Faire tomber le mur de la dette

jeudi 16 juin 2022.
 

Une brochure écrite par Jean-Luc Mélenchon

Contributions de Jean-Luc Mélenchon sur la dette en France et en Europe.

Coucou le revoilà ! Un temps oublié l’épouvantail de la dette est de retour. La cause est qu’il s’agit de faire peur une fois de plus au moment où un programme ambitieux de relance écologique et sociale est sur la table. Défendu dans les élections législatives par la Nouvelle Union Populaire écologique et sociale, il figure en tête des intentions de vote. L’argument massu revient. « C’est infinançable ! », « Cela va faire exploser la dette ! ». En résumé on prédit la banqueroute généralisée si une autre logique économique remplace la doctrine néolibérale à la tête du gouvernement.

Les controverses sur la dette de l’État ne datent pas d’hier. Depuis les années 1990, la dramatisation autour de la dette publique est au cœur de la rhétorique des libéraux. Il est frappant de constater que les pires pourvoyeurs de dette publique ont pourtant été les gouvernements libéraux qui se sont succédés. Mais le thème du remboursement de la dette est le prétexte parfait pour démanteler l’État, ses services publics, ses protections sociales qui sont la raison d’être des gouvernements libéraux. Ainsi, on se souvient du calvaire imposé au peuple grec à partir de 2010 par les institutions européennes et le FMI. Une véritable thérapie de choc avait été appliquée avec suppressions de postes de fonctionnaires dans les services essentiels, privatisations d’un nombre inédit de biens publics, coupes dans les pensions de retraites et les prestations sociales. Cet appauvrissement généralisé subi par les grecs le fut sur l’autel de la dette même si elle n’a pas diminué. Depuis 2010, elle n’a fait qu’augmenter et l’Union européenne n’a eu de cesse de demander davantage de sacrifices. Fin Avril 2022 la bonne société et tout ce que les bienpensant comptent de journaux se réjouissaient de voir la Grèce finir rembourser ses dettes au FMI. Il s’agissait de la dette contractées pour payer la dette publique antérieure devenue insoutenable a 110 % du PIB en 2010. Magie des mots, magie de la propagande. Car la dette de la Grèce entre temps a atteint 190 % du PIB de ce pays entièrement saccagé.

En France aussi, après la crise de 2008, les gouvernements ont usé jusqu’à la corde le discours de la dette. Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron l’ont utilisé pour justifier de repousser l’âge de la retraite, fermer des lits à l’hôpital, des classes dans les écoles ou encore couper dans les aides au logement. L’invocation de la dette est censée clore toute discussion. Mais ce charabia est désormais bien démonétisé. La conversion forcée de nombreux gouvernements, dont celui d’Emmanuel Macron, à la dépense publique sans limite au début de la pandémie de coronavirus a changé la donne. L’État s’est substitué au secteur privé dans des proportions jamais vues dans notre pays. On l’a vu notamment avec le prise en charge du chômage partiel, en réalité une nationalisation temporaire de la main d’œuvre. Sans cette intervention, tout le secteur privé se serait effondré, plus encore que ce ne fut le cas. Pendant quelques mois, il était impossible aux libéraux de demander des économies budgétaires à la puissance publique pour réduire la dette. La dépense publique a maintenu en vie le capitalisme. Une fenêtre historique s’est alors ouverte pour traiter autrement la question. J’ai alors proposé, avec d’autres, l’annulation de la dette publique dont les titres sont détenus par la banque centrale européenne. Consulter la brochure – Télécharger au format PDF

Pourquoi l’annulation ? Non pas que la dette publique soit un problème en soi. Elle pose même beaucoup moins de problèmes que la dette privée. L’État n’est pas menacé de disparition, contrairement à une entreprise ou un particulier. Ce qui explique que sa dette soit un placement si sûr et prisé. De plus, en contrepartie de la dette publique, on trouve des investissements dans l’économie réelle : des ponts, des routes, des écoles, des logements, etc. Les institutions publiques, État et collectivités, sont d’ailleurs les premiers investisseurs de l’économie française. Ce n’est pas toujours le cas avec la dette privée. Celle engendrée par l’argent déversé par la banque centrale européenne a essentiellement nourri les bulles financière et immobilière. Cette dette là est bien plus dangereuse pour l’économie. C’est elle qui pousse les multinationales au désinvestissement productif. D’elle vient la seule vraie menace d’un krach.

