3]

Lorsque la tablette de chocolat est labellisée bio, la traçabilité physique des fèves de cacao est cette fois obligatoire. Donc, s’il choisit du chocolat portant un label de commerce équitable ET un label bio, le consommateur aura un produit qui satisfait à des exigences à la fois environnementales (pas de produits chimiques utilisés dans les champs de cacao, pas de déforestation) et sociales (meilleure rémunération des producteurs – selon les labels –, donc moins de risque de travail des enfants). « En France, 90 % du chocolat équitable vendu a aussi le label bio », souligne Julie Stoll.

« Les deux labels se répondent parfaitement bien, estime Anne Meyer, responsable des filières pour la marque AlterEco. Certaines coopératives de producteurs démarrent en faisant du commerce équitable, ce qui leur permet d’investir, puis de mettre en place des pratiques plus écologiques à l’échelle de leur parcelle, et de se faire labelliser bio. »

En revanche, il faut se méfier des labels créés par les entreprises, comme le Cocoa Plan pour Nestlé, ou le Cocoa Life de Mondelez. Petites vignettes accolées au dos des tablettes de chocolat, elles promettent une amélioration des conditions de vie des producteurs de cacao, sans engagement précis tel qu’un prix minimum garanti. Surtout, elles ne sont pas contrôlées par un organisme extérieur et indépendant.

4 — Et les chocolatiers dans tout ça ?

Au lieu d’acheter des tablettes en grande surface, certains consommateurs préfèrent se tourner vers un chocolatier. Ces professionnels peuvent faire du « bean to bar » [4], c’est-à-dire fabriquer leur chocolat directement depuis les fèves de cacao. D’autres n’ont pas le matériel ni les moyens pour le faire, et produisent leur chocolat à partir de pâte de cacao commandée auprès d’une entreprise de transformation.

« Quand on ne fait pas de bean to bar, on n’a pas la main sur la provenance du cacao, on dépend de nos fournisseurs et de ce qu’ils veulent nous raconter », explique Tiphaine Corvez, vice-présidente de la Confédération des chocolatiers. D’où l’intérêt de bien les choisir, et de leur demander des garanties sur la provenance des fèves et du beurre de cacao – qui peuvent, comme les tablettes vendues en grande surface, être labellisés commerce équitable ou bio.

En 2015, des artisans chocolatiers français ont échangé avec le Conseil interprofessionnel du cacao et du café du Cameroun. Ensemble, ils ont créé un programme pour former des cacaoculteurs au traitement post-récolte (séchage, fermentation). « La grande majorité du cacao mis sur le marché aujourd’hui n’est pas ou mal fermenté », dit Daniel Mercier, vice-président de la Confédération des chocolatiers de France. Ensemble, les producteurs, les artisans et leurs fournisseurs ont fixé un prix minimum garanti pour ce cacao de qualité. Aujourd’hui, le Club des chocolatiers engagés compte une centaine d’adhérents : des chocolatiers mais aussi des boulangers, pâtissiers, glaciers… « C’est un projet encore marginal, mais qui va dans le bon sens », approuve l’économiste François Ruf.

« Je conseille aux consommateurs de poser des questions à leur chocolatier, dit Tiphaine Corvez, de la Confédération des chocolatiers. D’où viennent les fèves ? Vous ferez vite la différence entre quelqu’un qui y répond avec enthousiasme, qui n’a rien à cacher, et quelqu’un qui ne sait pas y répondre ou qui y met de la mauvaise volonté. Même si je comprends qu’on n’a pas toujours le temps, surtout quand il y a douze personnes derrière vous à la période de Noël... »

5 — Doit-on renoncer au chocolat ?

« Plutôt que de manger moins de chocolat, il y aurait aussi possibilité de mieux rémunérer les producteurs, de mieux garantir l’origine des produits, de mieux lutter contre la déforestation, avec un même niveau de consommation, analyse Frédéric Amiel. Le problème, c’est qu’il faut que quelqu’un paye. » Et, pour le moment, les multinationales qui détiennent la majorité du secteur du cacao ne sont pas prêtes à passer le pas.

Des marques comme Ethiquable et des initiatives comme le Club des chocolatiers engagés, qui rémunèrent davantage les producteurs, sont tout de même une belle avancée.

C’est maintenant que tout se joue…

La communauté scientifique ne cesse d’alerter sur le désastre environnemental qui s’accélère et s’aggrave, la population est de plus en plus préoccupée, et pourtant, le sujet reste secondaire dans le paysage médiatique. Ce bouleversement étant le problème fondamental de ce siècle, nous estimons qu’il doit occuper une place centrale et quotidienne dans le traitement de l’actualité.


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