Une analyse des résultats du 1er tour des élections présidentielles

jeudi 28 avril 2022.
 

Alors qu’en Février 2022, un sondage ELABE indiquait que 80% des français ne souhaitaient pas d’un second tour entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, c’est pourtant ce qui est sorti des urnes ce dimanche 10 avril 2022.

Certains auront attendu une partie de la nuit pour connaître les résultats définitifs du 1er tour de l’élection présidentielle de 2022. Jean-Luc Mélenchon réalise un score de 21,95%. C’est certes en moyenne 5 points au-dessus des derniers sondages sortis 48h avant le scrutin, mais ce n’est pas suffisant pour passer devant la candidate d’extrême droite qui réalise un score de 23,15%.

Trois blocs ont émergé des urnes : l’un autours des libéraux, l’autre d’extrême et le troisième avec l’Union Populaire.

Malgré son refus de participer aux débats, Emmanuel Macron aura donc réussi son pari en arrivant en tête avec 27,84%.

13 millions d’électeurs ne se sont pas rendus aux urnes

L’abstention progresse (73,69% contre 74,56% en 2017), avec 2 245 680 personnes de moins qui se sont déplacées qu’en 2017. Mais de manière paradoxale, les bulletins blancs et nuls sont en net recul. Ce sont 911 276 citoyen·nes de plus qui au final, n’ont pas choisi de candidats par rapport à 2017.

L’abstention a surtout touché les jeunes (42% des 18- 24 ans et 46% des 25-34 ans contre 12% des 60-69 ans et 23% des plus de 70 ans selon Ipsos) et les plus bas-revenus ( 34% chez ceux qui gagnent moins de 1250€ contre 23% chez ceux qui gagnent plus de 3000 euros).

La peur de la Covid a-t-elle eu un impact dans le baisse de la participation, où s’agit-il d’un prétexte pour justifier de ne pas aller voter ? Selon une étude de l’Ifop indique que pour 1,9 millions d’abstentionnistes, la peur d’être contaminé par la Covid en allant voter a été “déterminante ” dans leur choix de ne pas aller voter. BVA, indique un chiffre plus bas autours de 900 000 personnes.

Le vote Macron : un vote de classe

Plus le capital des électeurs était élevé, plus ces électeurs ont voté Emmanuel Macron. Le candidat LREM a siphonné les voix de la droite. Il confirme ainsi ses hauts scores de 2017 auprès des CSP+, dans les grandes villes. Le président sortant renforce sa présence dans anciennes places fortes de la droite, comme dans le Rhône ou encore dans l’ouest Parisien. Il réalise 37,5% chez les plus de 65 ans selon une étude Harris Interactive, alors que les plus âgées avaient choisi François Fillon en 2017. Cet électorat s’est particulièrement bien mobilisé. Les plus de 65 ans représentent 40% du total des électeurs qui ont voté pour Emmanuel Macron.

Le président sortant arrive également en tête dans les territoires où la part d’enseignement privé dans le secondaire est le plus important en Bretagne, Pays-de-la-Loire, Basse-Normandie, Haute-Savoie, Aveyron, Pyrénées-Atlantique ou dans le Doubs.

La candidate de droite réalise le pire score de l’histoire pour son parti à une élection présidentielle : 4,78%. Comme nous l’avons annoncé, E. Macron et l’extrême droite ont bénéficié d’un vote utile. Les plus réactionnaires se sont tournés vers les votes Zemmour et Le Pen , pendant qu’une part importante de l’électorat de droite s’est tourné vers un vote Macron.

Selon une étude d’IPSOS, 21% des électeurs de François Fillon aurait voté Pecresse, 39% Macron et 12% Zemmour et 18% Marine Le Pen.

Sur le vote Zemmour (7,1% au niveau national), comme Emmanuel Macron, on observe qu’il réalise des percées en particulier auprès de l’électorat bourgeois. Il arrive second dans les derrière Macron à Neuilly sur Seine (18,75%), à Versailles (18,45% ), à Cannes (17,31%), dans le 7ème (13,92%). dans le 8ème (15,31%) et dans le 16è arrondissement de Paris (17,48%). On peut parler ici d’un vote sexué, puisque c’est le seul candidat qui obtient un grande différence selon le sexe de l’électeur (9% chez les hommes contre 5% chez les femmes selon Ipsos).

Marine le Pen, un vote rural et précaire

Marine Le Pen connaît également une dynamique avec + 457 878 voix par rapport au scrutin de 2017. Cette dynamique se réalise surtout dans la ruralité et dans les communes isolées où elle arrive en tête.

La candidate d’extrême droite arrive ainsi en tête dans 20 036 communes (57,12% du total), en particulier dans le Nord-Est de la France, en région Centre-Val de Loire, en Haute-Normandie et le long de la Garonne et de la Méditéranée.

Selon Ipsos, elle a mobilisé en particulier les plus précaires (31% des personnes gagnant moins de 1250€/ mois), les moins diplômés (35% des non-diplomés et 27% des personnes qui ont comme dernier diplôme le baccalauréat), les ouvriers (36%) et employés (36%).

