Les questions à travailler pour bâtir une gauche de transformation (intervention de Clémentine Autain pour une rencontre Maintenant à gauche)

mardi 25 septembre 2007.
 

En dépit d’un sursaut au deuxième tour des législatives, le cru électoral 2007 est un échec cuisant pour la gauche. Pas question pour nous de refermer le couvercle en attendant le prochain train électoral. Car les ressorts de nos failles viennent de loin. L’échec des expériences dites socialistes, d’une part, et la faillite de la social-démocratie, d’autre part, pèsent. La défaite est profonde : elle est à la fois politique, idéologique et culturelle. C’est à nous de rebondir, de reconstruire. Nous avons la conviction qu’il faut maintenant de la novation franche, de la refondation. La répétition des recettes anciennes ne permettra pas de relever le défi qui est devant nous pour retrouver du souffle, du sens, une perspective qui agrège largement, et notamment les catégories populaires. Disons-le d’emblée : ce travail de modernisation ne signe en aucun cas une mise au rabais de notre ambition. On ne saurait confondre mise à jour et accommodement avec le libéralisme. La refonte doit puiser aux fondamentaux de la gauche et renforcer le parti pris du changement radical, lui donner toute sa force contemporaine et sa capacité mobilisatrice dans le pays. Car nous résisterons d’autant plus et mieux à la droite dure que nous aurons une alternative crédible, que nous saurons redonner espoir en d’autres possibles. Nous savons qu’il ne suffira pas de se répéter. La droite qui a gagné l’a fait en avançant sur tous les terrains, à partir d’une cohérence claire, bien à droite, qui n’a pas craint pour autant de décaper les idées de son camp - Claude Debons a largement développé ce point ce matin.

Face à ce projet de rupture conservatrice et ultra-libérale, notre réponse n’a pas été à la hauteur. La majorité du Parti socialiste et ses alliés ont choisi délibérément, avec Ségolène Royal, de confondre réalisme et intériorisation des normes libérales, socialisme et social-libéralisme à la Tony Blair en suivant une tendance lourde qui ne cesse de s’aggraver depuis 20 ans. Cette voie est une impasse pour la gauche. Quant à la gauche d’alternative, elle n’est pas allée au bout de ses ambitions. La division fut mortifère mais le déficit en terme de réflexion s’est au moins aussi préoccupant. Au fond, alors que la droite donnait cohérence et sens à ses valeurs inégalitaires et autoritaires, nous n’avons pas assez travaillé ni actualisé notre discours pour qu’il parle à des millions de gens. Au fil des années, on a vu la gauche ballottée entre la dominante du renoncement et la tentation, de-ci de-là, du repli sur soi, de la conservation. Au final, la gauche s’est étiolée : elle s’est coupée des classes populaires et de la jeunesse mais aussi des forces sociales, intellectuelles et culturelles. Bref ! Il est grand temps de balayer devant notre porte...

Nous ne partons pas de rien. Depuis la Révolution française, la contestation de toutes les formes d’exploitation et de domination a suscité des réflexions fondatrices. Critique du capitalisme et quête d’utopies ont fait l’objet de productions denses. Des expériences politiques positives - souvent de courtes durées - ont été menées franchement à gauche. Les mouvements sociaux et les milieux intellectuels critiques contribuent à l’émergence de contenu et d’idées neuves, souvent mal relayées, sans compter qu’il manque cruellement la mise en perspective... Dans la toute dernière période, dans la foulée de la campagne victorieuse contre le TCE, nous avons réussi à produire une Charte antilibérale. Ce document a le double mérite d’être le produit de l’élaboration conjointe de toutes les composantes de la campagne du « non » de gauche (incluant de la LCR à PRS un large spectre des courants politiques de la gauche antilibérale ainsi que les autres structures syndicales et associatives qui s’étaient engagées dans cette bataille) et d’avoir abouti à un texte qui embrasse une visée et dépasse le cadre d’un simple programme électoral. Par la suite, 125 propositions ont été mises sur la table pour une candidature unitaire malheureusement inaboutie. Lors de la présidentielle, force a été de constater la faiblesse de nos propositions : sans trop caricaturer, la mesure phare des candidats anti-libéraux - généralement la première citée par tous - aura été l’augmentation du SMIC, ce qui en dit long sur le déficit de en terme projet et d’idées neuves... Maintenons le fond de nos valeurs, appuyons-nous sur toute une série d’acquis mais n’hésitons pas à changer ce qui doit l’être, hors de toute concession à la propension libérale. Nous devons dire ce que signifie être de gauche dans les sociétés du capitalisme mondialisé.

