Face aux non-vaccinés, Emmanuel Macron invente la déchéance de citoyenneté

mardi 11 janvier 2022.
 

En assumant d’« emmerder » les personnes non vaccinées, mais surtout en expliquant qu’« un irresponsable n’est plus un citoyen », le président de la République, garant de l’État de droit, commet une faute morale, institutionnelle et politique. Il hystérise le débat, divise la société et offre un nouveau souffle à ceux qu’il prétend combattre.

Des oppositions vent debout, une majorité contrainte de ressortir ses plus grandes pagaies et un débat parlementaire stoppé net en plein milieu de la nuit. Heureusement qu’Emmanuel Macron a « appris » de ses erreurs passées, comme il le confiait le 15 décembre, autrement, on n’ose imaginer ce que le président de la République aurait dit des personnes non vaccinées à peine trois semaines plus tard.

« Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français, je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ! Et donc on va continuer de le faire, jusqu’au bout. C’est ça, la stratégie », a-t-il déclaré dans un entretien accordé au Parisien, allant même jusqu’à sortir du champ citoyen ceux qu’il qualifie d’« irresponsables ». Une « toute petite minorité » qui n’enfreint aucune loi, mais à qui le chef de l’État a décidé de rendre la vie impossible.

Fin 2019, à l’issue d’une année marquée par le mouvement des « gilets jaunes », Emmanuel Macron avait expliqué que « l’apaisement, toujours, doit primer sur l’affrontement ». « Apaiser ne veut pas dire renoncer, avait-il ajouté, mais nous respecter dans nos désaccords. » La « stratégie », puisqu’il ose encore employer ce mot, choisie pour convaincre l’ensemble des Français·es de se faire vacciner est une brillante illustration du contraire.

C’est une bien curieuse idée de la politique de santé publique et de la politique tout court que défend ici le président de la République. Une politique clanique – pour reprendre l’expression du préfet de police de Paris Didier Lallement –, qui exclut plutôt qu’elle ne rassemble, qui violente plutôt qu’elle n’apaise, qui crispe plutôt qu’elle n’entraîne. Une politique vulgaire plutôt que vulgarisante.

Il ne s’agit pas d’une simple « petite phrase » ou même d’un « électrochoc salvateur », pour reprendre les mots du ministre chargé des relations avec le Parlement, Marc Fesneau, mais d’une faute morale, institutionnelle et politique. Car comme l’écrivait le conseil scientifique, « même en situation d’urgence, l’adhésion de la population est une condition importante du succès de la réponse ». « Convaincre plutôt que contraindre », dirait l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La brutalité et la punition sont les seuls arguments qu’Emmanuel Macron a trouvés pour gérer cette crise sanitaire. Ils signent l’échec d’un pouvoir qui n’a eu de cesse de louvoyer et de s’enorgueillir de lui-même. Un pouvoir qui plaide la « transparence » et la « concertation », tout en prenant ses décisions dans le huis clos du Conseil de défense et en les annonçant à la dernière minute afin de ménager ses effets de surprise – oui, nous en sommes encore là.

Macron a besoin d’ennemis pour mener ses politiques.

Après « les gens qui ne sont rien » et son semblant de mea culpa ; les « Gaulois réfractaires » et son semblant de mea culpa ; le « pognon de dingue » et son semblant de mea culpa ; le « je traverse la rue » et son… ah non, on aurait pu s’attendre à une forme de lassitude parmi les soutiens du chef de l’État, contraints de ramer à chaque nouvelle trouvaille langagière de leur champion. Pourtant, dès potron-minet, certains avaient encore assez d’énergie pour défendre l’indéfendable.

Désormais rodés à l’exercice, ils ont bien évidemment ressorti la carte du « parler cash » – un classique du genre –, insisté sur la détermination du président de la République à sauver des vies et vanté son « courage politique » – Christophe Castaner était sur BFM-TV. Interrogé sur sa maîtrise, pour ne pas dire son art, de la formule blessante, le principal intéressé s’était déjà défendu en brandissant sa « volonté de transgresser, de bousculer, de ne pas céder à une forme de conformisme ».

Mardi soir, pendant que la formule d’Emmanuel Macron rayonnait sur la scène internationale – le journaliste de CNN Jim Acosta nous rappellera qu’« emmerder les non-vaccinés » se dit « to piss off the unvaccinated » en anglais –, son entourage, aidé par quelques éditorialistes zélés, assurait le service après-vente en expliquant qu’il ne faisait rien d’autre que « descendre dans l’arène pour protéger les Français ».

Le chef de l’État a besoin d’ennemis pour mener ses politiques.

Depuis le début du quinquennat, il construit sa stratégie en fonction de l’opinion publique, afin d’établir un rapport de force avec les voix contestataires, en divisant la société. Les cheminots, les corps intermédiaires, les « fainéants », les responsables associatifs, la presse, les oppositions les gilets jaunes, les personnes non vaccinées… Nombreux sont ceux à en avoir fait les frais. Il suffit, pour cela, de marquer un désaccord.

Le président de la République est censé être le garant de l’État de droit, mais il n’a que le mot « devoirs » à la bouche – lesquels « valent avant les droits », selon sa lecture toute personnelle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il distribue les bons et les mauvais points, pointe du doigt ceux qui ne peuvent prétendre, à ses yeux, au titre de citoyens, et invente une nouvelle forme de déchéance. « Quand ma liberté vient menacer celle des autres, je deviens un irresponsable. Un irresponsable n’est plus un citoyen », affirme-t-il dans les colonnes du Parisien.

Dans le même entretien, Emmanuel Macron balaie l’idée d’une obligation vaccinale en expliquant qu’il ne va tout de même pas « forcer des gens », « les emprisonner et puis les vacciner ». Mais en leur retirant leur citoyenneté, que fait-il sinon priver des millions de Français·es de leur liberté ? La question dépasse largement celle du vaccin et de la responsabilité de ceux qui s’y refusent. Elle touche nos fondamentaux, piétinés depuis cinq ans, sous couvert de sécurité et de défense des principes républicains d’abord, et de protection sanitaire aujourd’hui.

À quelques mois de la présidentielle, le chef de l’État lance sa campagne en plongeant dans l’hystérisation d’un débat public qui n’avait franchement pas besoin de cela. Au Parisien, il explique pourtant vouloir lutter contre « la montée des excès, en mettant plus de raison dans le débat collectif et moins de passions négatives ». Lui qui manie la provocation comme personne se pose en arbitre des élégances, fustigeant « une fascination du conflit, du clash, du sensationnel ». Et offre un nouveau souffle à ceux qu’il prétend combattre.

Ellen Salvi


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