Vote des manifestants du mouvement climat : Mélenchon devant Jadot. Macron, Hidalgo et Roussel décrochés

jeudi 31 mars 2022.
 

TRIBUNE du collectif Quantité critique

Quantité critique est un collectif de chercheurs et chercheuses en sciences sociales, qui depuis 2018 s’est spécialisé dans l’étude quantitative des mouvements sociaux, notamment celui des « gilets jaunes » et du mouvement climat. Le 12 mars dernier, le collectif a réalisé une enquête de terrain à Paris auprès de 486 manifestants pour le climat. Giuseppe Cugnata et Maxime Gaborit, membres de Quantité critique, décryptent les premiers résultats.

Après deux ans de crise sanitaire, et dans un contexte où la guerre en Ukraine structure l’actualité, faire exister l’écologie comme enjeu politique majeur apparaît comme un défi de taille. Dans les sondages nationaux, l’environnement semble de moins en moins constituer une thématique déterminante du vote (- 8 points depuis mi-novembre d’après OpinionWay). Pour faire face à cette conjoncture défavorable, le 12 mars, des organisations pour le climat ont lancé la marche « Look Up » – en référence au film « Don’t Look Up » – dans de nombreuses villes de France afin d’imposer les thématiques écologiques dans le débat présidentiel. Dans ce contexte particulier, les militants pour le climat, hantés par le spectre de la catastrophe climatique, sont confrontés à plusieurs questions : comment traduire électoralement son engagement écologiste ? Quelle force politique est capable d’opérer les transformations souhaitées ?

« La crise sanitaire a joué un rôle incontestable dans la perte de dynamique du mouvement écolo »

Depuis les premières enquêtes menées à l’automne 2018, le collectif Quantité critique s’attache à renseigner les propriétés sociales et politiques des personnes se mobilisant pour le climat. Au-delà de l’image d’un mouvement citoyen rassemblant par-delà les clivages sociaux et politiques, ces enquêtes ont montré que les mobilisations écologistes recrutent prioritairement dans des secteurs de la société précis : ceux du salariat qualifié, majoritairement politisés à gauche. À l’occasion de ce retour à la manifestation par le mouvement climat, nous avons cherché à comprendre comment le mouvement a évolué depuis ces premières mobilisations. Nous avons pour cela enquêté sur la manifestation parisienne du 12 mars suivant la méthode du sondage en manifestation (1).

A la différence des grèves des jeunes pour le climat, la manifestation du 12 mars à Paris n’a pas mobilisé en priorité des lycéen-nes et des étudiant-es. Bien que la mobilisation soit jeune (69 % ont moins de 35 ans), on retrouve 53 % d’actifs – une proportion similaire à celle de l’Ile-de-France – 28 % d’étudiants et, enfin, peu de lycéens (3 %).

D’un point de vue social, cette manifestation n’a pas témoigné d’une diversification du socle traditionnel, puisqu’elle n’a pas su mobiliser les couches populaires. On peut même parler d’une intensification de la spécificité sociale des marcheurs : parmi les actifs, 75 % occupent des positions de cadre. Des résultats qui dépassent largement les moyennes régionales (31 % des actifs en IDF), et même celles des dernières mobilisations étudiées où la proportion de cadres environnant les 50 %. Si les actifs issus du salariat qualifié sont ceux qui se mobilisent le plus, tous les cadres ne le font pas. En effet, ceux issus des secteurs des banques et assurances et du commerce sont très sous-représentés dans la manifestation. A l’inverse, les secteurs de la recherche, de l’éducation et de la culture sont les plus mobilisés. Manifestation pour le climat du 12 mars 2022 : catégorie socio-professionnelle des enquêtés, par le collectif Quantité critique Manifestation pour le climat du 12 mars 2022 : catégorie socio-professionnelle des enquêtés, par le collectif Quantité critique

Ancrage à gauche

Cette mobilisation regroupe des personnes très investies politiquement. D’abord dans des pratiques associatives et militantes traditionnelles : 88 % déclarent faire partie d’une association, d’un parti politique ou d’un syndicat, 77 % se sont déjà mobilisés pour d’autres causes (féminisme, antiracisme, luttes syndicales etc.), 89 % pratiquent le boycott et 27 % sont végétariens ou vegan. La suite après la publicité

Ils sont aussi très actifs dans les pratiques électorales : seuls 17 % des manifestant-es déclarent n’avoir voté ni aux élections régionales en 2021, ni aux municipales en 2020, qui étaient pourtant marquées par un fort niveau d’abstention (58 % aux municipales et 66 % aux régionales). Ce résultat est particulièrement éloquent concernant les intentions de vote pour la présidentielle de 2022, pour lesquelles nous ne recensons que 2 % d’abstentionnistes et 4 % de votes blanc. Ainsi, loin de s’opposer, les engagements collectifs tels que la participation aux manifestations, mais aussi aux actions de désobéissance civile, et les modifications du mode de vie s’articulent profondément avec une participation électorale régulière.

