« Notre futur est intimement lié à la santé de l’océan »

lundi 14 février 2022.
 

onnectant les écosystèmes marins et reliant les populations, l’océan n’occupe pas la place qu’il mérite dans les négociations sur le climat, regrette, dans une tribune au « Monde », un collectif de scientifiques, alors que trente-sept organismes de recherche du monde entier se mobilisent en amont de la COP26 et du One Ocean Summit.

Il couvre 70 % de la surface du globe et joue un rôle crucial dans la réponse au changement global. Pourtant, l’océan n’occupe pas, en proportion, la place qu’il mérite dans les négociations sur le climat. Une vague de scientifiques du monde entier se lève aujourd’hui, après le lancement de la COP26, pour rappeler l’influence prépondérante de l’océan sur la régulation du climat et l’urgence de prendre soin de ce grand bien commun de l’humanité dont notre avenir dépend.

Par le prisme de la science, notre regard a changé. De la côte au grand large, de la surface aux abysses, d’un pôle à l’autre, les chercheurs ont compris qu’il fonctionne comme une entité unique qui vit, respire, évolue et souffre en interdépendance avec les actions humaines. On ne parle plus d’ailleurs des océans mais bien de l’océan au singulier, comme un tout qui connecte les écosystèmes marins et relie les populations du monde par-delà les frontières.

Ce n’est pas un abus de langage que de dire que la vie de chaque être humain dépend de l’océan. Il nous nourrit, nous transporte, nous fournit de l’énergie tout autant qu’il nous émerveille. Pourtant, les menaces que le changement climatique fait peser sur lui restent souvent négligées alors que la dégradation rapide des écosystèmes marins provoque des atteintes majeures à la biodiversité et compromet la sécurité de 40 % de la population mondiale.

Jusqu’à présent l’océan a contribué à amortir la violence du choc en absorbant 93 % de l’excès de chaleur induit par les activités humaines depuis le début de l’ère industrielle. Mais combien de temps encore ce puissant régulateur de la température de notre planète pourra-t-il éponger nos abus ?

Phénomène de dilatation thermique

Toute cette chaleur emmagasinée n’est pas sans conséquence pour l’océan lui-même et pour nos sociétés. En se réchauffant, il « gonfle ». Ce phénomène de dilatation thermique est responsable de 40 % de l’élévation du niveau de la mer. L’autre part étant à attribuer à la fonte des glaces, toujours en lien avec le changement climatique. Le dernier rapport du GIEC alerte d’ailleurs sur l’accélération du rythme de leur fonte : d’après ses prévisions, la mer pourrait gagner 1 mètre, voire plus, d’ici 2100. Selon les experts, la fonte des calottes glaciaires constitue un « point de rupture » qui pourrait avoir des conséquences dévastatrices et irréversibles pour la planète et l’humanité.

Le climat pourrait aussi être affecté par la perte de puissance récemment observée d’un des plus grands courants océaniques, la Circulation méridienne de retournement atlantique – l’AMOC –, qui transporte de gigantesques masses d’eau entre les deux hémisphères. L’excès de chaleur n’est pas le seul fléau à craindre. L’océan est aujourd’hui 30 % plus acide qu’il y a deux cent cinquante ans. Cette fois encore, nos émissions croissantes en dioxyde de carbone (CO2) en sont responsables. L’océan absorbe en effet 30 % du CO2 généré par les activités humaines. Son acidification a des conséquences dramatiques pour toutes les espèces qui fabriquent des coquilles ou des squelettes en carbonate de calcium comme les coraux, les foraminifères, certaines espèces de planctons, les huîtres et les moules.

Les premiers chiffres viennent corroborer ce triste constat : au cours des trois dernières années, plus de 20 % des récifs coralliens dans le monde ont tout bonnement disparu. Pire, avec l’augmentation de la température des eaux, la formidable « pompe à carbone » qu’est l’océan pourrait se gripper et ne plus absorber autant de CO2 qu’aujourd’hui. Ce gaz à effet de serre sera alors condamné à s’accumuler plus encore, alimentant ainsi le cercle vicieux du réchauffement de la planète.

Immense chaîne de connaissances

De cela, nous ne savions presque rien il y a encore quelques décennies seulement. Aujourd’hui, éclairés par l’avancée des sciences océaniques, nous savons que notre futur est intimement lié à la santé de l’océan. Partout dans le monde, les chercheurs s’attellent chaque jour à mieux comprendre son fonctionnement, sa dynamique, son évolution… Ils ne se contentent pas de produire ou de compiler des données isolément, mais ils créent ensemble une immense chaîne de connaissances indispensable pour préserver l’océan et éclairer les décisions politiques.

Resté trop longtemps en marge des négociations sur le climat, l’océan doit être aujourd’hui au cœur de ces décisions. La reconnaissance de son rôle primordial s’amplifie : en France, avec le lancement du programme prioritaire de recherche « Océan et climat » et la tenue du One Ocean Summit ; en Europe, à travers la mission « Restore our ocean and waters by 2030 » ; aux Nations unies avec le lancement de la Décennie des sciences océaniques au service d’un développement durable.

Représentative de cette dynamique positive, la campagne digitale internationale One Ocean Science incarne notre alliance pour sonner l’alarme au chevet d’un océan malmené. Trente-sept organismes de recherche en sciences océaniques se sont fédérés autour de l’initiative portée par l’Ifremer, le CNRS et l’Institut de recherche pour le développement, avec le soutien de Thomas Pesquet et de l’Agence spatiale européenne, et de la Plateforme Océan & Climat.

A l’image de notre océan immense et connecté, les scientifiques s’unissent aujourd’hui avec One Ocean Science pour partager leurs connaissances au-delà des frontières et appeler les citoyens et les décideurs à agir ensemble pour relever le défi de la préservation de l’océan et du climat.

Françoise Gaill est vice-présidente de la Plateforme Océan & Climat ; François Houllier est président-directeur général de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) ; Antoine Petit est président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ; Valérie Verdier est présidente-directrice générale de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Collectif


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