Sarkozy et le bouton de veste

vendredi 5 octobre 2007.
 

Du 1er mai au 31 août, Sarkozy est apparu 224 fois dans les journaux télévisés sur les seules six chaînes hertziennes. C’est plus du double de Chirac dans les quatre premiers mois de son mandat. De droite ou de gauche, les commentateurs habitués à mesurer la valeur des choses aux unités de « bruit médiatique » qu’elles totalisent sont fascinés. Le nouveau président, « hyperactif » et « hypermédiatique », est vraiment très fort... Mais le matraquage auquel se livre le président de la République ne traduit pas simplement sa personnalité ostentatoire. Il répond à une nécessité politique.

Sarkozy ne se contente pas de faire du bruit. Il déploie jour après jour et thème après thème un discours construit, qui doit autant au travail patient mené par les tâcherons de l’UMP depuis qu’il a pris la direction de ce parti qu’à son goût pour la mise en mots à destination du plus grand nombre.

Les premiers mois de la présidence Sarkozy se caractérisent en effet par une multitude de discours « fondateurs » qui visent à redéfinir les principales politiques de l’Etat. Dans son discours aux ambassadeurs, Sarkozy annonce que la politique étrangère sera entièrement réorganisée autour de quelques défis au premier rang desquels « le choc entre l’Islam et l’Occident ». Peu de temps après, Kouchner évoque une guerre avec l’Iran et le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN est à l’ordre du jour. La politique sociale fait l’objet d’un discours de Sarkozy le 18 septembre dernier. Au nom de la responsabilisation des salariés et des chômeurs, l’ensemble des fondements du droit social et de la protection sociale sont attaqués. Conséquences pratiques : la réforme du contrat de travail, la fin de la revalorisation automatique du SMIC, la remise à plat des minimas sociaux, de nouvelles sanctions contre les chômeurs... Dans le domaine de l’assurance-maladie, la proposition présidentielle des franchises signe un complet renversement des principes de solidarité qui fondent la Sécu. Désormais, les malades doivent payer pour les malades. De même, « Service public 2012 » dessine la fin du statut de la fonction publique au nom de la souplesse et de la réduction des coûts : non remplacement d’un départ en retraite sur deux, fin des concours, individualisation des rémunérations, statuts négociés de gré à gré... On pourrait allonger la liste. Sarkozy a aussi posé les bases d’une nouvelle politique culturelle (lettre de mission à Christine Albanel du 1er août) et d’une nouvelle politique universitaire et de recherche. Et il présentera prochainement le nouveau cadre de la politique environnementale en conclusion du Grenelle de l’environnement.

Une telle avalanche de discours fondateurs peut-elle avoir pour seul but de collectionner les images dans les journaux télévisés ? Sûrement pas. Il s’agit d’abord pour Sarkozy de continuer la bataille culturelle et idéologique menée pendant la campagne présidentielle. Il sait parfaitement que son arrivée au pouvoir est le fruit d’une guerre-éclair face au vide à gauche, que l’adhésion de l’opinion est fragile, que l’exaspération populaire reste forte. Il lui faut donc conforter la prise. Jour après jour, des dizaines de slogans, d’idées toutes faites, de remarques de prétendu bon sens sont dès lors déversées au service de son idéologie. Avec d’autant plus d’empressement qu’il veut mettre à profit ce lendemain de présidentielle où l’opposition est à terre.

Il s’agit aussi pour lui de préparer les élections prochaines. Pour ne pas perdre les municipales et cantonales de 2008, il doit éviter le vote sanction. Pour les gagner, il lui faut construire un vote d’adhésion. Au-delà des campagnes locales, il y a cette réalité nationale, d’autant plus forte que les dernières élections ont été marquées par une remobilisation et une repolitisation générales de l’électorat. Sarkozy pense donc que les élections de 2008 se joueront aussi dans la capacité de chaque camp à faire partager ses réponses à la crise du pays.

Enfin, l’hyperprésence de Sarkozy lui permet de redonner une cohérence à son camp. Après avoir pourri par la tête pendant l’ère Chirac, la droite doit désormais se reconstruire par la tête. Depuis De Gaulle, on sait que la nature présidentialiste du régime lui en fournit le moyen. Avec Sarkozy, la voilà dotée à la fois d’un porte parole et d’un chef qui donne le la sur tous les sujets. La parole présidentielle arbitre les désaccords, distribue les consignes, assure la promotion des dirigeants. Faute de cela, la force des milliers de militants UMP sur le terrain se perdrait dans le sable.

En multipliant les prises de parole, Sarkozy construit donc une force et cherche à la rendre durablement majoritaire. Nous militants de gauche avons raison de dénoncer cette hyperprésence qui bafoue la démocratie. N’oublions pas pour autant que notre première tâche est de lui répondre. Thème après thème, argument après argument, individu après individu. Comme on le disait autrefois, au « bouton de veste ».


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message