Pour cela, la gauche de transformation doit :

- affirmer une cohérence de projet. Il faut sortir du catalogue de propositions pour donner à voir la convergence de tous les combats émancipateurs. Parce que nos sociétés allient l’exploitation et la domination, nous devons mêler les utopies, les cultures, les apports du mouvement ouvrier, du féminisme, de l’écologie politique, de l’anti-racisme, de l’anti-consumérisme. Recherchons la mise en perspective et l’inscription du changement dans la durée. Ce travail ne se fera pas sans renouer des liens avec les forces sociales et intellectuelles, sans se donner les moyens de constituer une « intellectualité de masse », c’est-à-dire de créer les conditions d’une appropriation populaire d’une vision du monde et de sa transformation.

- cesser de se définir en négatif. Nous ne sommes pas seulement « contre » le monde tel qu’il va mal mais « pour » une alternative. De ce point de vue, l’appellation « anti-libéraux » pose problème - sans compter la confusion potentielle sur le terrain des libertés, même s’il est clair pour nous que la critique porte sur le libéralisme économique. Là où nous avons perdu dans le débat public, c’est que notre espace est souvent qualifié de « réactionnaire », au sens où il apparaît essentiellement pour défendre des acquis. Cette situation doit être retournée. Non seulement nous voulons préserver nos retraites et nos services publics mais nous voulons plus et autrement. A nous de renverser la vapeur. A nous de tracer en positif les contours de l’alternative et de réinvestir des thématiques et un vocabulaire offensif et pas seulement défensif.

- trouver les mots contemporains pour le dire. Le monde a changé. La forme prise par le capitalisme, l’expression des exploitations et des racismes, les manières de faire la guerre, le rythme de destruction de la planète, les relations familiales, les modes de circulation ou encore d’information... ne sont pas ceux d’hier. Avons-nous intégré toutes ces mutations ? Nous sommes régulièrement renvoyés au passé, taxés de ringardise. Parlons-nous vraiment de la société telle qu’elle est devenue ? La mise à jour de notre discours est essentielle. La réinvention doit être au rendez-vous.

- apporter de la crédibilité dans nos réponses. A partir du moment où nous nous projetons en responsabilité, avec la volonté de raccorder réforme et révolution, nous sommes attendus sur ce terrain. Il s’agit d’en finir avec d’un côté, les gestionnaires qui accompagnent le libéralisme économique et, de l’autre, ceux qui protestent et jouent les marges. Nous visons à être en situation de changer réellement les conditions d’existence du plus grand nombre. Or, combien de personnes nous perçoivent aujourd’hui comme de doux rêveurs ? Combien d’autres encore sont séduits par la volonté de combattre le capitalisme mais ne voient pas comment cette ambition est possible dans le cadre de la mondialisation ? Reprendre l’offensive sur ce terrain, c’est dire comment nous ferons - avec le mouvement populaire, sans lequel aucun changement durable n’est possible - et quelles sont les marges de manœuvres, notamment pour partager les richesses. Et rappeler que la marche du monde est une construction politique, et pas un phénomène météorologique ! Le tout est de changer d’horizon, en luttant contre toutes les formes d’exploitation et de domination, pour un partage des richesses, des pouvoirs, des savoirs et des temps. Pour organiser la réflexion, j’ai regroupé en trois grands chantiers - qui évidemment n’ont rien de figé :