Mélenchon ou Jadot : pour qui votent les jeunes des marches pour le climat ?

Du point de vue de leurs orientations idéologiques, les participants du mouvement pour le climat ne se positionnent pas sur l’ensemble du spectre politique. Le fort ancrage à gauche du mouvement est l’un des résultats récurrents de nos enquêtes, qui se confirme à nouveau. Dans la manifestation du 12 mars, 55 % se positionnent à gauche et 31 % très à gauche. Toutefois, à l’approche de la présidentielle et devant une offre politique à gauche divisée entre plusieurs candidatures, comment s’organise la traduction électorale de la mobilisation ?

Macron décroche

Le premier constat flagrant est la faiblesse et le recul du soutien à la candidature d’Emmanuel Macron : sur les personnes que nous avons enquêtées, seules 5 % déclarent vouloir voter pour lui. En 2017, parmi ce même groupe, ils étaient 22 % à avoir voté pour le candidat d’En Marche. Ce décrochage témoigne de l’échec du président de la République à incarner l’image du « président de la Terre » qu’il avait tenté d’investir en début de mandat, et de la déception liée à la loi Climat et résilience, éloignée de l’ambition des mesures proposées par la Convention citoyenne pour le Climat.

On peut également noter l’incapacité des forces de gauche « historiques » (PS/PCF) à convaincre les marcheurs contre l’inaction climatique. Le PCF réalise parmi eux un score de 2 % et Anne Hidalgo ne recueille que 1,5 % des voix. Ce décrochage de la candidate socialiste est surprenant dans une population majoritairement parisienne et écologiste. Pour Fabien Roussel, ce faible score peut s’expliquer par sa campagne dénonçant une gauche « bobo » et « culpabilisante ». La campagne électorale est venue renforcer la faiblesse de ces deux formations déjà constatée par les enquêtes précédentes.

Quantité critique est un collectif de chercheurs et chercheuses en sciences sociales, qui depuis 2018 s’est spécialisé dans l’étude quantitative des mouvements sociaux, notamment celui des « gilets jaunes » et du mouvement climat. Le 12 mars dernier, le collectif a réalisé une enquête de terrain à Paris auprès de 486 manifestants pour le climat. Giuseppe Cugnata et Maxime Gaborit, membres de Quantité critique, décryptent les premiers résultats.

Après deux ans de crise sanitaire, et dans un contexte où la guerre en Ukraine structure l’actualité, faire exister l’écologie comme enjeu politique majeur apparaît comme un défi de taille. Dans les sondages nationaux, l’environnement semble de moins en moins constituer une thématique déterminante du vote (- 8 points depuis mi-novembre d’après OpinionWay). Pour faire face à cette conjoncture défavorable, le 12 mars, des organisations pour le climat ont lancé la marche « Look Up » – en référence au film « Don’t Look Up » – dans de nombreuses villes de France afin d’imposer les thématiques écologiques dans le débat présidentiel. Dans ce contexte particulier, les militants pour le climat, hantés par le spectre de la catastrophe climatique, sont confrontés à plusieurs questions : comment traduire électoralement son engagement écologiste ? Quelle force politique est capable d’opérer les transformations souhaitées ? La suite après la publicité « La crise sanitaire a joué un rôle incontestable dans la perte de dynamique du mouvement écolo »

Depuis les premières enquêtes menées à l’automne 2018, le collectif Quantité critique s’attache à renseigner les propriétés sociales et politiques des personnes se mobilisant pour le climat. Au-delà de l’image d’un mouvement citoyen rassemblant par-delà les clivages sociaux et politiques, ces enquêtes ont montré que les mobilisations écologistes recrutent prioritairement dans des secteurs de la société précis : ceux du salariat qualifié, majoritairement politisés à gauche. À l’occasion de ce retour à la manifestation par le mouvement climat, nous avons cherché à comprendre comment le mouvement a évolué depuis ces premières mobilisations. Nous avons pour cela enquêté sur la manifestation parisienne du 12 mars suivant la méthode du sondage en manifestation (1).

A la différence des grèves des jeunes pour le climat, la manifestation du 12 mars à Paris n’a pas mobilisé en priorité des lycéen-nes et des étudiant-es. Bien que la mobilisation soit jeune (69 % ont moins de 35 ans), on retrouve 53 % d’actifs – une proportion similaire à celle de l’Ile-de-France – 28 % d’étudiants et, enfin, peu de lycéens (3 %).

