Intervention de Jean Luc Mélenchon au Sénat sur les tests ADN

vendredi 5 octobre 2007.
 

"Mes chers collègues,

Nous vivons un moment important. L’opinion suit avec attention nos débats. Elle va y trouver des arguments pour fonder son propre point de vue, car nombre de personnes n’ont pas une idée arrêtée sur le sujet dont nous débattons ce soir.

Pour ma part, au lieu de vous répéter des arguments politiques, qui ont déjà été avancés, je voudrais vous inviter à réfléchir à partir de l’argument que nous a exposé M. le ministre. Acceptons-le un instant. Il s’agit, selon M. le ministre, non pas d’empêcher les étrangers de venir en France mais de leur faciliter la vie. Les tests ADN seront proposés dans les cas où il est impossible d’établir la filiation.

Partons de ce postulat. Où est le problème ? Il n’y en a pas pour établir les filiations en droit positif, et cela a déjà été démontré dans cette enceinte.

Nombre d’entre vous, mes chers collègues, ont été troublés par le texte adopté à l’Assemblée nationale. Un amendement a donc été déposé ici tendant à rendre - disons les choses telles qu’elles sont - quasi inapplicable ou tout à fait secondaire la mesure proposée.

On peut se demander alors pourquoi le gouvernement s’obstine ainsi. D’autres ont apporté une réponse à cette question mais, pour ma part, je ne veux pas y répondre. Mon intention est de vous convaincre à partir non pas de ce qui nous sépare, mais de ce qui nous réunit, et dont nous avons parlé à plusieurs reprises : les valeurs républicaines.

Attardons-nous un instant sur ce point.

Si nous établissons, même d’une manière seconde, annexe, qu’il est légitime d’établir la filiation par la voie génétique, nous changeons profondément le système existant. D’aucuns nous disent que d’autres pays procèdent ainsi. Mais nous ne sommes pas obligés de les suivre. Dans notre pays, la filiation est déclarative. Que signifie ce principe ? Lorsque quelqu’un se présente et affirme que tel enfant est le sien, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut pas nier cette affirmation. Jusqu’à ce que l’on démontre le contraire, lorsqu’une femme revendique la filiation d’un enfant, ce dernier est reconnu comme étant le sien. Comment le savons-nous ? Eh bien, la démonstration inverse peut être faite. Ainsi, une femme peut affirmer que l’enfant qu’elle vient de mettre au monde n’est pas le sien : cela s’appelle « accoucher sous X ». En effet, dans notre tradition - c’est le résultat des Lumières -, le lien social est premier, alors que le lien biologique est second. Cette grande avancée de l’esprit humain est le résultat de longs siècles de tatonnements.

Certes, tous les autres peuples n’ont pas le même jugement que nous. Dans un autre domaine, mais tellement concomitant, dans certains pays, la nationalité est fixée par le droit du sang. Nous, Français, avons tendance à considérer cela comme barbare, même si, par correction, nous ne le disons pas. Pour notre part, depuis François 1er, nous pratiquons le droit du sol. De ce fait, en toute circonstance, les Républicains affirment que ce qui décrit le rapport entre les individus, c’est le lien social, le lien politique. C’est le fondement de la République. Certes, la mesure proposée ne correspond pas à ce que nombre d’entre vous ont craint, pour des raisons éminentes et patriotiques, y compris M. Pasqua, qui n’a pas la réputation de se laisser emporter par la sensiblerie. Il a évoqué a ce sujet de mauvais souvenirs. Mais, mes chers collègues, ne vous tenez pas pour rassurés simplement parce que la disposition adoptée a été transformée, d’une manière technique, en une mesure inapplicable. On pose un acte de principe et, pour ma part, c’est cet acte que je vous invite de toutes mes forces à repousser.

Chemin faisant, quelqu’un s’est dit : si la filiation est établie par la paternité, certaines découvertes risquent de troubler des familles. Un esprit simple a donc estimé qu’il serait plus aisé de procéder à des recherches génétiques sur les femmes.

Tout le monde a alors trouvé naturel que l’on établisse la filiation matrilinéaire. Un tel événement serait entériné, de fait. La primauté serait accordée d’une part au lien biologique et, d’autre part, au lien matrilinéaire. Croyez-vous qu’il s’agisse d’une décision seconde ? Pas du tout !

D’aucuns soutiennent : « monsieur Mélenchon, vous êtes un peu naïf et angélique ; vous oubliez que parmi une nombreuse fratrie, on peut "glisser" un enfant qui n’est pas celui des supposés parents. » Tout à l’heure, je vous ai fait remarquer, mes chers collègues, qu’il suffisait d’affirmer qu’un enfant est le sien pour que tel soit le cas.

Mais que l’on y réfléchisse : on reprocherait à ces personnes d’intégrer, du fait de leur culture, davantage d’enfants qu’ils n’en conçoivent. Pour notre part, n’avons-nous pas souvent plus de parents que l’état civil ne nous en a donnés ? N’avons-nous pas des familles recomposées ? Le Président de la République "trierait-il" entre ses propres enfants et ceux de son épouse ? Procéderais-je moi-même de la sorte ? Non, ils sont tous nos enfants. Ils disposent de deux pères, de deux mères, tout comme moi.

Mes chers collègues, n’en démordez pas.

Restez-en aux principes que nous avons en commun. Il ne s’agit d’humilier ni un gouvernement, ni un parlementaire ni de mettre en défaut une majorité. Il s’agit de plaider pour les valeurs auxquelles nous croyons et qui nous distinguent : nous sommes le peuple des Lumières et de la République.

( Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe Communiste Républicain et Citoyen)


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