-  Emancipation. Promouvoir une société émancipatrice, c’est permettre à chacun-e d’être un individu épanoui, de se construire en tant que citoyen-ne, d’avoir des repères, des valeurs et des références communes, d’être doté d’un sens critique, d’avoir des clés pour comprendre le monde. Cette émancipation, avec laquelle se noue l’enjeu identitaire, doit être individuelle et collective. Or, raccorder l’individu et le collectif est un enjeu majeur pour la gauche qui, trop longtemps, s’est enfermée dans une alternative binaire stérile entre le tout collectif d’un côté et l’individualisme de l’autre. En effet, quel sens aurait un projet collectif s’il ne permet pas l’épanouissement individuel ? A l’inverse, comment peut-on penser des réussites individualisées qui se feraient au détriment de l’intérêt général ? Au cœur l’ambition émancipatrice : l’éducation, le partage des savoirs. La question des moyens pour l’école est importante mais ne fait pas un projet éducatif. Or, à gauche, les plus audibles sont aujourd’hui les défenseurs de l’école d’antan. Quel est notre parti pris, notre alternative à la soumission de l’éducation aux impératifs économiques et à la maigre ambition « lire, écrire, compter » promus par la droite ? A quoi sert l’école ? Comment répondre au défi de la massification scolaire ? Casser les outils de l’égalité tel que la carte scolaire ne peut qu’amener à déshériter un peu plus les établissements en difficulté. A nous de dire quelle alternative pour faire vivre, dans le réel, l’égalité - qui ne veut pas dire tous pareils. Partir du point de vue de celui qui ne réussit pas à l’école est probablement une piste plus fructueuse que de mettre l’accent sur comment élargir le cercle des « happy few » - en clair, élargir le noyau de ceux qui auront accès aux grandes écoles. Enfin, les méthodes pédagogiques doivent être mises à jour, la démocratisation et l’ouverture des établissements doivent être pensées. La notion d’éducation populaire, historiquement ancrée à gauche, mérite d’être portée à nouveau car l’éducation ne peut se résumer au cadre scolaire ni à un seul âge de la vie. Quand on parle d’émancipation, la culture est fondamentale. La défense du statut des intermittents du spectacle ne peut tenir lieu de projet culturel. Tout comme les médias et les nouvelles technologies, il s’agit quasiment d’angles morts à gauche. Un exemple : qui a entendu la gauche de gauche dans le chaud débat sur le « peer to peer » ? Mettre à jour notre projet est le seul moyen d’avoir un point de vue commun à défendre quand émergent de nouvelles questions.

-  Travail, partage des richesses et développement. D’abord, la question de l’emploi, au cœur des préoccupations. Comment lutter contre le chômage ? Quel statut pour le/la travailleur-euse ? Quelle formation tout au long de la vie, étant entendu que celle initiale ne suffit plus ? Quelle modalité de cessation d’activité ? Quelle sécurisation des parcours professionnels ? Le débat entre tenants d’une « sécurité sociale professionnelle » et pourfendeurs d’un « revenu universel » doit être mené - sachant qu’il engage la place du travail dans la société (où commence et où s’arrête le travail ?) et la relation entre revenu et travail. Quelque soit le parti pris, il s’agit d’abolir la précarité, y compris dans ses formes neuves comme le travail à temps partiel massivement subi par les femmes. Nous devons également réfléchir à la hiérarchie des salaires, question qui s’articule à l’enjeu central de la répartition des richesses. Cette dernière concerne le rapport capital-travail, en profonde détérioration (thématique largement abordée dans la gauche de gauche). Elle met aussi en jeu le « salaire indirect », tout ce qui relève des services publics. A nous de faire vivre la notion d’appropriation sociale. La juste répartition des services publics - logement, école, transports, équipements culturels, hôpitaux, télécommunication... - sur le territoire est un levier essentiel pour faire vivre l’égalité. Quelles logiques de péréquation ? Comment repenser les rapports centre/périphérie ? Pour ce nouveau partage des richesses, une réforme fiscale d’ampleur est à travailler. Autre préoccupation populaire majeure : comment lutter contre les délocalisations ? Quelle capacité de l’Etat à intervenir ? Là, la question d’une dose de protectionnisme est clairement posée et ce qui n’est pas sans soulever un débat. Celle du pouvoir des salariés dans l’entreprise également. La démocratie sociale est une clé de la transformation dans l’entreprise. Last but not least, quelles sont les finalités du travail ? Que produisons-nous ? Comment tourner la production vers des activités socialement utiles et écologiquement soutenables ? L’écologie doit aller au-delà de la défense de l’environnement et inventer un nouveau type de développement interrogeant les choix de production et de consommation. Au fond, comment promouvoir un développement humain ? La définition de « biens communs de l’humanité » - eau, énergie, transports, foncier... - permettrait de définir des secteurs devant relever exclusivement du public. En outre, favoriser l’économie sociale et solidaire est probablement une piste d’avenir. Enfin, mettre le paquet sur la recherche publique est un gage de meilleure projection dans l’avenir.