D’un point de vue social, cette manifestation n’a pas témoigné d’une diversification du socle traditionnel, puisqu’elle n’a pas su mobiliser les couches populaires. On peut même parler d’une intensification de la spécificité sociale des marcheurs : parmi les actifs, 75 % occupent des positions de cadre. Des résultats qui dépassent largement les moyennes régionales (31 % des actifs en IDF), et même celles des dernières mobilisations étudiées où la proportion de cadres environnant les 50 %. Si les actifs issus du salariat qualifié sont ceux qui se mobilisent le plus, tous les cadres ne le font pas. En effet, ceux issus des secteurs des banques et assurances et du commerce sont très sous-représentés dans la manifestation. A l’inverse, les secteurs de la recherche, de l’éducation et de la culture sont les plus mobilisés. Manifestation pour le climat du 12 mars 2022 : catégorie socio-professionnelle des enquêtés, par le collectif Quantité critique Manifestation pour le climat du 12 mars 2022 : catégorie socio-professionnelle des enquêtés, par le collectif Quantité critique Ancrage à gauche

Cette mobilisation regroupe des personnes très investies politiquement. D’abord dans des pratiques associatives et militantes traditionnelles : 88 % déclarent faire partie d’une association, d’un parti politique ou d’un syndicat, 77 % se sont déjà mobilisés pour d’autres causes (féminisme, antiracisme, luttes syndicales etc.), 89 % pratiquent le boycott et 27 % sont végétariens ou vegan. La suite après la publicité

Ils sont aussi très actifs dans les pratiques électorales : seuls 17 % des manifestant-es déclarent n’avoir voté ni aux élections régionales en 2021, ni aux municipales en 2020, qui étaient pourtant marquées par un fort niveau d’abstention (58 % aux municipales et 66 % aux régionales). Ce résultat est particulièrement éloquent concernant les intentions de vote pour la présidentielle de 2022, pour lesquelles nous ne recensons que 2 % d’abstentionnistes et 4 % de votes blanc. Ainsi, loin de s’opposer, les engagements collectifs tels que la participation aux manifestations, mais aussi aux actions de désobéissance civile, et les modifications du mode de vie s’articulent profondément avec une participation électorale régulière. Mélenchon ou Jadot : pour qui votent les jeunes des marches pour le climat ?

Du point de vue de leurs orientations idéologiques, les participants du mouvement pour le climat ne se positionnent pas sur l’ensemble du spectre politique. Le fort ancrage à gauche du mouvement est l’un des résultats récurrents de nos enquêtes, qui se confirme à nouveau. Dans la manifestation du 12 mars, 55 % se positionnent à gauche et 31 % très à gauche. Toutefois, à l’approche de la présidentielle et devant une offre politique à gauche divisée entre plusieurs candidatures, comment s’organise la traduction électorale de la mobilisation ? Macron décroche

Le premier constat flagrant est la faiblesse et le recul du soutien à la candidature d’Emmanuel Macron : sur les personnes que nous avons enquêtées, seules 5 % déclarent vouloir voter pour lui. En 2017, parmi ce même groupe, ils étaient 22 % à avoir voté pour le candidat d’En Marche. Ce décrochage témoigne de l’échec du président de la République à incarner l’image du « président de la Terre » qu’il avait tenté d’investir en début de mandat, et de la déception liée à la loi Climat et résilience, éloignée de l’ambition des mesures proposées par la Convention citoyenne pour le Climat.

On peut également noter l’incapacité des forces de gauche « historiques » (PS/PCF) à convaincre les marcheurs contre l’inaction climatique. Le PCF réalise parmi eux un score de 2 % et Anne Hidalgo ne recueille que 1,5 % des voix. Ce décrochage de la candidate socialiste est surprenant dans une population majoritairement parisienne et écologiste. Pour Fabien Roussel, ce faible score peut s’expliquer par sa campagne dénonçant une gauche « bobo » et « culpabilisante ». La campagne électorale est venue renforcer la faiblesse de ces deux formations déjà constatée par les enquêtes précédentes.

Le candidat Yannick Jadot et le parti EELV détenaient lors de nos enquêtes en 2019 une place centrale dans les marches. En septembre 2019, les manifestants pour le climat (grève du 20 septembre à Paris) interrogés étaient 45 % à avoir voté pour la liste conduite par Jadot (13,2 % au niveau national). Si la liste « insoumise » conduite par Manon Aubry réalisait également au sein de la mobilisation un score plus élevé que dans la population générale, les Verts apparaissaient lors de ce scrutin comme la traduction électorale « évidente » du mouvement. Dans le cadre du scrutin présidentiel, EELV reste-t-il propriétaire de la thématique écologiste ?

