L’asile, au nom du peuple français ( Par Anicet Le Pors ancien ministre)

samedi 22 septembre 2007.
 

« Le peuple français est l’ami et l’allié naturel des peuples libres... Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie, il le refuse aux tyrans », proclamait la Constitution de 1793. La France doit sans doute à cette belle et forte déclaration d’avoir été considérée longtemps comme une insigne terre d’asile. Sous la Révolution française, elle a même fait place dans la Convention à l’Américain Thomas Paine et au Prussien Anacharsis Cloots. Elle a accueilli au XIXe siècle Frédéric Chopin et Heinrich Heine, élu député Garibaldi. Elle a admis sur son sol près d’un million de réfugiés dans les années 1930. Mais elle a connu également ses moments de honte : des poussées récurrentes de xénophobie, l’internement et la livraison aux autorités nazies de réfugiés allemands, espagnols et polonais sous l’Occupation, la tentation toujours actuelle de stigmatisation de l’autre venu d’ailleurs. Car aujourd’hui encore est brandie la menace d’une invasion étrangère ; or celle-ci ne résiste pas à l’énoncé de quelques données : selon les statistiques pour l’année 2006 du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 63 % des 9,9 millions de réfugiés du monde se trouvent en Afrique et en Asie et 18 % seulement en Europe. L’Allemagne en accueille 605 000, le Royaume-Uni 300 000 et la France 125 000, ce qui correspond à peu près à son poids démographique relatif dans la population mondiale.

Il est vrai que la France est restée en 2006, malgré une forte baisse, le principal pays de réception des demandeurs d’asile en Europe avec 34 900 demandes et qu’elle présente, sur des bases comparables, l’un des taux d’admission à l’asile les plus élevés : 19 % des demandeurs. Un tel constat devrait être regardé comme une manière pour notre pays de renouer avec sa tradition d’accueil, plutôt que comme un mal à conjurer, ce à quoi s’obstine le gouvernement en recourant à l’amalgame de la demande d’asile et de l’immigration. Depuis l’arrêt officiel de l’immigration du travail en 1974, cette confusion a été sciemment entretenue et même institutionnalisée récemment par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), la création du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement intégrant l’asile sans le mentionner, et le projet de loi qui va être discuté au Parlement. Or, s’il est vrai qu’une personne persécutée est le plus souvent privée également de droits économiques et sociaux et peut aussi souhaiter s’expatrier pour ces raisons, la confusion de l’asile et de l’immigration a pour objet et pour effet de tirer les critères de l’asile vers ceux, restrictifs, de la police administrative de l’entrée, du séjour et de la reconduite à la frontière, ce qui est inadmissible.

Les motifs de l’asile ne sont pas ceux-là. Sans exclure la possibilité qu’a l’État d’accorder l’asile discrétionnairement - ce dont il n’a pas toujours usé à bon escient (Bokassa, Duvallier, Khomeyni) - et d’appliquer l’asile constitutionnel en faveur des combattants pour la liberté, c’est la convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle ont adhéré quelque 146 États, qui constitue aujourd’hui la clé de voûte du système de protection internationale en retenant comme critères de reconnaissance de la qualité de réfugié les persécutions motivées par la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social et les opinions politiques, à quoi il convient d’ajouter les menaces graves conduisant au bénéfice de la protection subsidiaire peu utilisée en France. La portée de ces dispositions a été réduite au cours des dernières années par l’introduction de nouvelles notions, comme celles d’« asile interne » ou de « pays d’origine sûrs » auxquelles il est heureux qu’il soit peu fait recours en France tant leur appréciation est hasardeuse.

Il reste que le système administratif et juridictionnel français est aujourd’hui hautement critiquable. L’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), établissement public qui examine les demandes d’asile, se trouve placé sous la tutelle du nouveau ministère de l’Immigration, intimement lié au ministère de l’Intérieur, notamment, en dernier lieu, par la nomination d’un préfet à sa tête. La Commission des recours des réfugiés (CRR), juridiction qui examine les recours contre les décisions de rejet de l’OFPRA, est entièrement sous la dépendance budgétaire, administrative et statutaire de cet organisme dont elle contrôle les décisions. Les rapporteurs en séance publique des formations de jugement de ladite commission sont des fonctionnaires de l’OFPRA ; ils sont présents au délibéré qui arrête la décision et ils formalisent celle-ci. Ces caractéristiques, outre qu’elles heurtent le bon sens et le bon ordre administratif, risquent surtout dans un proche avenir d’être jugées contraires à la notion de procès équitable par la Cour européenne des droits de l’homme et censurées de ce fait. Cette situation appelle donc des réformes urgentes qui peuvent d’ailleurs prendre appui sur de nombreux travaux conduits récemment dans ce but, et notamment, en dernier lieu, le rapport de la commission nationale consultative des droits de l’homme de juin 2006.

Plus généralement, l’essentiel est que soit préservée l’inspiration républicaine qui fonde la France comme terre d’asile, et que celle-ci guide l’administration compétente et la juridiction administrative spécialisée dont il convient de rappeler qu’elle se prononce « au nom du peuple français ». Droit de cité et droit d’asile concourent conjointement à la formation de la citoyenneté française. Dans les conditions de l’État de droit, la vocation du système est d’accorder l’asile et non de le refuser.

(*) Auteur du Que sais-je ? (PUF)

le Droit d’asile.


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