Sébastien Delogu, des quartiers nord à l’Assemblée nationale

lundi 30 mai 2022.
 

Sébastien Delogu est candidat dans la 7ème circonscription des Bouches-du-Rhône. Portrait d’un personnage et d’un parcours unique dans le paysage politique français. Dixième épisode de notre tour de France des campagnes législatives insoumises. Portrait.

Une époque formidable

Le 18 juin 1987, Sébastien Delogu ouvre les yeux. À Marseille déjà, dans le 8ème arrondissement. Un père chauffeur de taxi, une mère vendeuse Kiabi. Le petit dernier de la fratrie. Parents séparés à 3 ans, le petit Seb emménage dans la cité Consolat, dans le Nord de Marseille. « J’ai posé le pied, j’ai compris tout de suite. Black, rebeus, arméniens, gitans, italiens, algériens, marocains, comoriens… Tout le monde mélangé ».

De ses 3 à ses 10 ans, la vie est douce, une époque formidable. Vue sur le Vieux-Port, des bateaux s’évadant à l’horizon, à l’infini. La première gifle arrive à 10 ans, reçue par un grand du quartier. « Je ne connaissais pas le respect ». À l’école primaire Saint-Louis le Rove, il se « régale ». Avec un Comorien comme meilleur compère, ils font les 400 coups.

Vient le collège. « J’ai compris la vie ». Envie d’acheter des cadeaux à sa mère ? Pas de sous. À 13 ans et demi, premier petit boulot. Sébastien range les journaux à la presse de Saint-Louis, de quoi payer du rouge à lèvre à sa mère et acheter des pétards. À cette époque de sa vie, un adulte le marque : Farid, pion dans son collège. Le relais entre la maison et l’institution scolaire, « il te calmait sur les chaussures trouées », son canalisateur.

« Un jour dont je me rappellerai toujours : Farid m’aperçoit depuis le bus en train de trier les journaux, il voit un gamin de son école en train de travailler ». Regard noir. Farid est aujourd’hui l’un de ses plus gros soutiens politique, fier de ce que Sébastien Delogu est devenu. Au collège, Sébastien s’habille pour les copines, et pour que les collègues ne se moquent pas trop. Échec au brevet des collèges. Première cigarette, trop d’amusement, aime trop plaire au groupe.

Au charbon de jour et de nuit

Direction lycée pro, action marchande. « La branche des échoués des études ». Un « engouement pour le paraître, et non pour l’école ». Les notes sont moyennes, les profs sont moyens. À part en histoire et en maths, où ça carbure. En français, « la prof n’est pas terrible ». Sébastien Delogu passe le brevet en candidat libre. Il le réussit. Direction BEP, premier scooter.

Il commence à travailler, à peine 18 ans. Vendeur de costume chez Brice le jour, agent de sécurité sur le port, la nuit. Sébastien charbonne comme un fou. C’est maintenant qu’il lui faut des thunes, à quoi sert de faire des études. À 21 ans, Sébastien Delogu va devenir père de famille. La mère, il est avec depuis ses 13 ans. Il décide alors de s’inscrire à l’université. Avec la grossesse, il décide d’étudier le jour, et de travailler la nuit.

Son choix ? Chauffeur de taxi. Des horaires flexibles, comme son père. Taxi la nuit dans les quartiers nord, tu en vois des choses. « J’apprends à connaître les dealers. Les gens de la nuit n’ont rien à voir avec ceux qui vivent le jour. Ils ont une vision de la vie assez dure. Moi, j’étais encore dans l’euphorie de la vie familiale ». Toujours bien sapé, premier costume à 16 ans, les gens pensent que Sébastien va à des mariages. Dans le taxi, les passagers se confient. « Des choses qu’ils ne disent même pas à leurs femmes. Des choses dures ». Beaucoup font le choix de l’illégalité plutôt que de « la vraie vie », matraqués par les factures. Seb 2

La vie passe. Sa mère est à la CGT, vice-présidente du Conseil des prud’hommes d’Aix-en-Provence. Ce que le patronat fait aux salariés, les injustices, Sébastien les entend le soir depuis tout gamin. « Elle nous a inculqué qu’il faut défendre les gens. Une mère au service des gens ». Avec un père taxi, qui en voit passer du monde. « Deux thés s’il te plaît frérot ». Sébastien Delogu poursuit son Histoire, avec un certain talent de compteur.

