Eric Zemmour, candidat de la « finance autoritaire »

lundi 14 mars 2022.
 

Face à la dérégulation d’une partie de l’économie, à l’affaiblissement des services publics et à la grogne sociale qui en découle ces dernières années, l’idéologie ultra-libérale n’hésite plus à s’appuyer sur des figures autoritaires et xénophobes pour poursuivre son projet politique et conserver l’ordre social établi.

« Tout l’enjeu de ces acteurs, c’est de proposer un ordre social qui fonctionne, et de lancer une nouvelle vague de dérégulation radicale dans un monde où les gens souffrent déjà. Pour cela, il faut une forme d’autoritarisme, pour contrer les révoltes dans un monde déjà ultra inégalitaire. »

A l’aube du premier tour des élections présidentielles françaises, les mots et l’analyse de Théo Bourgeron, co-auteur avec Marlène Benquet du livre La finance autoritaire, vers la fin du néolibéralisme » permettent de se faire une idée des mécanismes et des enjeux à l’œuvre dans le financement d’une campagne.

Dans leur enquête publiée aux éditions Raisons d’Agir, les deux sociologues se penchent sur le cas du Brexit en 2016, avec une enquête où ils épluchent les comptes de campagnes, qui sont publics en Grande-Bretagne contrairement à la France, pour arriver à une conclusion sans appel. Un groupe de financier, que les auteurs qualifie « d’acteurs de la seconde financiarisation » et qui ont émergé à partir des années 90 avec des fonds de capital investissement ou des hedge fund, ont soutenu massivement le Brexit. Bien loin donc « d’une victoire des gens ordinaires » comme le proclame Nigel Farage le 24 juin 2016 au lendemain du vote.

A partir de ce constat, les auteurs proposent une lecture de ce phénomène, en le rapprochant de l’élection de Donald Trump ou celle de Jair Bolsonaro. Ces « évènements » politiques ont tous des traits communs. Ce sont des projets autoritaires, xénophones et climato-sceptiques, qui sont présentés par ceux qui les portent comme des projets populaires, contre les élites et contre l’establishment, mais aussi contre les menaces extérieures incarnées par la figure du migrant ou de l’étranger.

Pourquoi alors, une partie de la finance s’intéresse à ces projets, pourquoi certains acteurs financiers inondent les campagnes de leurs dons pour faire émerger des personnages comme Trump, Bolsonaro, Zemmour ou Farage ? Quels intérêts ces financiers peuvent ils y trouver ?

Il est intéressant de prendre l’exemple de l’homme d’affaires britannique James Goldsmith, particulièrement représentatif de ce phénomène. Le milliardaire a été le précurseur de la « seconde financiarisation » dans les années 80, pour reprendre les mots de Marlène Benquet et Théo Bourgeron, en menant des « raids d’entreprise », ces opérations de rachat hostiles contre des sociétés industrielles qui deviennent ensuite la propriété des fonds de capital-investissement. L’homme d’affaires à très vite compris, que son « business-model », allait rencontrer des résistances dans les entreprises et les syndicats. Dans les années 1980, il financera entre autre l’organisation paramilitaire britannique GB75 qui visait à infiltrer les syndicats et à briser les grèves. Il investira également dans plusieurs titres de presse dont l’Express pour en faire un instrument de lutte anticommuniste. Enfin, il sera présent sur la liste européenne d’extrême-droite de Phillipe De Villiers lors des élections de 1994.

Goldsmith a très vite compris que pour accentuer la dérégulation qui lui permettrait de s’enrichir encore plus, il fallait également pouvoir « mater » les mouvements de révolte et conserver l’ordre établi. Le couple autoritarisme-finance ne date donc pas d’hier, c’est un mariage d’intérêt. Ces investissements stratégiques qu’a opéré Goldsmith dans les années 80 semblent inspirer plusieurs milliardaires en France. Bolloré, Gave, Maréchal… les visages de la « finance autoritaire » à la française

Charles Gave. Ce nom vous dit peut-être vaguement quelque chose, mais l’homme d’affaires est pourtant assez représentatif de cette vision politique et de cette conciliation entre le monde de la finance et des projets xénophobes et autoritaires. Le milliardaire, fondateur du fonds GaveKal basé à Hong-Kong s’est inspiré de la méthode anglo-saxonne de Goldsmith pour innonder plusieurs secteurs de ses investissements. Il a notamment crée son propre think-tank, « L’institut des Libértés » où il y déverse régulièrement sa rhétorique libertarienne et xénophobe. Gave a également financé des médias comme Causeur ou Conflits et a massivement investi dans la politique. Sa fille et lui même devaient être présents sur la liste européenne de Nicolas Dupont Aignan lors des élections de 2019. Le financier avait promis 2 millions d’euros à la liste d’extrême droite pour sa campagne.

