Pour l’UE, le business avant le climat

samedi 23 juillet 2022.
 

Il est urgent d’agir pour limiter les conséquences du changement climatique et s’adapter aux conséquences irréversibles. C’est ce que ne cessent de répéter les scientifiques, notamment du GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat : chaque tonne de CO2 compte. Pourtant, force est de constater que l’action climatique européenne est défaillante.

Tout d’abord, le nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, fixé à -55% des émissions en 2030 par rapport au niveau de 1990 à l’échelle de l’Union européenne, est en deçà de ce qui est recommandé par le GIEC. Et pire encore, ces objectifs ne sont pas traduits dans les politiques sectorielles de l’Union européenne. Par exemple, la nouvelle Politique agricole commune (PAC) fait encore la part belle à une agriculture productiviste et destructrice de la biodiversité et des sols. Autre exemple de taille : l’UE signe de nouveaux accords de libre-échange, qui participent au grand déménagement du monde et à un dumping social et environnemental !

Bye bye Paris

Afin d’atteindre ses nouveaux objectifs, l’UE travaille sur une série de textes (14), appelé « paquet climat ». Le Parlement européen s’est déjà positionné sur 8 de ces 14 textes, et sa position servira de base dans les négociations avec le Conseil de l’UE où siègent les États membres. Les textes votés au Parlement européen ne sont donc pas les textes définitifs. Ceux qui ont déjà fait l’objet d’un vote portent surla création d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), la révision du marché carbone (ETS), la révision du marché carbone européen de l’aviation et l’adaptation technique au marché carbone international de l’aviation (CORSIA), le fonds social pour le climat, les normes des émissions de CO2 des voitures, la révision du règlement sur le partage de l’effort ou encore la révision du règlement sur l’utilisation des terres et la foresterie. D’une manière générale,ces textes ne sont pas assez ambitieux et ne permettront pas à l’UE de respecter les Accords de Paris.

Dans le détail, le texte portant sur les normes sur les émissions de CO2 des voitures a été adopté le 8 juin. Il comprend une mesure clé l’interdiction de la vente d’ici 2035 des voitures thermiques neuves (essence, diesel mais aussi les hybrides) alors qu’en France, la loi d’orientation des mobilités table sur 2040. L’adoption d’une telle mesure envoie un signal clair : l’industrie automobile doit bifurquer vers l’électromobilité. Une victoire contre les lobbys et la droite, qui ont tenté de s’y opposer qui impose néanmoins une urgente planification de la transition industrielle !

Le marché, horizon indépassable

Ce 8 juin, à la surprise générale, trois textes emblématiques du paquet climat n’ont en revanche pas été adoptés,à cause de deux amendements adoptés juste avant le vote par Renew Europe (dont fait partie LREM) et le Parti populaire européen (PPE) qui amoindrissaient la portée des textes. Ces amendements portaient sur l’objectif de réduction des émissions des industries concernées par le marché carbone, et sur la prolongation des quotas gratuits jusqu’en 2034 au lieu de 2030. Le texte sur la réforme du marché du carbone a donc été rejeté, ce qui a entrainé dans la foulée le rejet des textes sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et sur le Fonds social pour le climat. Finalement, après deux semaines de négociations, ces trois textes ont été adoptés le 22 juin, mais dans des versions insuffisamment ambitieuses.

Le texte concernant le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE-UE), plus connu sous son abréviation anglaise (ETS pour Emission Trading Scheme) a pour but de réformer ce système, afin que l’UE puisse respecter les nouveaux objectifs. Le marché carbone européen est le marché carbone actuellement le plus important au monde : il concerne 40% des émissions de gaz à effet de serre de l’UE et couvre 11 000 sites industriels. Le but de ce marché carbone est de d’inciter les acteurs industriels à décarboner leur mode de production, en fixant un prix au carbone et un plafond d’émissions avec une réduction de ce plafond dans le temps.

Après l’échec de son adoption le 8 juin 2022, le texte sur le SEQE-UE a été amendé à la baisse en particulier sur la sortie des allocations gratuites de quota. Tout d’abord, les allocations gratuites pour toutes les entreprises européennes exportant vers les États tiers sont maintenues de manière permanente. Ensuite, la sortie des allocations gratuites sera repoussée en cas de défaillance du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), mécanisme qui doit permettre d’assurer la compétitivité des industries européennes. Il s’agit donc de deux reculs notoires, sachant que la sortie des allocations gratuites ne commencera que d’ici fin 2032 pour les secteurs couverts par le MACF, et pour 2036 pour les autres.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) fonctionne de pair avec le marché carbone. Le but de ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières est de compenser les différences de tarification du carbone entre l’UE et le reste du monde. Son but est d’éviter les « fuites carbone », la délocalisation de nos émissions et l’exportation de nos pollutions vers des pays où les règles sont moins contraignantes. Pour le moment, ces « fuites carbone » sont censées être limitées par des allocations gratuites de droit à polluer. Ces allocations gratuites sont toutefois problématiques car elles tirent les prix du carbone à la baisse et n’incitent pas les entreprises européennes à décarboner leur activité. La mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières doit permettre de mettre fin aux allocations gratuites de quotas carbone.

Ces deux textes clés du paquet climat s’inscrivent dans des mécanismes de marché, ce qui revient à monnayer des droits à polluer : l’appât du gain par revente aux entreprises les moins vertueuses de quotas de pollution non utilisés est ainsi le principal « outil » de la transition espérée. Un échec patent depuis des années. A contrario, la France insoumise plaide pour la mise en œuvre d’un véritable protectionnisme écologique : normes contraignantes et notamment une taxe anti-dumping écologique y compris kilométrique pour favoriser la production en Europe.

Par ailleurs, le marché carbone s’est révélé structurellement inefficace, comme en témoigne la trop faible baisse des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur industriel. Le prix du carbone est trop faible pour des diverses raisons : le plafond d’émissions est systématiquement plus élevé que le niveau réel d’émissions, la réduction du plafond d’émissions est trop faible et des quotas d’émissions sont alloués gratuitement.

Enfin, l’absence de prix plancher du carbone dans le marché carbone ne permet pas à ces mécanismes de fonctionner puisque le prix du carbone demeure insuffisant pour être écologiquement efficace (et permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre) et économiquement protecteur face à la concurrence chinoise (là où il faudrait des interdictions de produits trop carbonés). En somme, l’UE fait le choix de poursuivre dans une voie en échec pour éviter de devoir rompre avec le sacro-saint marché.

C.L.


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