Le vote utile à gauche ?

Jean-Luc Mélenchon s’est toujours trouvé en tête des intentions de vote à gauche. Sa progression s’explique en grande partie par la mobilisation (comme nous l’avons vu plus haut) de l’électorat abstentionniste, jeune, précaire, diplômé et urbain.

Face au risque d’une extrême droite victorieuse face à Macron, certaines personnalités comme Segoléne Royale ou Christianne Taubira – qui ne partagent pourtant pas l’ensemble du programme de Jean-Luc Mélenchon – ont pris leur responsabilité et ont appelé à faire barrage à l’extrême droite dès le 1er tour. C’est aussi ce raisonnement qu’ont eu les organisateurs de la Primaire Populaire, Nouvelle Donne, certains membres d’EELV, Géneration.S, du PCF et certains électeurs qui votent traditionnellement à gauche lors des élections intermédiaires.

Le total des partis trotskistes (0,6% pour LO + 0,8% pour le NPA) est en baisse de 0,4 points, ce qui peut s’expliquer par une expression que l’on vu fleurir durant la campagne, et qui a du sens du point de vue de l’idéologie trotskiste (cf. la révolution permanente) : “Mélenchon dans les urnes, Poutou/Artaud dans la rue ”.

Les sondages ont annoncé des scores plus importants pour EELV et le PCF, qui ont été victimes d’un vote “utile ” ou “efficace ” envers la candidature de Jean-Luc Mélenchon. EELV est passé de 5-7% depuis janvier dans les sondages à 4,3%. Le PCF de 3-4% à 2,6%. Si l’on en croit les sondages d’avant premier tour, le phénomène de vote utile est donc assez marginale, au regard de la progression de Jean-Luc Mélenchon qui était crédité de 10% entre janvier et février, pour finir à presque 22%. L’élection présidentielle de 2022 confirme la faible influence pour ce type de scrutin, du PS, du PCF et d’EELV.

De plus, selon l’IFOP, 80% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon aurait voté pour lui sur la base du programme et du projet. Sur ce critère, il arrive en tête des candidats avec Éric Zemmour (80%), loin devant Emmanuel Macron (66%). Le vote Mélenchon est donc un vote conscient et d’adhésion.

Le total gauche en progression

Le total gauche (11 228 720 voix) est en nette augmentation par rapport à 2017. Il passe de 27,7% en 2017 à 31,9% en 2022, soit une progression de 1,250 millions de voix.

Alors que que la gauche trotskiste baisse, et que le centre gauche stagne - le total centre gauche (Jadot + Hidalgo) retrouve en effet le score de Benoit Hamon de 2017 en baisse 46 000 voix – cette progression se fait au sein du bloc populaire, c’est à dire l’Union Populaire et le PCF (qui avait soutenu Jean-Luc Mélenchon en 2017).

Qu’a-t-il manqué à Jean-Luc Mélenchon ?

Si certains pointent la campagne “tout sauf Mélenchon ” menée par une partie de la gauche, ce n’est pas de ce côté qu’il faut chercher des explications.

Certes, les mensonges et les calomnies qualifiant à tord Jean-Luc Mélenchon de pro-Proutine, ont pu contribuer à la marge à la dispersion des voix. Mais la candidature de Jadot avait un sens en ce qu’elle portait une ligne sociale libérale de centre-gauche, qui existe dans le pays et qui n’est pas celle portée par Jean-Luc Mélenchon. Quant à la candidature d’Hidalgo- que l’on peut qualifier d’ inutile - celle-ci n’a fait que diviser ce camp social-libérale, et l’a empêché d’atteindre la barre des 5%.

D’autres regrette la division du bloc populaire et la candidature de Fabien Roussel. Adoubé par la presse bourgeoise - qui voyait en lui, l’opportunité de taper autrement, avec une voix de gauche sur Jean-Luc Mélenchon - Fabien Roussel a mené un début de campagne plutôt agressif envers le candidat de l’Union Populaire, marquant particulièrement ses différences plutôt que ses convergences (sur le nucléaire, la viande, la chasse, la laïcité etc.) comme pour légitimer une candidature qui partageait pourtant un programme similaire sur l’essentiel avec le candidat de l’Union Populaire.

Les derniers jours de campagne, pour lutter contre « le vote utile » à son détriment, le candidat du PCF a martelé l’idée que l’Union Populaire de Jean-Luc Mélenchon ne pouvait pas atteindre le 2nd tour. Les résultat ont démontré le contraire, mais se faisant, le candidat du PCF a relayé du désespoir au sein du camp populaire. Tout ça au profit d’un score de 2,28% et une disqualification du camp populaire au profit de l’extrême droite. Selon l’IFOP, 47% des électeurs de Fabien Roussel, avait déjà voté Jean-Luc Mélenchon en 2017.

Rappelons que les divergences qui existent entre les deux formations auraient pu être solutionnées. Le candidat communiste n’a pas saisi la main tendu de Jean-Luc Mélenchon, lorsque ce dernier a proposé un accord Présidentielle/Législative et l’organisation d’un referendum sur la question qui clive les deux mouvement, le nucléaire, ceci pour permettre le rassemblement du bloc populaire.

