Entretien : « Remettre l’eau au cœur des villes et des villages »

samedi 26 février 2022.
 

Entretien avec Emmanuel Poilane, secrétaire général de la fondation Danielle Mitterrand, spécialiste des problèmes de l’eau, et membre du parlement de l’Union populaire.

Quel état des lieux faites-vous sur l’eau ?

Il y a une urgence aujourd’hui à reconsidérer la place de l’eau dans notre modèle de société. Il faut l’envisager comme un bien commun à l’opposé du désir des capitalistes de la coter en bourse. Les cinq pays africains dans lesquels j’ai vécu pendant 20 ans possédaient un ministère de l’eau pour favoriser l’accès et le partage de cette ressource essentielle. En France métropolitaine, nous avons la chance de disposer d’énormément d’eau mais nous avons du mal à en faire valider politiquement le partage. Si quasi tous les élus sont d’accord pour proclamer que l’eau est un bien commun, la mise en œuvre du droit à l’eau pour tous est bloquée par une majorité focalisée sur les impératifs économiques.

Combien de personnes n’ont pas d’accès à l’eau ?

A l’échelon planétaire, environ 1 milliard de personnes n’ont pas accès à une eau correcte, potable. Ce sont 2 milliards de personnes qui n’ont pas accès à des toilettes, essentiellement en milieu rural. En Afrique notamment, c’est une priorité absolue.

En France métropolitaine, ce sont 300 000 personnes exclues de l’eau et de l’assainissement, principalement les SDF, les gens du voyage. Ce serait facile de résoudre ce problème. L’ensemble des communes de France possèdent des salles des fêtes avec des blocs sanitaires, des équipements sportifs avec des douches. Ces infrastructures existent, il ne manque que la décision politique d’en ouvrir l’accès à ceux et celles qui en ont besoin. Les sénateurs ont refusé en 2017 une loi en ce sens, que nous avions proposée. Beaucoup de grandes villes ont supprimé les bains publics, les toilettes publiques et les fontaines à eau. Répondre au besoin vital de ces 300 000 personnes permettrait aussi de remettre l’eau au cœur des villes et des villages.

Il y a également le million de nos compatriotes qui galèrent pour payer leur facture d’eau. Ma grande fierté, c’est d’avoir participé à faire interdire les coupures d’eau et les réductions du débit que pratiquaient aussi bien les multinationales - Véolia, Saur, Suez - que les régies publiques. Certains usagers ont ainsi été privés d’eau durant des mois voire des années. Entre 2013 et 2018, en allant devant les tribunaux, nous avons obtenu 25 jugements en faveur des victimes et la décision du Conseil constitutionnel du 29 mai 2015 qui a proscrit la coupure d’eau pour impayé en France. Durant 3 années supplémentaires, les multinationales ont résisté en utilisant des « lentilles » pour réduire la circulation de l’eau dans les habitations rendant impossible le chauffage, l’usage de machine à laver, etc. Une réduction d’eau est une coupure. Les juges l’ont compris et ont fait cesser ces violences envers les familles et les personnes fragiles. D’après leurs propres statistiques, les multinationales pratiquaient plus de 100 000 coupures d’eau par an. Ces nombreuses familles sont maintenant protégées.

Cette interdiction des coupures est un premier pas dans la reconnaissance de l’eau comme un bien commun ?

Exactement. Mais une majorité de politiques restent rivés à l’aspect économique. Nous avons la responsabilité avec la LFI de prioriser la dimension sociale et non la dimension économique pour garantir aux citoyens le droit à l’eau quoi qu’il en coûte. Pour l’eau comme l’assainissement.

Quand nous avons commencé le combat contre les coupures d’eau, tous les acteurs ont dit que sans les coupures, le service public de l’eau s’effondrerait en France. 7 ans après la décision du Conseil Constitutionnel, il n’en est rien. Arrêtons de les croire et transformons notre pays en faveur des plus précaires.

Deux propositions : la plus évidente est la gratuité des premiers m3. La seconde, imaginer des aides préventives. Chaque année, 10 milliards ne sont pas réclamés par des gens violentés par le système ou qui ne croient plus à la possibilité d’être aidés. Arrêtons de stigmatiser les gens avec des aides curatives. Payons la facture d’eau pour les familles en difficulté. Autre exemple, quand Paris est revenu en régie publique, il y a eu un surplus de 10 millions d’euros la première année. Une part de ce gain a été réinvestie dans des kits d’économie d’eau pour les familles les plus précaires afin de faire baisser leur facture d’eau.

Le retour aux régies publiques semble n’avoir que des avantages…

Ce qui importe le plus, c’est le lien aux gens. Une régie publique, la plupart du temps à taille humaine, c’est la garantie d’avoir un service de l’eau et d’assainissement qui se fait en lien avec les usagers et les élus impliqués dans cette régie, c’est à dire avec la capacité de savoir qui est la personne derrière le numéro de facture. Une multinationale ne sait pas à qui elle s’adresse. Elle essaie juste de dépenser moins et gagner plus. Il faut avoir une ambition politique de la régie publique et du service public de l’eau parce que l’argent qui va aux actionnaires, c’est de l’argent qui ne va pas au service de l’eau et à une approche résolument sociale de l’eau.

L’eau a un coût. Les canalisations auraient une durée de vie de 80 ans, est-il nécessaire d’en renouveler plus d’1% chaque année ?

Le manque d’entretien des réseaux met en danger notamment le monde rural. Les investissements des années 50 à 70 sont des réseaux en PVC qui sont fragiles et onéreux à renouveler. L’époque des subventions publiques très importantes est révolue, et aujourd’hui l’État voudrait rénover ces réseaux sur la facture d’eau. Si on ne met pas en œuvre un plan Marshall du renouvellement des réseaux d’eau dans les prochaines trente années, la France risque tout simplement d’avoir des villages ou des lieux-dits déconnectés mais aussi de plus en plus de fuites. Or le coût du traitement de l’eau gaspillée figure sur les factures puisque ces coûts sont répartis en fonction de l’eau livrée au robinet. Pour les multinationales, c’est tout bénéfice alors que c’est de la ressource et de l’argent perdus pour la nature et les usagers. C’est perdant-perdant sauf pour les multinationales. La Guadeloupe nous montre ce qu’est un réseau d’eau défaillant. Changeons de politique d’investissement sur les réseaux en métropole comme en Outre-mer avant qu’il ne soit trop tard.

Vous avez évoqué la nécessité d’une gestion par des régies locales mais pourquoi pas nationale pour homogénéiser services et prix ?

L’eau, c’est local, les réalités changent d’une zone à l’autre. Pour autant, rien n’empêche une ambition nationale de péréquation sur le prix de l’eau. Faire en sorte que ceux qui ont la chance d’avoir une eau plus potable dans leur sol participent à la baisse du prix de l’eau ailleurs pour éviter la variation de 1 à 7 comme c’est le cas aujourd’hui. Pour cela, il nous faut une véritable politique de l’eau.

Propos recueillis par Jean-Luc Bertet


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