La rencontre avec Danielle S

Tout commence en 2016. Sa première lutte, contre l’ubérisation : Sébastien s’engage auprès des taxis marseillais pour tenter de ne pas perdre la profession. « Des micros combats où on ne réussissait rien ». Et là, deuxième gifle. Réunion des taxis de France, Sébastien prend la parole de manière « extrêmement agressive » contre Laurent Grandguillaume, alors député médiateur dans le cadre du conflit entre taxis, VTC et plateformes numériques. Sébastien lâche ses coups. « Une blonde hoche la tête avec un grand sourire. À la fin de la réunion, elle me fonce dessus ». Au bout de 20 minutes de discussion, Danielle Simonnet lui parle de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de gauche (PG).

Le voilà « propulsé dans un monde totalement inconnu : le monde politique ». Un an après la rencontre avec Danielle Simonnet, premier meeting, à Marseille. Invité sur scène, juste derrière Jean-Luc Mélenchon, à la place des invités d’honneurs. « L’énormité du truc. C’est dingue ». Sébastien Delogu n’en croit pas ses yeux, il est sur scène, face aux 70 000 personnes rassemblées sur le vieux port. Là, tout bascule.

Le virus

Il va regarder le meeting de Jean-Luc Mélenchon de 2012, sur le Prado. « Je ne connaissais rien, je ne m’imaginais pas que c’était à cause de l’État ». Le virus s’empare entièrement de son esprit et de son cœur. « Ma vie toute entière se tourne pour écouter ce tribun. Je prends conscience d’où viennent nos problèmes ». Meeting en hologramme à Dijon quelques jours plus tard, meeting de la Prairie des Filtres à Toulouse… après son premier meeting, Sébastien enchaîne. En 5 ans, il ne ratera qu’un seul meeting de Jean-Luc Mélenchon, à Lille, aux européennes de 2019.

« Dans le quartier tout le monde m’appelle Mélenchon. J’adorais comment il était, nous faire passer des mots, la simplicité de ses mots, j’arrivais à expliquer aux gens, car je l’écoutais parler, il arrivait à mettre la lumière sur la souffrance que j’avais à voir les gens souffrir ». Arrive l’élection, troisième gifle. « Première fois que je pleure pour une défaite politique. Je deviens militant malgré moi ».

La rencontre

Deux évènements arrivent alors en simultané. Une séparation amoureuse, une rencontre. Le jeudi 11 mai 2017. Jean-Luc Mélenchon vient alors annoncer qu’il se présente aux législatives à Marseille. Celui qui vient de porter la gauche de rupture à près de 20% des suffrages traverse la route de la Mairie au port. Sébastien Delogu vient à sa rencontre. Un premier échange qui reste gravé.

Jean-Luc Mélenchon : « je te connais toi non ? ». Sébastien Delogu « je connais Danielle Simonnet, je suis taxi ». Réponse de Jean-Luc Mélenchon : « Danette ? » (surnom donné par Jean-Luc Mélenchon à Danielle Simonnet, ndlr). « Mets toi avec nous ». Et Sébastien Delogu rejoint la garde rapprochée du leader insoumis, avec Elisa Mammar, alors directrice de cabinet, et Antoine Léaument, chargé de sa communication.

Un pur hasard. « Personne ne me connait ni d’Adam ni d’Ève ». Jean-Luc Mélenchon tient alors une conférence de presse pour annoncer sa candidature à Marseille, Sébastien fait la sécurité. Jean-Luc Mélenchon lui dit de le rejoindre, Sébastien le voit repartir dans une « voiture dégueulasse », alors qu’il veut sécuriser le véhicule, Jean-Luc Mélenchon l’invite à monter à l’intérieur avec sa directrice de cabinet. De ses propres mots, Sébastien Delogu fait alors le « marseillais » et dit à Jean-Luc Mélenchon « je vous sécurise, je vous amène partout, ici c’est chez moi ».

Sébastien Delogu, la fièvre de toutes les luttes marseillaises

Depuis lors, Sébastien Delogu amène Jean-Luc Mélenchon partout, mange avec lui le soir. Depuis lors, le mépris de classe des journalistes se déverse sur lui : « le chauffeur ». Mais Sébastien Delogu n’a pas honte : « je suis un militant politique, je suis fier d’avoir fait ça, c’est un choix politique de sécuriser ce candidat qui nous défend ». Jean-Luc Mélenchon est élu député, il part à Paris pour son entrée à l’Assemblée nationale.

