La canicule, « un avant-goût de notre futur climatique »

mardi 28 juin 2022.
 

D’ici 2050, les canicules risquent d’être multipliées par deux. Conséquences : récoltes desséchées, feux de forêt en hausse... « Le déni de gravité n’est plus une option », dit un climatologue.

Une canicule [1] exceptionnelle pour la saison va déferler sur une grande partie du pays cette semaine. La France s’apprête ainsi à vivre l’une des vagues de chaleur les plus précoces jamais observées depuis le début des relevés météo. Couplé à la sécheresse, cet épisode fait craindre le pire pour les écosystèmes alors que l’été n’a pas encore débuté. Les températures devraient atteindre d’ici mercredi largement les 32 à 35 °C sur une grande moitié sud du pays et auront du mal à descendre en dessous de 16 à 20 °C la nuit, selon les dernières prévisions météo de ce lundi 13 juin.

Il est très probable que de nombreux records mensuels pour le mois de juin soient battus. Le mercure pourrait frôler les 40 °C localement, notamment dans le Sud-Ouest, à proximité de Toulouse. À Bordeaux, ce mardi après-midi, le ressenti atteindra aussi 41 °C pour une température sous abri de 37 °C. Le pic d’intensité est attendu entre jeudi et samedi. Les trois quarts du pays connaîtront alors des températures supérieures à 35 °C. Les nuits s’annoncent également sans air, « tropicales » et étouffantes. À Perpignan, on attend jusqu’à 26 °C la nuit. Ce qui pourrait entraîner des risques majeurs pour la santé humaine.

À l’origine de ce phénomène : une bulle de chaleur. Des masses d’air torrides venues d’Afrique du Nord et de Mauritanie sont en train de remonter vers la France, aidées par une dépression météorologique au large du Portugal qui agit comme une pompe à chaleur et accélère le processus. L’air file vers le Nord comme dans un entonnoir. « Le déni de gravité n’est plus une option »

Cette vague inédite, si tôt dans la saison, alarme les spécialistes. L’exception devient peu à peu la norme. En 2019, une canicule avait déjà frappé la France, en juin, et battu des records absolus de température. Cette année, la canicule arrive deux semaines en avance par rapport à 2019. Pour le climatologue Christophe Cassou, « nous vivons un avant-goût de notre futur climatique ».

La situation actuelle doit être replacée dans un contexte plus général. Les sept dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. Tout s’accélère et s’intensifie. Nous avons connu autant de vagues de chaleurs entre 1960 et 2005 (en 45 ans) que de 2005 à 2020 (en 15 ans) : on compte 4 vagues de chaleur avant 1960, 4 entre 1960 et 1980, 9 entre 1980 et 2000, et enfin 26 depuis 2000. En ce début du XXIe siècle, les épisodes caniculaires sont devenus sensiblement plus nombreux que ceux de la période précédente.

« Il est extrêmement probable que l’influence humaine soit le principal facteur contribuant à cette augmentation, poursuit Christophe Cassou sur Twitter. Les observations confirment nos projections mois après mois. Le déni de gravité n’est plus une option. » Dans son dernier rapport, le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est formel sur le sujet. L’ampleur des extrêmes de température augmente plus fortement que la température moyenne mondiale. Et l’influence humaine favorise l’émergence de phénomènes d’ordinaire très rares et exceptionnels. La fréquence des canicules devrait doubler d’ici 2050

« L’évènement de juin 2019 aurait eu une probabilité infime de se produire en climat préindustriel, précise la climatologue Valérie Masson Delmotte sur Twitter. Chaque incrément de réchauffement supplémentaire va continuer à augmenter la fréquence et l’intensité des extrêmes chauds. » Des études ont été faites pour la ­période de juillet 2019. Elles ont montré que cette vague de chaleur était 600 fois plus probable que dans un ­climat non modifié par l’humain.

Ces événements viennent frapper de plein fouet la génération climat. Alors que les élèves de terminale s’apprêtent à passer leur épreuve de philosophie au baccalauréat, mercredi prochain, sous la torpeur, c’est cette même classe d’âge qui avait vu, en 2019, la date de leur brevet des collèges décalée à cause de la canicule. Selon une étude publiée par la revue Science en septembre 2021, les enfants nés en 2020 subiront 7 fois plus de vagues de chaleur, 2 fois plus de sécheresses et incendies de forêt, 3 fois plus d’inondations et mauvaises récoltes qu’une personne née en 1960.

Notre quotidien est bouleversé. En France, la fréquence des canicules devrait doubler d’ici à 2050. Selon Météo France, « en fin de siècle, les vagues de chaleur pourraient être non seulement bien plus fréquentes qu’aujourd’hui mais aussi beaucoup plus sévères et plus longues » et « se produire de mai à octobre ».

Toujours selon Météo France, depuis 2015, en six ans, nous avons 80 % de probabilité en plus d’avoir une canicule. Si rien n’est fait pour maîtriser les émissions de gaz à effet de serre, il y a trois chance sur quatre pour que le nombre annuel de jours de vague de chaleur passe de cinq à vingt-cinq jours en fin de siècle par rapport à la période 1976-2005. Des récoltes abîmées et des incendies en hausse

À court terme, la vague de chaleur qui s’abat sur la France pourrait déjà avoir de graves conséquences. Elle survient un mois seulement après une première vague en mai, déjà qualifiée « d’exceptionnelle ». Ces hausses de températures arrivent après un printemps particulièrement sec qui a provoqué sur une grande partie du pays une sécheresse des sols. Au 1er juin, l’indice d’humidité des sols atteignait une valeur habituellement rencontrée à la mi-juillet.

« La situation est très préoccupante », reconnaissent les prévisionnistes, et la canicule qui vient ne va rien arranger. De plus en plus de départements mettent en place des restrictions d’utilisation de l’eau. Au 12 juin, trente-cinq départements avaient pris des arrêtés en ce sens, selon le site officiel Propluvia, contre vingt-deux il y a dix jours.

La situation fait craindre le pire pour les prochaines récoltes. Cette année, l’agriculture française avait déjà subi le gel tardif, la sécheresse prolongée depuis janvier et un échaudage [2] en mai. La nouvelle vague de chaleur risque d’accélérer la maturité des cultures et d’en brûler une partie. Pour certaines espèces comme l’orge de printemps, le blé ou les petits pois, les chaleurs vont avoir des effets sur le remplissage du grain [3].

« Il faut réduire nos émissions de gaz a effet de serre de manière immédiate »

Avec le mercure qui grimpe, c’est aussi le risque d’incendie et de feux de forêt qui s’accroît. Si les températures atteignent 40 °C, l’indice d’inflammabilité des forêts serait « extrême » jusqu’en Alsace, selon le Système européen d’information sur les incendies. Les écosystèmes vont en pâtir.

Les climatologues somment les autorités à agir. « Les faits sont clairs, déclare Christophe Cassou. Ne pas être a la hauteur est aujourd’hui irresponsable. Il faut réduire nos émissions de gaz a effet de serre de manière immédiate, soutenue dans le temps et dans tous les secteurs. Pas dans trois ans, maintenant ! »

Le gouvernement n’a pas pour l’instant réagi ni communiqué sur cette vague de chaleur. Il y a une semaine, sur LCI, la ministre de Transition écologique, Amélie de Montchalin avait seulement invité les Français à « être sobres » et à « ne pas surutiliser leur climatiseur pour lutter contre le dérèglement climatique ».

Gaspard d’Allens (Reporterre)


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