Pap Ndiaye fait déjà face au cyclone raciste

vendredi 27 mai 2022.
 

La nomination de Pap Ndiaye au ministère de l’éducation nationale a fait remonter à la surface le racisme structurel de la société française et de sa classe politique, une vague qui charrie avec elle la condition noire et la question coloniale. La réaction de l’exécutif, Emmanuel Macron en tête, donnera une première indication sur la tonalité du quinquennat.

Il n’aura fallu que quelques minutes aux haïsseurs de l’autre pour déverser leur bile. Sitôt Pap Ndiaye nommé au ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse, l’extrême droite française a rivalisé d’anathèmes pour le qualifier et le disqualifier.

Marine Le Pen, la cheffe de file du Rassemblement national (RN), l’a dépeint en « indigéniste assumé » avant que, quelques minutes plus tard, son bras droit Jordan Bardella n’évoque un « militant racialiste et anti-flics », artisan futur de la « dislocation » de la nation. Le porte-parole du parti d’extrême droite, Julien Odoul, a préféré parler de « militant immigrationniste ». Éric Zemmour (Reconquête), de son côté, a prédit que le nouveau ministre allait « déconstruire l’Histoire de France ».

Dans le sillage des deux partis d’extrême droite, une partie de la droite d’opposition lui a emboîté le pas, dans un pas de deux aussi dangereux dans son esprit qu’infructueux dans les urnes. Le député Les Républicains (LR) Éric Ciotti a résumé le positionnement prétendu de Pap Ndiaye dans un tweet tout en nuance : « Adepte de l’islamogauchisme et militant anti-flics ! Terrifiant ! » Son collègue Julien Aubert a préféré désigner l’historien comme le « cheval de Troie du gauchisme US », porteur du « wokisme » et du « racialisme ».

Comme avec Nicolas Hulot en 2017, puis Éric Dupond-Moretti en 2020, Emmanuel Macron est parvenu à accaparer l’attention politico-médiatique en attirant au gouvernement une personnalité reconnue. À la différence de ses deux prédécesseurs, toutefois, Pap Ndiaye est noir.

Dans une classe politique si peu habituée à voir émerger au premier plan des figures issues de l’immigration post-coloniale, la nomination de l’historien est venue rappeler, avec la violence d’une gifle matinale, cette réalité que le temps et l’aveuglement nous ont parfois fait oublier. Le racisme structurel, profondément ancré, d’une partie de la société française et de sa classe politique.

La gifle est d’autant plus violente qu’elle offre une mise en abyme de ce que Pap Ndiaye lui-même a écrit, pensé, démontré ces vingt dernières années. Le directeur du musée de l’Histoire de l’immigration est un des plus grands spécialistes en France de la condition noire, qu’il n’a cessé d’éclairer avec talent, de la comparaison avec les États-Unis d’une part, de la lumière de l’histoire post-coloniale d’autre part, dans le sillage d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon.

Le caractère éminemment caricatural de l’offensive dont il est victime ferait presque sourire si elle n’était pas si dangereuse. Celles et ceux qui brossent le portrait d’un historien extrémiste et dangereux n’ont sûrement pas lu ni entendu Pap Ndiaye, intellectuel à la voix calme et aux thèses pondérées, dont chacun des mots est mesuré au gramme près.

En 2014, invité de Mediapart, il analysait sur notre plateau les attaques racistes dont était l’objet Christiane Taubira, alors ministre de la justice de François Hollande. Lui, l’expert du sujet, avait reconnu sa surprise face à la vigueur de la vague que subissait l’élue guyanaise.

« Je ne m’attendais pas à cela, répondait-il à notre collègue Joseph Confavreux. Je pensais que le néo-racisme, ou le racisme culturel, par lequel on met en avant les cultures plutôt que les races, l’avait en quelque sorte emporté définitivement dans l’espace public, reléguant définitivement les vieilles formes de racisme pur et dur dans l’histoire de notre pays. »

Il avait exposé avec clarté la singularité du racisme anti-Noirs en France, « un racisme qu’on qualifie généralement d’infériorisation, de mépris », par rapport au racisme anti-Arabes ou à l’antisémitisme, dont l’expression historique s’était avérée différente.