Au sein de la manifestation, cette primauté leur est désormais contestée par le candidat de l’Union populaire qui s’impose désormais face au candidat des Verts. Jean-Luc Mélenchon devance Yannick Jadot, avec 47 % d’intention de vote pour le premier tour de présidentielle contre 38 % pour le candidat écologiste. Comparé aux sondages en population générale, le candidat Vert occupe une place importante, mais ces chiffres montrent que Jadot n’est pas parvenu à se positionner comme le réceptacle électoral du mouvement pour le climat.

Le candidat Yannick Jadot et le parti EELV détenaient lors de nos enquêtes en 2019 une place centrale dans les marches. En septembre 2019, les manifestants pour le climat (grève du 20 septembre à Paris) interrogés étaient 45 % à avoir voté pour la liste conduite par Jadot (13,2 % au niveau national). Si la liste « insoumise » conduite par Manon Aubry réalisait également au sein de la mobilisation un score plus élevé que dans la population générale, les Verts apparaissaient lors de ce scrutin comme la traduction électorale « évidente » du mouvement. Dans le cadre du scrutin présidentiel, EELV reste-t-il propriétaire de la thématique écologiste ?

Au sein de la manifestation, cette primauté leur est désormais contestée par le candidat de l’Union populaire qui s’impose désormais face au candidat des Verts. Jean-Luc Mélenchon devance Yannick Jadot, avec 47 % d’intention de vote pour le premier tour de présidentielle contre 38 % pour le candidat écologiste. Comparé aux sondages en population générale, le candidat Vert occupe une place importante, mais ces chiffres montrent que Jadot n’est pas parvenu à se positionner comme le réceptacle électoral du mouvement pour le climat.

Carrure, notoriété, concurrence… Pourquoi Yannick Jadot peine à convaincre

Le différentiel entre les deux candidats s’explique en partie par la force du soutien des jeunes à Mélenchon. Le score du candidat « insoumis » domine largement le rapport de force électorale chez les moins de 35 ans (65 %), alors qu’il est légèrement devancé par Jadot chez les plus de 35 ans, moins présents dans la manifestation.

Le niveau d’aisance financière affecte également le comportement électoral des manifestants. En effet, le vote est également déterminé par les difficultés sociales à boucler son budget : 66 % des personnes qui ont du mal à boucler leur fin de mois tous les mois votent en faveur de Jean-Luc Mélenchon, contre 20 % pour Yannick Jadot. Quant à ceux qui ne font pas état de difficultés budgétaires, ils sont 44 % à voter pour Jean-Luc Mélenchon et 42 % à voter pour Yannick Jadot. Dans cette frange de l’électorat relativement protégée socialement, les petites différences sociales peuvent conduire à des écarts importants d’intention de vote.

Mélenchon, un vote stratégique ?

Dans la manifestation, alors qu’ils sont 47 % à considérer que Yannick Jadot est le plus conséquent sur les enjeux écologiques, ils ne sont que 38 % à voter pour lui. Cette contradiction peut en partie être expliquée par l’hypothèse que le vote pour Jean-Luc Mélenchon est perçu par certains comme le vote stratégique à gauche. Cette idée est avancée notamment par nombre de commentateurs depuis que le candidat « insoumis » se retrouve mieux positionné que les autres candidats de gauche dans les sondages (autour de 13 %).

Cette hypothèse est crédible mais insuffisante pour comprendre le haut score réalisé ici par Mélenchon. Lorsque l’on se penche sur les thématiques déterminantes du vote, c’est-à-dire les thématiques auxquelles les électeurs accordent de l’importance pour arbitrer leur choix politique, on s’aperçoit que les électeurs de Jadot dans la manifestation citent en première place la protection de l’environnement. Chez les votants « insoumis », si l’environnement détient également une place importante, celle des inégalités sociales l’est également, alors qu’elle est moins citée chez les futurs électeurs de Jadot.

Ainsi, Mélenchon incarne une proposition électorale qui semble articuler la question environnementale aux autres luttes sociales, tandis que Jadot semble correspondre à un vote davantage concentré sur la question environnementale. Ce résultat est renforcé par le fait que le candidat « insoumis » fasse ses meilleurs scores chez les personnes qui se mobilisent dans d’autres secteurs ; pour les droits des femmes, dans le combat antiraciste et dans les luttes syndicales. Ainsi, le travail réalisé par La France insoumise sur les questions écologistes, qui n’avait pas produit de réalignement électoral important lors des élections intermédiaires, a au cours de cette campagne marqué fortement les pratiques de votes des militants écologistes les plus engagés. Lorsque l’écologie est articulée à des luttes sociales, féministes ou antiracistes, les liens à Europe Ecologie Les Verts se fragilisent. Le cœur militant des écologistes est peut-être en train de refonder son lien au champ politique.


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