La responsabilité du PCF est terrible. Avec les voix du PCF, l’Union Populaire aurait devancé Le Pen de 381 195 voix. Ensemble, la dynamique de terrain aurait été certainement plus grande. Jean-Luc Mélenchon serait qualifié pour le 2nd tour.

Mais au delà de cette division, on peut aussi expliquer la non qualification de Jean-Luc Mélenchon, par un recul du candidat dans les espaces ruraux et peri-urbains, en particulier dans les terres historiquement à gauche, dans le centre et le sud-ouest de la France, mais aussi dans le Pas-de-Calais et la Seine Maritime.

Le candidat de l’Union Populaire perd ainsi plus de 200 000 voix dans 55 départements. Des départements ruraux qui ne possèdent aucune ville de plus de 100 000 habitants, sauf pour pour deux d’entre eux, mais de moins de 150 000 habitants.

On constate en parallèle dans les territoires ruraux, que Marine Le Pen a progressé, mais surtout Jean Lassalle. Le candidat a multiplié par 3 son nombre de voix de 2017 (+666 086 voix) et a réalisé 3,1% des voix en ayant mené une campagne sur la ruralité et sur un programme assez proche de celui de Jean-Luc Mélenchon, comme la défense du service public, la mise en place du RIC, la lutte contre l’évasion fiscale, la revalorisation du SMIC, la refondation de la PAC, le RSA jeune ou encore la sortie de l’OTAN. C’est peut être du côté de ces territoires que Jean-Luc Mélenchon n’a pas su suffisamment mobiliser.

Enfin, Mélenchon qui a mobilisé les jeunes et les plus précaires disposait aussi d’autres resserves de voix dans ces deux groupes sociologiques qui se sont le plus abstenus.

Macron-Le Pen : le même match qu’en 2017 ?

Pas vraiment, puisque le premier a gouverné pendant 5 ans et que la seconde dispose de resserves de voix qui se sont mobilisé lors du 1er tour.

Pour la première fois de l’histoire de la Vème République, l’extrême droite est en capacité de gagner l’élection présidentielle.

Les sondages la place à 49% face au président sortant, soit dans la marge d’erreur. Le président porte la responsabilité de cette situation, puisque c’est lui qui l’a nourri par sa politique de précarisation du plus grand nombre ou par la normalisation par son gouvernement du vocabulaire et des arguments les plus réactionnaires.

L’extrême droite n’est pas dans le camp populaire

Et maintenant ? “Que faire ? ”

Le mépris de classe de Macron et la violence sociale des politiques menées durant le quinquennat a créé de la colère et du désarroi chez nombre de nos concitoyen·nes. Le rejet d’Emmanuel Macron pourrait pousser - à tort - une partie des nôtres vers un vote d’extrême droite au 2nd tour. Un sondage Opinion Way-Kéa indique que 28% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon serait prêts à voter pour la candidate d’extrême droite, contre 43% pour Emmanuel Macron.

Il nous semble important de rappeler que Marine Le Pen constitue un danger pour les classes populaires et pour la cohésion nationale du pays. Nous l’avons documenté dans plusieurs articles :

Zemmour/Le Pen : l’extrême droite véritable “Roue de secours ” des puissants

S’il n’y a rien à attendre de ce second tour, croire que Le Pen mènerait une politique moins méprisante que Macron pour les classes populaires est une vue de l’esprit.

Une présidence d’extrême droite serait une catastrophe pour les conditions de vie des plus précaires du pays. Les droits des femmes, des personnes LGBTQIA+ ou de nationalité étrangère seraient gravement impactés. Les pouvoirs de la police contre nos libertés se verront renforcés. Les piliers qui fondent notre République, la justice, l’éducation, la laïcité, la liberté de conscience, remis en cause. Quant à l’urgence environnementale... cette préoccupation n’existe pas chez Marine Le Pen.

Les législatives, 3éme tour des présidentielles

Le président sortant se retrouve affaibli par cette élection. Lui ou Marine Le Pen ne disposent pas d’une majorité sociale pour mener leur programme.

La campagne dynamique de Jean-Luc Mélenchon a soulevé un grand espoir au sein de la population. Cet espoir ne doit pas retomber. Aujourd’hui il revient aux insoumis et à celles et ceux qui ont rejoint l’Union Populaire, de faire le bilan de leur propre campagne et d’en tirer des conclusions pour continuer le combat. À commencer par les élections législatives.

Il faut 289 députés pour former une majorité. 58 députés permettraient à ce groupe de déposer une motion de censure, 185 de demander l’organisation d’un referendum.

Au vu du contexte, au vu des résultats et de l’influence des électeurs et des personnalistes qui viennent après le 1er tour élargisse les rangs du l’Union Populaire et du Pole populaire, la mise en place d’une cohabitation parait possible, si l’électorat de Jean-Luc Mélenchon reste mobilisé.

Anthony Brondel


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