À l’Éducation, Pap Ndiaye dans l’ombre de Blanquer

samedi 16 juillet 2022.
 

Brillant intellectuel, le nouveau ministre est entouré de conseillers qu’il n’a pas choisis. Signe qu’il ne dispose d’aucune marge de manœuvre Rue de Grenelle.

Dans son nouveau costume de ministre, il reste mutique. Pap Ndiaye semble être l’assistant du patron, immobile, planté derrière Emmanuel Macron. Car, ce jeudi 2 juin, c’est bien le Président qui déroule devant les micros et dans la cour de l’école Menpenti, située dans le dixième arrondissement de Marseille, sa vision de l’«  école du futur  ». Cette expérimentation grandeur nature vise à donner davantage de liberté à une cinquantaine d’établissements de la ville. Au fil de la journée, le ministre est resté coi. Au sein du gouvernement, le droit à la parole est rare. Pourtant, l’image était belle  : un intellectuel libre promu ministre. Un coup politique prometteur.

À l’opposé de son successeur, Jean-Michel Blanquer n’a presque connu que le ministère  : recteur de l’académie de Guyane puis de celle de Créteil, directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien, ministre de l’Éducation nationale sous Jacques Chirac, numéro deux de Luc Chatel en tant que directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), il est pressenti pour intégrer le possible gouvernement de François Fillon, alors grand favori de la présidentielle, avant d’être finalement propulsé ministre en 2017 lors de l’élection d’Emmanuel Macron (lire son portrait dans Politis n° 1692, du 10 février 2022). Une nomination activement soutenue par l’épouse du Président, Brigitte Macron, avec qui il partage des valeurs de la droite libérale sur le plan économique – lui-même est un fidèle de l’Institut Montaigne, think tank proche du CAC 40 – et conservatrice sur le plan sociétal.

Durant cinq ans, le juriste de formation n’a jamais cessé ses combats quasi obsessionnels contre l’«  islamo-gauchisme  » qui «  fait des ravages à l’université  », le «  wokisme  », ce «  nouvel obscurantisme  » qui «  vient saper la démocratie et la République  », ou le «  communautarisme  » à l’origine de la déscolarisation de très nombreux élèves…

L’un dénonce la «  vision woke  », l’autre défend les «  identités fines  ».

Normalien avant de devenir professeur d’histoire à Sciences Po, spécialiste des minorités et des discriminations raciales, Pap Ndiaye, quant à lui, a été nommé par le Président, en février 2021, à la tête du Palais de la Porte-Dorée, dans l’Est parisien, qui abrite le Musée national de l’histoire de l’immigration. Le nom du nouveau pensionnaire de la Rue de Grenelle a été soufflé par la conseillère culture d’Emmanuel Macron et aujourd’hui ministre du sujet, Rima Abdul-Malak. Il n’hésite pas à parler d’intersectionnalité, s’oppose à la suppression du terme «  race  » dans la Constitution, a largement contribué à l’introduction des black studies en France et participé au lancement d’un appel en 2009 pour réclamer la suppression du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale instauré sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Dans les années 1980, on relève même un bref passage dans les cercles trotskistes lambertistes via le groupuscule Convergences socialistes, fondé par Jean-Christophe Cambadélis.

Jean-Michel Blanquer a été remplacé par son presque contradicteur. Celui qui, le 19 février au micro de France Inter, pointait sans trembler «  le degré de méconnaissance dans le monde politique en général des recherches qui sont menées à l’université en sciences sociales et en sciences humaines  » et estimait qu’un «  vocabulaire d’extrême droite [s’était] développé et répandu bien au-delà de l’extrême droite, en partie validé par un monde plus central dans la vie politique  » sans arriver à nommer clairement le gouvernement. En janvier, le premier avait inauguré un colloque à la Sorbonne en prenant la défense de l’universalisme «  face à la montée des revendications identitaires  », opéré la distinction entre une «  vision woke  » de l’écologie et du féminisme opposée à sa «  vision républicaine  ». Dans un autre colloque à Arc-et-Senans, dans le Doubs, le 27 juin, le second a défendu «  ces identités fines qui semblent enrichir l’universel plutôt que le menacer  ». Une succession en miroir inversé.

«  Amateur  »

Il n’est «  ni un haut fonctionnaire, ni un homme politique, c’est un amateur, observe Claude Lelièvre, historien des politiques éducatives, qui décrit une situation exceptionnelle en listant les prédécesseurs du nouveau ministre. Il n’a même pas travaillé au sein du Conseil supérieur des programmes. Pap Ndiaye n’a pas été préparé à ce poste.  » Seul lien récent avec l’Élysée  ? Avoir été consulté par la cellule diplomatique du Président pour tracer une nouvelle politique africaine et avoir phosphoré sur le discours de panthéonisation de Joséphine Baker avec Jonathan Guémas, la plume d’Emmanuel Macron.

Il n’était pas dans la «  short list  », à l’inverse de Gabriel Attal ou de Julien Denormandie. Mais c’est bien son nom qu’Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Élysée, prononce sur le perron du palais présidentiel le vendredi 20 mai. Et le voici désormais travaillant dans le grand salon doré au rez-de-chaussée du ministère, attablé au bureau de Jean Zay, son lointain prédécesseur durant le Front populaire. Assis juste à côté de Gérald Darmanin lors du premier conseil des ministres de ce second quinquennat.

Une personne propulsée à la tête de l’un des ministères les plus exposés sans poids politique, «  ça n’a jamais existé dans l’histoire  », selon Claude Lelièvre. La voilà donc, cette rupture tant promise, ce coup de barre à gauche au sein d’un gouvernement qui triangule dangereusement avec les thèmes de l’extrême droite. Mais le nouveau ministre n’ayant qu’un réseau universitaire, son entourage a été rigoureusement pensé. Résultat, le ministère n’a pas vraiment changé.

L’ombre de Jean-Michel Blanquer traîne encore dans les couloirs. Lui est parti, mais ses plus proches sont restés à la direction d’un gigantesque paquebot sur lequel sont embarqués 900 000 enseignants.

par Lucas Sarafian

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