Interview de Jean-Luc Mélenchon dans L’Express

samedi 28 mai 2022.
 

Lors d’un entretien musclé de plus de deux heures, l’Insoumis a parlé de République, d’Emmanuel Macron, du peuple, de Thatcher, d’Orwell, de la police et de la presse. Voici deux extraits de la première partie.

Convaincu d’avoir imposé avec succès la notion de "troisième tour", il se félicite aussi de "récolter des victoires sémantiques", et cite notamment le terme de "planification écologique" repris par Emmanuel Macron. S’il ne conteste pas la légitimité du président réélu, il complète : "Il sera toujours président, sauf que le plus récent élu ce sera moi. [...] C’est mon programme qui s’appliquera." Un entretien détonnant.

L’Express : Vous appelez les Français à vous "élire" Premier ministre, un poste ancré dans la plus pure tradition de la Ve et de ce que vous appelez "la monarchie présidentielle". Finalement, vous êtes un conservateur patenté !

Jean-Luc Mélenchon : Quoi ! C’est exactement le contraire. Mon slogan renverse la table du présidentialisme. Dans tous les pays d’Europe, il y a un Premier ministre sur le nom duquel se fait la campagne électorale. Mais je ne crois pas qu’il existe un seul roi avec autant de pouvoir que notre monarque présidentiel. Alors, qu’ai-je fait ? J’ai introduit une dose massive de VIe République dans la Ve en lançant "élisez-moi Premier ministre". L’expression a nécessité des explications puisqu’on n’élit pas le Premier ministre ; on élit une majorité qui désigne un Premier ministre. Cela a effacé en partie l’élan de Macron après son second tour gagnant. Et surtout cela a valorisé comme jamais l’idée d’un "troisième tour".

Le président Macron peut bien s’agiter et prétendre que le troisième tour n’existe pas. Désormais dans les faits, il existe, tout le monde l’a compris. Et dans notre électorat cela révèle un état d’esprit différent de la précédente élection présidentielle. Après le scrutin de 2017, les esprits étaient plutôt abattus. Ça n’a pas été le cas cette fois-ci. Les gens sont survoltés. Leur frustration les met en mouvement. Tous se sentaient enfermés dans la même impasse politique : voter par défaut pour quelqu’un dont on refuse la politique. Davantage d’électeurs ont voté Macron non pour exprimer leur adhésion à son projet et à sa personne mais pour empêcher madame Le Pen d’être élue. Pour la deuxième fois de suite, on a élu le même personnage, après le même faux débat.

Dès lors, mon objectif pouvait être compris. Cela aurait pu ne pas fonctionner, hein ! Dans ce cas, il y aurait eu foule pour me le faire savoir. Oui, ça aurait pu faire un flop. C’est l’inverse qui s’est produit ! Tout le monde a repris l’expression "troisième tour". L’énergie venait du contexte. Quant à "élisez-moi Premier ministre", grâce à la petite controverse que ça a déclenchée, on a enfoncé le clou.

Balayer le programme de celui qui a été élu seulement deux petits mois plus tôt, c’est un peu fort de café, non ?

Dans ce cas, pourquoi organiser une élection ? Si nous étions dans un régime parlementaire, vous pourriez avoir une dissolution deux mois après l’élection de l’Assemblée nationale. Cela s’est déjà vu en Italie ou en Espagne, personne n’est mort : on revote. Là, c’est pareil. On revote puisque le vote présidentiel ne voulait rien dire. Ça n’enlève rien à sa légitimité, il est élu, je ne dis pas autre chose.

Mais oui, c’est une cohabitation d’un genre nouveau. Dans l’hypothèse où nous aurions la majorité des députés, nous entrerions dans un régime parlementaire pour appliquer le programme voulu par le vote des électeurs.

Il faut faire preuve de créativité et s’adapter aux situations. Tout est nouveau dans le contexte. Et dans deux mois, ce sera encore plus nouveau et pas seulement parce que nous aurons peut-être gagné les législatives. Mais parce que les sept plaies d’Egypte arrivent en même temps. Une sécheresse carabinée qui va mettre à nu le dérèglement du cycle de l’eau et perturber une longue chaîne d’activités : l’alimentation, l’hôpital, l’énergie, etc. Ensuite, une crise financière s’annonce : pour l’instant, c’est l’écroulement des bitcoins. Enfin la guerre en Ukraine va dégénérer en désastre économique en Europe. Si tout cela se combine, il faudra évidemment prendre des mesures imprévues.


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