One Ocean Summit : « Une gouvernance efficiente de l’espace maritime mondial doit se préoccuper de ce qui se passe sur les littoraux et le proche arrière-pays »

samedi 19 février 2022.
 

L’océan pris dans sa globalité en tant qu’océan mondial n’est évidemment pas un espace exempt de normes juridiques. Mais il est en ce domaine caractérisé par son cloisonnement en une pluralité de zones maritimes dotées d’un statut particulier d’où découlent un régime juridique et des normes spécifiques pour chacune d’entre elles.

Ainsi l’océan mondial n’est-il pas appréhendé par le droit international comme un espace naturel global, dans sa dimension planétaire. Et c’est tout le problème que doit affronter le One Ocean Summit, qui s’est réuni à Brest.

S’il y a un processus qui caractérise l’évolution du droit international de la mer contemporain, c’est celui du cloisonnement et de l’extension des emprises étatiques : emprises spatiales, emprises sur les ressources.

Un « bien commun de l’humanité »

Ajoutons à cela qu’en son sein, l’espace maritime le plus étendu qu’est la haute mer (60 % de sa superficie) est celui où la liberté des activités humaines s’affirme de façon maximale en termes de navigation, de pêche, de pose de câbles. Considéré dans son unité et son intégralité physique, cet espace essentiel à la survie de l’humanité n’existe pas en tant qu’entité juridique, il n’a pas de statut.

Et bien qu’il soit l’acteur majeur du climat planétaire, un régulateur de notre atmosphère, un pourvoyeur essentiel de ressources alimentaires, un réservoir considérable de ressources non biologiques, rien ou presque, d’un point de vue institutionnel, ne vient organiser une gouvernance globale de sa protection environnementale.

Ce constat doit nous pousser à changer de paradigme, à envisager l’océan dans son unité géophysique et à faire produire à cette orientation les normes juridiques concrètes, pragmatiques dont notre planète, parce qu’elle est une planète océanique, a besoin.

Depuis maintenant plusieurs années, les institutions françaises ayant compétence à traiter de questions maritimes, comme le ministère de l’écologie, le secrétariat d’Etat à la mer, y compris dernièrement le chef d’état-major de la marine nationale, s’emploient à promouvoir à défaut d’autre chose le concept d’un « océan bien commun de l’humanité ».

Placebo juridique

Toutes empreintes d’une solennité officielle, de telles déclarations ne sont qu’un placebo juridique, paravent d’impuissance face à une situation qui ne cesse de se dégrader. Clamer de façon incantatoire que l’océan est un bien commun de l’humanité est une pétition de principe d’autant plus étonnante que cela revient pratiquement à conférer cette qualité à la planète tout entière dans la mesure où les espaces maritimes en constituent près des trois quarts (70 %) de la superficie. On en arrive ainsi à une belle lapalissade : la Terre, serait le bien commun de l’humanité ? Que d’audace !

Il s’agit de mettre en place des actions programmées sur un délai déterminé à l’aide d’un fonds budgétaire dédié, abondé par les Etats et géré par un petit effectif de fonctionnaires internationaux

Il convient de partir d’une constatation : l’essentiel de ce qui porte atteinte à l’équilibre écologique des mers est d’origine tellurique : déferlement de plastiques et de déchets chimiques venant des continents, déversement direct des eaux usées sur d’immenses linéaires côtiers et par les fleuves spécialement dans les pays en développement.

On connaît l’impact du déversement des excréments humains sur les océans par les 130 000 bassins-versants. Une autre préoccupation est celle des pollutions issues de l’activité agricole proche des littoraux (emplois des engrais chimiques et des pesticides, mais aussi des épandages de lisiers issus de l’élevage).

Une gouvernance efficiente de l’espace maritime mondial doit ainsi avant tout se préoccuper de ce qui se passe sur les littoraux et dans leur hinterland. Or ce sont des zones terrestres et maritimes de souveraineté des Etats côtiers.

Un mode d’action multilatéral

C’est la raison pour laquelle la façon la plus efficiente de réagir face à l’urgence serait de mettre en place, par la voie de négociations que l’ONU pourrait prendre à sa charge, un ensemble de programmes mondiaux spécifiques pour chacune de ces sources de pollution d’origine tellurique : pour le financement d’installations de traitement des eaux usées sur les littoraux urbanisés des pays en développement, pour le financement d’installations de traitement des déchets, pour réduire partout dans le monde la production de plastiques à usage domestique. En incluant ces dispositifs dans le cadre de l’aide projet au développement. Sans s’interdire d’augmenter le nombre et la superficie des aires marines protégées et de réguler la surpêche par des mesures tendant notamment à lutter contre la pêche industrielle des navires usines.

Ce mode d’action multilatéral est déjà parfaitement connu et utilisé par la société internationale. Il s’agit concrètement de mettre en place des actions programmées sur un délai déterminé à l’aide d’un fonds budgétaire dédié, abondé par les Etats et géré par un petit effectif de fonctionnaires internationaux.

De longues négociations ne sont pas nécessaires pour cela. Pour le reste, qui n’est au demeurant pas négligeable, comme les rejets polluants des navires, les sempiternelles pertes de conteneurs à la mer, le gigantisme dans la construction navale, etc. cela relève des compétences de l’Organisation maritime internationale (OMI) qui sait être efficace quand les Etats membres le lui permettent.

Toujours est-il que le bon niveau d’appréhension pour assumer aujourd’hui la protection de notre océan mondial est celui de l’écosystème Terre.

Jean-Paul Pancracio Professeur émérite à l’université de Poitiers

• Le Monde. Publié le 10 février 2022 à 14h30 :


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