À Marseille, Sébastien Delogu prend part à toutes les luttes. « Avec un cadre : Lise Maillard » (l’actuelle directrice de cabinet de Jean-Luc Mélenchon, ndlr). Maraudes, foyers d’accueil, caravanes d’égalité d’accès aux droits… « Tu peux m’en remettre deux stp frérot ? ». Le téléphone ne fait que sonner, il ne décroche pas. « On devenait fou : les gens ne connaissaient pas du tout leur droit. Les gens avaient besoin d’avoir un relai ».

La rénovation de l’École, les caravanes santé et l’« opération bateau »

Sébastien Delogu arrête de travailler, tout pour la lutte. Sa fille écrit sur les murs. « A l’École, on écrit sur les murs ». Le lendemain, il va à l’école. « On vous voit tous les jours avec Mélenchon à la télé, faites quelque chose ». Avec Karim Khelfaoui, Lise et Élie Maillard, ils commencent à organiser la rénovation de l’école, « cette institution de la nation, en ruine ». Une opération politique « de A à Z », « magnifique ». Les parents du quartier, le fils de l’ancien directeur, des anciens élèves passés par là 30 ans plus tôt, tout le monde se retroussent les manches. Toute l’école est repeinte, des arbres et des fleurs sont plantés partout. Tous les médias du pays parlent de l’opération (ici, là ou là), en pleine affaire Benalla.

Sébastien Delogu enchaîne les caravanes santé avec Karim Khelfaoui, le médecin révolté, pour alerter sur les problématiques liées à la pollution, aux cancers, à la contraception, pour permettre l’accès aux soins d’habitants avec différents problèmes de santé… On ne l’arrête plus. Sébastien Delogu enchaîne sur une opération pour alerter sur la pollution à Marseille. On est au moment des européennes de 2019. Manon Aubry est la tête de liste LFI. Elle vient d’OXFAM, elle repeint les vitrines d’Apple qui ne paye pas d’impôts, ça lui plaît. Sébastien Delogu se retrouve sur la liste aux européennes et aide à monter l’« opération bateau ».

« 100 000 morts de la pollution chaque année. Contre la pollution des bateaux de croisière se déversant sur les quartiers Nord, face à l’immensité de l’État, on a monté une belle opération ». Une opération symbolisée par la photo ci-dessus, à laquelle Sébastien Delogu tient beaucoup. Le petit zodiac des militants insoumis, se battant pour alerter sur la pollution, coursé par le gros bateau de la gendarmerie nationale. « N’oublie pas ce bateau se faisant courser… ça représente nos vies ça ! Cette opération a beaucoup marquée ma vie ».

La rue d’Aubagne, l’engagement pour le logement

Puis nouvelle séparation. Toute son attention est concentrée sur la politique, tout pour la lutte. Alors forcément, moins de temps pour sa femme et ses enfants. Dur de comprendre l’engagement et les sacrifices quand on est extérieur à la lutte. Puis nouvelle gifle. 5 novembre 2018. L’effondrement de la rue d’Aubagne, 8 morts. « Je me lève, je pleure dans ma chambre. Je m’habille, je m’en vais, je vais pour soulever des pierres pour aider, je suis allé voir les habitants ».

Sébastien Delogu est trésorier départemental de la Confédération nationale du logement (CNL) depuis 2012. Cette année là, une personne a beaucoup compté dans son engagement : Nathalie Leconte, attachée parlementaire du parti communiste français (PCF), qu’il rencontre dans son quartier. Elle lui donne des textes de lois à lire. Il lit l’histoire du PCF qui aidait les habitants des quartiers populaires en porte à porte. La militante communiste le poussera à s’engager dans la bataille pour le logement.

Tous les jeudis, c’est les expulsions locatives. Mais ça n’arrive pas qu’aux autres. Sébastien occupe l’appartement familial de sa mère. Et il se retrouve un jeudi après-midi effondré devant le juge : il doit partir le jour même pour la rue, avec ses deux enfants. Une cicatrice indélébile. Après le drame de la rue d’Aubagne 6 ans plus tard, il lance avec Justin de Gonzague, documentariste de Reporter Sans Frontière (RESF), une série de vidéos #BalanceTonTaudis. Il va chez les gens, démasque les propriétaires qui profitent de la misère, montre les salles de bains défoncées par la moisissure, les sanitaires inexistants, les immeubles insalubres.

