Zemmour-Le Pen : la guerre des extrêmes droites a commencé

samedi 12 février 2022.
 

La lutte, désormais fratricide que se livrent les deux candidats a réactivé de vieilles fractures et annonce une inévitable recomposition.

Éric Zemmour a réuni samedi 5 février plus de sept mille personnes, au moment même où Marine Le Pen tenait sa convention nationale pour présenter les vingt-deux mesures phares de son programme. Les soutiens du polémiste ont déjà souligné que la présidente du Rassemblement national (RN) ne rassemblerait, elle, que quatre mille personnes… Une guerre des chiffres à l’image de la bataille que se mènent désormais les deux adversaires.

La mise en scène des ralliements au compte-gouttes de cadres du RN, les déclarations ambiguës de l’ex-députée frontiste Marion Maréchal, ainsi que les multiples rumeurs qui circulent sur le départ prochain d’untel ou unetelle, ont achevé de créer un climat délétère au RN, donnant lieu à des scènes surréalistes.

Lors d’un déplacement à Madrid, sous les yeux médusés des journalistes présents, l’attachée de presse du parti a ainsi lancé à l’eurodéputé Nicolas Bay, dont le nom circule comme un possible transfuge pour le clan Zemmour, un : « Barre-toi maintenant, plutôt que de bouffer le plus longtemps possible au râtelier. » Auquel ce dernier a rétorqué un sonore : « Ta gueule  ! » Ambiance.

Fini le temps où le maire de Béziers (Hérault) Robert Ménard évoquait un possible « dîner » de conciliation et un engagement réciproque à se désister devant le candidat le mieux placé. Révolue l’époque où la candidate du RN déclarait qu’elle n’avait « pas d’ennemi » à sa droite. La lutte qui oppose aujourd’hui Marine Le Pen et Éric Zemmour – au-delà de l’échéance présidentielle – est une lutte sans merci pour l’hégémonie à la droite de la droite.

L’ancien journaliste du Figaro et de CNews le martèle depuis des mois : son engagement politique se justifie par le fait que Marine Le Pen n’a « aucune chance » de remporter un jour l’élection présidentielle. « [Ses électeurs] sont-ils prêts à perdre avec Marine Le Pen en 2032  ? C’est un peu notre Arlette Laguiller de la droite ­nationale », a-t-il encore récemment ironisé sur BFM-TV.

La candidate du RN fustige, elle, la stratégie perdante pour le « camp national » d’un Zemmour qui risque de l’empêcher d’accéder au second tour. « Il ne se bat pas pour gagner mais pour tuer le Rassemblement national. Seuls la mort du RN et l’échec de Marine Le Pen peuvent lui permettre d’envisager une recomposition fantasmagorique de l’espace politique en 2027, 2032 ou 2039 », a-t-elle déclaré vendredi dans un entretien au Figaro.

Au RN, on est persuadé qu’Éric Zemmour joue désormais le « troisième tour ». Une recomposition du paysage politique à la droite de la droite, en refermant définitivement la parenthèse Marine Le Pen, qui ne pourrait survivre politiquement à une troisième défaite à l’élection présidentielle. Le polémiste du Figaro multiplie d’ailleurs les sorties en ce sens : sa démarche s’inscrit dans le temps long et rien ne s’arrêtera après la présidentielle. Bien au contraire.

« Ils imaginent réaliser l’union des droites en créant un parti, sans le poids du nom Le Pen, et avec lequel pourrait enfin s’allier LR. C’est une vue de l’esprit. Vous imaginez LR qui n’a jamais voulu de la main tendue de Marine Le Pen s’allier avec des gens qui fricotent avec d’anciens nazis ? », grince un cadre du RN.

Dans Le Figaro, Marine Le Pen a en effet dénoncé la présence de « nazis » autour de Zemmour, ce qui ne manque pas de sel eut égard à l’histoire de son parti. À quoi l’avocat Gilbert Collard, récemment rallié au candidat de Reconquête  !, a rétorqué qu’elle était prête à devenir « présidente de SOS Racisme ».

Si l’affrontement ouvert entre Marine Le Pen et Éric Zemmour est si violent, c’est qu’il réactive de vieilles fractures de l’extrême droite, jamais vraiment refermées.

Autour du polémiste, s’est agrégée ces derniers mois toute une frange - identitaires, catholiques traditionalistes, néofascistes – que la candidate du RN avait pris soin d’écarter du devant de la scène ces dernières années. Toute à son entreprise de « dédiabolisation », sur une ligne nationale-populiste, Marine Le Pen n’a cessé de s’éloigner des éléments considérés comme nuisibles à sa stratégie, provoquant le départ de sa nièce et poussant vers la sortie tous ses proches ou presque.

La liste des ralliements à Zemmour – passés et sans doute à venir - ressemble d’ailleurs furieusement à la liste de tous ceux qui ont été exclus des instances dirigeantes ces dernières années : Gilbert Collard, Agnès Marion, Antoine Méliès, Thibaut Monnier… Ou Nicolas Bay qui ne sera pas présent samedi à Reims. « Zemmour a pour lui l’armée de réserve de tous les gens virés du FN depuis vingt ans », résume l’historien Nicolas Lebourg.

L’agglomérat qui s’est formé autour de la candidature du polémiste, hors parti et comme sortie du chapeau, s’est nourri des différentes scissions qu’a connues le parti d’extrême droite depuis sa création.

La guerre des extrêmes droites, empêchée pendant trente ans par le « compromis nationaliste » de Jean-Marie Le Pen qui avait réussi à rassembler toutes les chapelles de l’extrême droite, jusqu’à la scission mégrétiste, ressemble à un match retour de tous ceux qui ont perdu leur bras de fer au sein du FN/RN.

