Christiane Taubira, l’inclassable icône passée de Balladur à la "résistance" en passant par Tapie

jeudi 6 janvier 2022.
 

Par Geoffroy Clavel

Quand Taubira l’indépendantiste votait l’investiture de Balladur

Pasionaria d’une gauche souvent peu soucieuse de son maigre bilan place Vendôme, victime expiatoire d’une droite qui s’est bien souvent aveuglée dans les attaques ad hominem, Christiane Taubira reste un mystère pour beaucoup.

"Mon fonctionnement est tellement simple que je ne comprends pas qu’il faille l’expliquer", écrivait ce sphinx politique dans son autobiographie "Mes Météores" parue en 2012. La suite est à peine plus éclairante : "Je tiens pour juge suprême ma conscience et elle seule, et je m’incline devant une décision que je peux ne pas approuver par désaccord sur la méthode mais dont je reconnais que les mobiles ou les résultats servent l’intérêt collectif". Etrange définition d’un esprit libre jusqu’au refus du dogmatisme.

Il faut se replonger dans les archives de l’Assemblée pour retrouver la trace de son premier vote en 1993. Celle qui embrasse alors une longue carrière parlementaire vient tout juste de se faire élire députée avec le soutien de son parti indépendantiste Walwari, cofondé avec son mari. Comme le rappelle la journaliste Caroline Vigoureux dans sa biographie "Le mystère Taubira" (Plon), l’élue de Guyane qui affirmera avoir vécu dans la clandestinité en raison de ses liens avec le milieu indépendantiste violent, intègre un groupe hétéroclite d’électrons libres de droite comme de gauche, rassemblant Jean-Louis Borloo, Bernard Tapie ou encore Jean-Pierre Chevènement. "En conscience", elle vote la confiance du premier ministre de cohabitation Edouard Balladur. "Rien dans ce discours [de politique générale] ne constituait un élément rédhibitoire à mon vote", se justifiera-t-elle plus tard, sa conscience comme seul "juge suprême".

De Bernard Tapie au PRG en passant par le PS

"Parfois résister c’est rester, parfois résister c’est partir". Christiane Taubira résiste beaucoup et souvent en partant. Réélue députée sans discontinuer jusqu’en 2012, l’ancienne indépendantiste peine à se trouver une terre d’accueil partisane durable en métropole. Un an seulement après avoir voté la confiance à Balladur, la voici 4e sur la liste aux européennes conduite par Bernard Tapie au nom du PRG qui infligera sa dernière grande défaite à Michel Rocard.

"Parfois résister c’est rester". Trois ans et une dissolution plus tard, c’est pourtant auprès du groupe socialiste qu’elle décide de s’apparenter, non sans avoir négocié sa liberté de parole au préalable. Un choix stratégique qui lui permettra de faire adopter en 2001 la première loi à porter son nom. Car bien avant le mariage pour tous, la loi Taubira instituait comme crimes contre l’humanité la traite négrière transatlantique et l’esclavage. Un symbole fort, controversé pour les détracteurs des lois mémorielles, mais qui va donner des ailes à celle qui s’est imposée comme une figure du Parlement.

"Parfois résister c’est partir". Moins d’un an avant la présidentielle de 2002, celle-ci quitte le groupe socialiste pour rejoindre celui où siègent les députés du PRG. Nouvel acte d’émancipation qui annonce sa prochaine candidature avec le résultat que l’on connait. Ce qui ne l’empêchera pas d’envisager de se représenter en 2007 avant de se rallier à la candidature de Ségolène Royal, alors apôtre du blairisme, puis de soutenir Arnaud Montebourg le "démondialisateur" lors de la primaire de 2011. Encore une affaire de conscience.

Une étonnante longévité ministérielle

Au regard de ce parcours sinueux, on pourrait et on doit s’étonner de sa longévité exceptionnelle à la tête d’un ministère de la Justice où ses marges de manoeuvre n’ont eu de cesse de se réduire. Si le mariage pour tous et la litanie des attaques racistes a fait d’elle une caution de gauche utile à un François Hollande qui n’a eu de cesse de se déporter sur sa droite, comment expliquer qu’elle, la femme de convictions, ait tant toléré sans tirer les conséquences de son isolement ?

Rappelez-vous : "Je m’incline devant une décision que je peux ne pas approuver par désaccord sur la méthode mais dont je reconnais que les mobiles ou les résultats servent l’intérêt collectif". Est-ce à dire qu’elle soutenait la finalité de la loi Renseignement contre laquelle elle aurait pu manifester dans la rue ? Est-ce à dire qu’elle s’est inclinée face au virage libéral du gouvernement Valls qui entraînera pourtant le départ précipité de son ami Arnaud Montebourg ? Qu’elle s’est ralliée au rejet final de la loi d’amnistie des syndicalistes après l’avoir qualifiée "d’acte de très grande justice qui honore la République" ?


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