La politique, les médias, les think-tank, la stratégie de Gave en matière d’investissement dans la démocratie française se rapproche de celle de Goldsmith. Il lui restait tout de même à investir dans un projet autoritaire, garant de ces intérêt qui lui permettrait de s’enrichir d’avantage tout en maintenant l’ordre social établi. Moins frontal que Goldsmith qui avait fait le choix d’investir dans des groupes paramilitaires, Gave a choisi la candidature de Zemmour pour satisfaire ses doléances en matière d’autoritarisme. Il lui a accordé un prêt de 300.000 euros pour sa campagne présidentielle. Gave n’hésite pas à déclarer qu’il considère Eric Zemmour comme son « héros ».

Charles Gave, qui réalisent de nombreuses chroniques dans des médias qui surfent avec l’extrême droite comme Sud Radio ou BFM, est également enseignant dans l’école fondée par Marion Maréchal, l’ISSEP. Marion Maréchal est également une figure intéressante qui s’inscrit pleinement dans cette galaxie d’ultra-libéraux autoritaires. Son école forme cette nouvelle génération de la droite radicale, à l’image de Stanislas Rigault, président de « Génération Z », et qui a fait ses armes sur les bancs de cette école.

Cette école fait partie de ces investissements à l’image des think-tank, des médias ou des partis politiques qui alimentent cette nouvelle idéologie, que Théo Bourgeron et Marlène Benquet qualifie de « libertarianisme autoritaire ». On peut également nommer Henri de Castries, patron de M6 et président du think-tank ultra libéral l’Institut Montaigne. Lui aussi semble particulièrement proche de l’ancien chroniqueur de Cnews.Les investissements de Vincent Bolloré dans plusieurs médias nationaux, en télévision ou en radio, ont également propulsé depuis quelques années le candidat sur le devant de la scène. La sœur du milliardaire est d’ailleurs l’une des grandes donatrices de la campagne de l’ancien chroniqueur de Cnews.

En France, la candidature d’Eric Zemmour semble être celle qui convient le mieux à cette nouvelle droite radicale, pour qui la dérégulation et l’autoritarisme semble deux leviers essentiels et indisociables. Il serait également intéressant d’avoir accès aux comptes de campagne d’Eric Zemmour, pour déceler si certaines franges de la finance soutiennent le polémiste, même si Théo Bourgeron, contacté par téléphone, assure que« c’est intéressant de se pencher sur le financement d’une campagne électorale, mais cela arrive au dernier moment. Ce qui est intéressant c’est de se pencher sur les décennies qui ont précédé cette élection et mettre en évidence d’autres financements, vers des think-tank, des médias ou des partis par exemple. »

Avec cette clé de lecture, il semble clair qu’une tendance de fond est perceptible ces dernières années en France avec des investissements massifs de milliardaires dans des médias, think-tank et partis politique, et qui tend vers le projet ultra libéral et autoritaire incarné par Eric Zemmour.

Eric Zemmour ne cache pas son libéralisme radical. Lui pour qui « notre modèle social est obèse », et pour qui « on s’endette pour financer un État-Providence complètement fou. On a des dépenses sociales qui sont astronomiques. »

A travers des investissements massifs dans des médias, des partis politiques et des lieux de réflexion comme des écoles privées ou des think-tank, la galaxie de la droite ultra-libérale et autoritaire semble avoir depuis plusieurs années construit les prémisses du « phénomène zemmour ». Cette candidature semble bien loin, comme le prétend Eric Zemmour, d’être celle du peuple contre les élites, mais au contraire d’être parfaitement taillée pour elles, en s’appuyant sur un autoritarisme et une répression sociale garants de l’ordre social établi.


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