Au Congrès de Tours de 2011, Marine Le Pen remporte le parti face à Bruno Gollnisch, qu’elle considère comme un ringard dont la ligne, traditionaliste, entrave le parti dans sa conquête du pouvoir.

Mis en minorité et n’ayant pas la stature de porter une scission, Bruno Gollnisch est définitivement marginalisé. Mais derrière lui, beaucoup rongent leur frein et misent sur l’échec de la stratégie de « dédiabolisation » comme de course à l’électorat populaire de Marine Le Pen qui la fait pencher, selon eux, beaucoup « trop à gauche ».

Ces dernières années, chaque nouvelle disgrâce d’un cadre, jugé trop proche de Marion Maréchal, ravive ces vieilles rancœurs.

En interne, le poids grandissant du « clan d’Hénin-Beaumont », le maire RN Steeve Briois – et le député Bruno Bilde, fait aussi grincer des dents, tant les élus du Nord semblent faire la pluie et le beau temps dans le parti.

« Marine Le Pen paie aujourd’hui son management clanique et arrogant. Beaucoup de cadres historiques du parti ont vu être promus, au dernier Congrès, des gens comme Jean-Paul Garraud, venu de LR, qui n’avait même pas sa carte du parti », souligne Nicolas Lebourg.

L’aventure de Marion Maréchal, retirée de la vie politique pour fonder son école de sciences politiques et mener « la bataille culturelle » hors du parti, n’inspire que du mépris à sa tante. Persuadée qu’il n’y a point de salut hors du RN, Marine Le Pen considère avec beaucoup de condescendance ces stratégies « intellectuelles », si éloignées de la réalité du terrain.

Après la scission mégretiste de 1998, des stratèges comme Jean-Yves Le Gallou se sont repliés sur un activisme de cercles et de clubs qui n’a jamais beaucoup inquiété la présidente du RN, elle dont le socle électoral n’a cessé de s’élargir depuis 2011.

Avec un air de Retour vers le futur, ce sont ces personnages un peu oubliés de la vie politique française qui ont pourtant ressurgi ces derniers jours aux côtés d’Éric Zemmour. Jean-Yves Le Gallou, qui dirige l’Institut Polémia sur une ligne racialiste revendiquée, apparu au premier rang lors du meeting de Villepinte, a depuis intégré le comité politique de Reconquête  !

Bruno Mégret, porté disparu depuis de nombreuses années, a refait surface le week-end dernier sur BFM-TV pour se réjouir, la voix chevrotante, d’une recomposition « à droite » qu’il attendait depuis longtemps. « C’est la fin d’une époque. Avec Éric Zemmour, c’est une époque nouvelle qui s’ouvre. Je pense que c’est une époque qui va concrétiser la victoire idéologique de la droite », a déclaré celui qui ne s’est jamais politiquement remis de son affrontement avec Jean-Marie Le Pen.

« Zemmour, c’est vraiment le retour du Club de l’horloge », s’amuse Nicolas Lebourg en référence à cet influent cercle fondé dans les années 1970 autour d’Yvan Blot, Jean-Yves Le Gallou et Henry de Lesquen pour travailler à l’union des droites, et sur un fond idéologique mêlant racisme reformulé en « combat de civilisation » et libéralisme économique.

Une vieille garde, jugée un peu vite anachronique par Marine Le Pen, qui a pourtant largement inspiré les amis de Marion Maréchal, partis depuis des années à l’assaut des médias en investissant des journaux déjà existants : Valeurs actuelles, ou en créant les leurs comme L’Incorrect ou plus récemment Livre noir.

Zemmour peut aussi compter sur tous les grands brûlés de l’aventure « souverainiste » à droite comme Philippe de Villiers et ses amis, tel l’ancien numéro deux des Républicains (LR) Guillaume Peltier, qui a longtemps navigué d’un bord à l’autre de ce courant.

Alors que les deux camps s’affrontent désormais sans retenue, certains, dans leurs entourages, se demandent s’il est encore temps d’éviter une guerre où chacun a, en réalité, beaucoup à perdre.

Désormais proche d’Éric Zemmour, Paul-Marie Coûteaux, s’active pour éviter un combat trop meurtrier, explique-t-il à Mediapart. Dans L’Opinion, Charles Millon évoque « la rédaction d’un programme commun » pour « valoriser les convergences », mais renvoie l’initiative à « une période plus apaisée ».

Pourquoi ces tentatives de conciliation réussiraient-elles aujourd’hui alors que toutes ont échoué ces derniers mois ? « La donne a changé. Aucun ne s’est effondré. Chacun doit maintenant mettre de l’eau dans son vin. Jusqu’à présent ils étaient assez méprisants l’un pour l’autre mais ils vont devoir se parler », affirme Paul-Marie Coûteaux, persuadé par ailleurs que « beaucoup de gens ont un pied d’un côté et de l’autre ».

La députée Emmanuelle Ménard, qui a apporté son parrainage à Marine Le Pen et qui œuvre depuis des années à « l’union des droites » avec son mari Robert Ménard, ne se reconnaît plus dans les déclarations de Zemmour : « Avec les positions qu’il tient aujourd’hui, ce n’est pas l’union des droites, c’est l’union du RN avec une frange plus radicale. Ce n’est pas du tout le projet que nous défendons », dit-elle.

Elle qui a longtemps cru qu’un accord serait possible entre les deux candidats avoue qu’il « est sans doute trop tard » : « Tout cela me désole. Ce sont en plus des petits règlements de comptes qui donnent une image déplorable de la vie politique. Et si vous regardez le programme des deux, ils sont quand même d’accord sur l’essentiel. »

Lucie Delaporte


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