Mais la manière dont les États se financent les met à la merci d’un chantage du capitalisme financier. Le problème, plutôt que la dette publique elle-même, c’est bien ce chantage organisé autour d’elle. L’État refinance sa dette auprès des marchés financiers. Il est donc à la merci d’une augmentation des taux d’intérêts. Nous sommes aujourd’hui enfermés dans un carcan, celui des traités européens a propos de la gestion de l’emprunt d’État. Ils nous obligent à nous endetter auprès des marchés plutôt que notre propre banque centrale. Quand cette exception tant historique que géographique, sortie de l’esprit de néo- libéraux fanatiques, est devenue intenable pour les tenants même du statu quo dans l’Union européenne, la banque centrale a inventé un moyen de le contourner. Entre 2015 et 2022, elle a racheté sur les marchés, de la dette publique des États, pour la mettre dans ses coffres. Elle a ainsi acquis plus de 3 000 milliards d’euros de dettes des États européens. 30 % de la dette publique française est ainsi détenue par la banque centrale, et plus sur les marchés financiers. C’est ainsi, en contournant largement les traités, qu’elle a pu éviter à court terme une crise financière généralisée, la banqueroute dans plusieurs des plus grands États européens et surtout plusieurs des plus grandes banques européennes notamment allemandes.

Problème : dans les mois qui viennent, plusieurs de ces titres de dette arrivent à échéance. Et la BCE ayant mis fin à sa politique de rachat nets de dettes publiques, nous allons devoir refinancer au moins une partie de cette dette auprès des marchés. Jusqu’à présent, cela ne posait pas de problème particulier étant donné le niveau des taux d’intétrêt. Mais l’inflation nous entraine dans une spirale de hausse des taux. La BCE, contre tout bon sens, a annoncé pour cet été un hausse de son taux directeur. Donc l’endettement va dévenir plus cher pour les États au moment même où la banque centrale arrête son programme pour garantir leur financement. Nous ne pouvons pas nous payer un nouveau cycle austéritaire. À très court terme, c’est la demande, la consommation populaire qui doit être soutenue pour éviter de transformer l’inflation en spirale récessionniste. À moyen et long terme, l’entrée dans l’ère de l’incertitude écologique nous impose de gigantesque investissements dans les services publiques, dans nos infrastructures et dans notre appareil de production.

Il faut donc profiter de l’occasion historique qui résulte des sauvetages pratiqués par la BCE dans la décennie qui vient de s’écouler. Cela nous donne une occasion historique. Notre banquier central peut acter du fait que la dette détenue dans ses caisses ne sera jamais payée, que les États n’auront plus besoin d’aller sur les marchés financiers pour la refinancer. Il peut utiliser sa capacité à créer de la monnaie pour financer les États. Bien sûr, cette opération resterait dans le cadre actuel des traités. Elle ne changerait pas d’ailleurs la nécessité de sortir de ces traités pour établir d’autres règles. Mais elle constituerait un tournant historique. Pour la première fois depuis 40 ans, la banque centrale serait en Europe du côté des peuples et de leurs États et non des puissances financières. Nous entrons dans une décennie décisive. Le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité vont s’accélérer et leurs conséquences aussi. La monnaie et le crédit doivent redevenir des outils au service de nos objectifs d’intérêt général. Voilà pourquoi le débat sur la dette est si important. Il parle de notre avenir, de ce que nous allons en faire et de qui va en décider.


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