La politique marseillaise

Avec Mohamed Bensaada, qui se présente dans la circonscription d’à côté, dont le portrait arrive également sur l’insoumission, et avec l’omniprésente Lise Maillard, Sébastien Delogu est contre le printemps marseillais. Vient le temps des divisions politiques, avec des camarades avec lesquels il a repeint l’École, mené l’opération bateau, participé aux caravanes santé, fait des maraudes. Le printemps marseillais gagne la mairie, ils perdent.

Benoit Payan devient maire. La longue avenue des Aygalades (dans le 15 arrondissement de Marseille, ndlr), qui serpente dans les quartiers Nord, est renommée avenue Ibrahim-Ali, du nom d’un jeune tué par un colleur d’affiches du Front national en 1995. Puis Benoit Payan ouvre le port de Marseille à l’Aquarius, le bateau de SOS Méditerranée, l’ONG qui sauve des migrants en Méditerranée. Ces premières décisions plaisent à Sébastien Delogu, il est « apaisé (…). C’est un homme de gauche ».

Les sacrifices

Puis vient la présidentielle 2022. Sébastien Delogu met entièrement sa vie de côté. Il ne voit plus Sandro, son fils de 10 ans, ni Maria, sa fille de 9 ans. « J’espère qu’un jour ils comprendront que le combat, je l’ai mené pour eux ». Les larmes sont retenues des deux côtés de la table. « Acheter des pâtes, c’est politique. Mettre du gasoil, c’est politique. Mon combat il est aussi pour eux, pour mes enfants, mes proches, ma famille ».

« Il y a des jaloux, mais il y a beaucoup de « merci de nous battre pour nous ». Des mecs de quartiers qui gagnent 1200 euros qui te sautent dans les bras en pleurant en te disant merci. Merci de tes sacrifices pour nous. Tu nous aides à garder espoir, ça fait du bien ». Puis vient une nouvelle gifle. Le 10 avril 2022, 19h15. Une amie journaliste l’appelle. On a perdu.

Sébastien Delogu est effondré, mais Jean-Luc Mélenchon est concentré. « Il réfléchit à comment contrer la défaite. Il a une force. Il te fait toujours comprendre que tu peux être fort malgré tes faiblesses ». Au cirque d’hiver à Paris, « vient le temps des responsabilités ». L’état de troisième tour, pour empêcher un nouveau mandat Macron, pour propulser Mélenchon à Matignon, est déclaré. Et Sébastien Delogu va en être.

« J’espère qu’un jour ils comprendront que le combat je l’ai mené pour eux »

Les habitants qu’il croise lui remontent le moral « Sébastien c’est pas perdu, on y croit et on avance ». Cette incroyable force, se relever après chaque défaite pour repartir dans la lutte, transformer les défaites en victoire, Jean-Luc Mélenchon a réussi à la transmettre. Tout le monde est allé voter dans les quartiers nord, une sacrée prouesse étant donné le niveau de dégoût et de trahison du PS créé par le quinquennat Hollande.

Sébastien Delogu va être investi dans la 7ème circonscription des Bouches du Rhône. Mais avant ça, il tient à me raconter un épisode de sa vie. « En 2020, j’ai atterri dans la rue, je dormais dans ma voiture. Je ne pensais qu’à militer. Je me suis séparé. J’étais complètement déboussolé. Je lavais mon linge à Intermarché. Douche au savon de Marseille, gant, bouteille d’eau. Une étape qui m’a beaucoup forgé ».

« Je n’ai jamais été payé par Jean-Luc Mélenchon. Que par la ferveur. Comme un marseillais pour l’OM ». Celui qui, à une époque, faisait les déplacements avec les winners (supportes de l’OM, ndlr) et qui en garde d’incroyables souvenirs, n’a même plus le temps pour PES et FIFA. La lutte occupe toute la place désormais. Des épisodes ne cessent de remonter à sa mémoire. En 2018, une mère est fauchée devant une école, faute de passage piéton. Avec Lise Maillard, encore et toujours, ils bloquent la sortie d’autoroute avec des mères comoriennes. Quatre jours plus tard, un passage piéton, un feu rouge et des amortisseurs sont déposés.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message