À l’époque, celui qui était alors professeur à Sciences Po ne se doutait sûrement pas qu’il serait, après Christiane Taubira, le prochain ministre noir de la République française à occuper un portefeuille de premier plan.

Sa nomination n’a pas vingt-quatre heures que, déjà, il est intéressant de noter le sous-texte des attaques qui le visent. La droite et l’extrême droite lui reprochent ainsi d’être une menace pour la France, sa « civilisation », ses « valeurs », son « histoire ». Un « cheval de Troie », pour reprendre les termes du député Julien Aubert. Comme si, au fond, Pap Ndiaye n’était pas vraiment des nôtres ; comme si sa condition noire venait le placer dans le rang des autres.

Avant lui, Christiane Taubira avait subi le même type d’attaques formulées de manière plus ou moins directe. Chacun des engagements de l’élue guyanaise – du combat pour la mémoire de l’esclavage à la loi autorisant le « mariage pour tous » en passant par sa vision de la justice – avait été dépeint comme un engagement « anti-France », une rhétorique héritée du tournant des XIXe et XXe siècles, agitant au sujet des minorités le spectre nauséabond du « parti de l’étranger ».

Après le coup politique, l’enjeu d’une réponse forte

Quelques années plus tôt, pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, c’est Rama Yade, alors secrétaire d’État aux affaires étrangères et aux droits de l’homme, qui avait été la cible d’attaques du même type. « Je sais ce que sont les micro-agressions qui humilient et déshumanisent », disait-elle en novembre 2021 à L’Express. Depuis, ajoutait-elle, « je suis bien obligée de constater que […] les Afro-descendants ne courent pas les gouvernements. À l’image d’une élite politique qui s’est incroyablement durcie ».

Dans le même entretien, Rama Yade résume sa position dans le gouvernement de François Fillon : « J’étais une anomalie, pas du tout un prototype. » En découvrant le nom de Pap Ndiaye dans la liste gouvernementale annoncée par Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, vendredi 20 mai, c’est aussi le mot « anomalie » que nous avons utilisé.

« Que diable allait-il faire dans cette galère ? », se demandait sur Twitter la députée insoumise Clémentine Autain. Il y avait bien quelque chose d’incongru à voir Pap Ndiaye debout, lors de sa passation de pouvoirs, aux côtés de Jean-Michel Blanquer, le ministre auquel il succède. Que va donc faire Pap Ndiaye à la place de celui dont le seul apport au débat politique français restera ses offensives contre « l’islamo-gauchisme », le voile et le « wokisme » ?

Que vient faire Pap Ndiaye dans un gouvernement dont le ministre de l’intérieur « s’étouffe » quand il entend le terme de « violences policières », derrière un président de la République qui juge « le monde universitaire coupable » d’avoir « encouragé l’ethnicisation de la question sociale » ? De quelles marges de manœuvre disposera l’universitaire dans un camp politique qui a relégué au rang de fièvres différentialistes tout ce qu’il porte depuis deux décennies ?

La réponse à cette question fait office de première épreuve du quinquennat. Il appartient désormais à l’exécutif de faire bloc et de dénoncer sans barguigner le racisme déjà à l’œuvre. Pour ce faire, il ne suffira pas de formules grandiloquentes ou englobantes, comme celle d’Élisabeth Borne rappelant son attachement aux valeurs de la République, vendredi soir au journal de TF1.

Il faudra abandonner, résolument, les petits calculs électoralistes, les appels du pied incendiaires à l’électorat d’extrême droite et les travers stigmatisants du premier mandat d’Emmanuel Macron. Dans le cas contraire, comme Christiane Taubira hier, Pap Ndiaye subira demain, puis Rima Abdul-Malak, la ministre de la culture, ou Justine Bénin, la secrétaire d’État à la mer, après-demain, les tréfonds haineux de la société française.

Ilyes Ramdani


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