-  Démocratie et nouveaux droits. Quelles sont les échelles pertinentes ? Au sein de chacune d’entre elles - internationales, européennes, nationales -, quelle organisation démocratique ? Nous bénéficions de pistes sérieuses sur les réformes nécessaires des organismes mondiaux - ONU, FMI, etc. - qui repose notamment sur la souveraineté populaire en lieu et place de la soumission mondiale aux normes capitalistes ainsi que la remise en cause des rapports de domination Nord-Sud et la contestation de l’atlantisme. De là à dire que nous avons une vision partager sur monde et la résolution des conflits... Sur l’Europe, l’orientation antilibérale est un point de vue partagé. Mais quelle Europe politique ? Là, les points de vue entre nous divergent. Il faut affronter la discussion et dégager les bases communes possibles. Elles s’articuleront nécessairement à notre conception de la Nation où, là encore, nous frisons l’impensé - pour preuve, les réactions peu étayées voire démago et simpliste de la gauche de gauche au moment du débat sur la Marseillaise lors de la présidentielle. Manière d’entrer dans le débat sur l’immigration, sur lequel nous avons une revendication commune « la régularisation des sans papiers » mais qui ne clôt pas l’ensemble de la question. Manière aussi d’entrer dans le débat républicain. Quelle nouvelle République ? Quelles institutions pour une démocratie renouvelée ? La démocratie doit revenir au cœur d’une démarche de gauche : l’exigence de souveraineté du peuple appelle la rupture avec la V° République et son présidentialisme étouffant, le refus de l’étatisme et la valorisation de l’appropriation sociale et du service public, la prise en compte des aspirations des personnes à contrôler et décider au quotidien. Parallèlement, comment redonner du sens à ce mot - qui ne résonne pas toujours positivement aux oreilles des nouvelles générations ? La seule affirmation de l’égalité républicaine ne suffit pas. Il ne suffit pas de dire que les femmes ou les noirs peuvent accéder à l’Assemblée nationale pour qu’ils y accèdent. Comment faire vivre l’égalité réelle sans cliver en catégories figées l’espace républicain ? Tel est le défi. On en revient là au débat sur l’identité. Comment faire vivre l’espace commun et la laïcité en permettant un pluralisme des identités ? Développer l’égalité des droits est un préalable indispensable. Quels nouveaux droits attachés à la personne ? Doit-on aller vers une individualisation de ces droits ? La liberté ne peut se contenter de la nécessaire affirmation des droits individuels et collectifs, elle doit se fonder sur des moyens permettant l’autonomie des personnes. La boucle avec l’émancipation est bouclée...

Je terminerai sur un défi particulièrement neuf : le partage des temps de la vie. Le bouleversement majeur au XXe siècle en matière d’égalité hommes/femmes a impliqué des changements considérables. Les femmes ont investi le monde du travail salarié. Pour autant, le travail gratuit qu’elles effectuaient auparavant continue de leur échoir dans des proportions écrasantes. Comment assurer une juste répartition des temps, pour toutes et tous, entre le travail rémunéré, le temps domestique et parental, la part de l’engagement citoyen et le nécessaire temps dédié à la culture et aux loisirs ? J’ajoute en toute fin que la question des générations est à appréhender également dans sa dimension neuve, soit en raison d’enjeux spécifiques (quelle autonomie pour les jeunes ? quelle réponse à la dépendance des personnes âgées ?), soit pour repenser les enjeux des relations inter-générationnelles et de la transmission.

Ces quelques pistes brossées à grands traits visent avant tout à mettre en appétit. Le débat est ouvert. La discussion de cet après-midi a pour but de cibler les priorités, de mettre sur la table les grands débats entre nous (travail/revenu, république/communautarisme, individu/collectif) et de repérer les angles morts.

Débat introduit par Clémentine Autain


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