Non Emmanuel Macron, il n’y a pas deux Pétain mais un seul, et il est frappé d’indignité nationale

jeudi 28 juillet 2022.
 

Personne ne pensait, en 2022, avoir à revenir sur le rôle du maréchal Pétain dans l’Histoire de notre pays. Mais à en croire certains macronistes, dont le chef de l’État lui-même, il y aurait eu deux Pétain : le « Grand soldat » de 1916, et le collaborateur de 1940-44.

Ceux qui se font les chantres de la nuance découpent ainsi le personnage du maréchal de manière binaire, entre son « bon » et son « mauvais » côté.

C’est oublier la complexité de l’Histoire. Pour comprendre un fait ou un personnage historique, il faut pouvoir le saisir dans son ensemble. Pas le couper en deux selon ce qui nous arrange. Retracer le parcours politique de Philippe Pétain, antisémite et traitre à la patrie, semble nécessaire. Voire indispensable à l’heure où l’Assemblée nationale compte 89 députés d’un parti d’extrême-droite fondé par des nazis, et où une alliance capital-fasciste entre LREM & RN se confirme jour après jour. Notre article.

Antidreyfusard, gaz moutarde pendant la guerre du Rif

Philippe Pétain est issu d’un milieu et d’une période favorables au développement des idées qu’il mettra en application en 1940 : la France de la fin du XIXème siècle. Il grandit dans un milieu très conservateur, catholique, marqué par la perte de l’Alsace-Moselle face à la Prusse en 1870. Il est vite poussé vers des études militaires. Il est, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, relativement discret sur ses positions politiques. Il se bâtit ainsi une image d’officier, certes conservateur, mais républicain, dénonçant même le racisme nazi dans les années 1930. Mais des fissures se creusent dans cette image lisse.

Pendant l’affaire Dreyfus, où l’armée accuse à tort un capitaine d’espionnage parce que juif, Pétain est l’homme de confiance du général Zurlingen. Ce dernier a essayé d’empêcher toute réhabilitation du capitaine Dreyfus. Interrogé plusieurs années plus tard à ce sujet, Pétain évoque une « entente parfaite » entre lui et Zurlingen. De même, Pétain refuse publiquement de serrer la main au général André, ministre de la Guerre, parce que dreyfusard. S’il ne s’en vante pas publiquement, Pétain est et demeure donc antidreyfusard et antisémite, bien avant l’Occupation lors de la Seconde Guerre mondiale.

Une autre preuve de sa brutalité se trouve dans un épisode peu connu en France : la guerre du Rif. La France rejoint ce conflit colonial entre Espagnols et Marocains aux côtés de l’Espagne de 1925 à 1927. Pétain prend la tête des troupes françaises avec le général espagnol Franco, qui deviendra en 1936 dictateur de l’Espagne. Au Maroc, Pétain n’hésite pas à gazer les populations locales au gaz moutarde, refusant même tous pourparlers de paix avec les rebelles.

Quant au « grand soldat », « sauveur de Verdun », son image a été très déformée pour coller à cet idéal, pendant et après la Première Guerre mondiale. D’abord pour des intrigues politiques pour écarter le général Joffre du commandement des armées françaises, puis par Pétain et ses proches pour entretenir la « légende » du général seul sauveur de la bataille de Verdun en 1916. Mais qu’en est-il réellement ?

Les partisans de Pétain occultent en premier lieu le rôle bien plus important du général Nivelle, mais surtout celui des poilus, dont 163 000 ont perdu la vie côté français à Verdun. De la même manière, s’il jouit d’un grand prestige dans l’armée, il est contrebalancé par les exécutions pour l’exemple dont il est à l’origine. C’est aussi pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918) que Pétain critique de plus en plus le pouvoir civil (en opposition au pouvoir militaire) et la démocratie parlementaire.

L’irréparable trahison de Pétain

Tout cela permet de comprendre l’idéologie du Régime de Vichy (1940-44) que dirige Pétain. Il faut rappeler les bases : le régime de Vichy est une dictature ethno-nationaliste, réactionnaire, raciste et antisémite. Voici donc le genre d’homme auquel Macron et ses partisans rendent hommage. Pétain devient un dictateur à partir du 10 juillet 1940, lorsque les deux chambres parlementaires lui votent les pleins pouvoirs.

Pétain avait alors une bonne image dans l’opinion et dans la classe politique. Celle d’un héros de guerre fait Maréchal de France en 1918, mais aussi d’une sorte de grand-père des Français, à déjà 84 ans. Une figure rassurante capable de tenir la barre même quand le pays est occupé. Ce paternalisme traverse tout le régime de Vichy, ce qui traduit une idéologie de la soumission.

Soumission à l’Eglise, à l’armée, au maréchal… L’idéologie du régime se trouve résumée dans les 16 « Principes de la Communauté », retour en arrière avant la déclaration des droits de l’Homme de 1789. Cette idéologie s’appelle « Révolution Nationale », « révolution » dans le sens copernicien, de « retour à une situation antérieure », une France idéalisée, paysanne, catholique, où le bon Français se soumet aux valeurs du Travail, de la Famille et de la Patrie (la devise du régime).

Cette politique réactionnaire se traduit concrètement par les 4 000 condamnations à mort prononcées contre les femmes ayant avorté et celles les ayant aidées à le faire. Il s’agit donc de « regénérer la Nation », en remettant les valeurs de la « France Eternelle » à la place que le régime de Vichy estime juste, mais aussi en mettant à l’écart les « mauvais Français » et les étrangers.

Là est l’aspect le plus connu de ce régime : la collaboration avec l’occupant nazi. Celle-ci est officialisée dès le 30 octobre 1940, mais le gouvernement de Pétain promulgue dès le 3 octobre une première loi stigmatisant Juifs et francs-maçons, les recensant et les fichant. Un deuxième pallier dans cette collaboration est franchi en 1941 avec la deuxième loi concernant le statut des Juifs, leur interdisant de nombreux métiers.

Pétain a personnellement insisté pour les exclure de la magistrature et de l’enseignement. L’historien Laurent Joly perçoit cela comme un « caprice du prince » : « ce n’est pas un calcul, c’est idéologique ». Sincèrement antisémite donc. L’horreur culmine enfin les 16 et 17 juillet 1942. Ces jours-là, à Paris et sur demande des autorités allemandes, plus de 5 000 policiers français arrêtent, rassemblent au Vélodrome d’Hiver et déportent 13000 Juifs, femmes et enfants. 25 reviendront des camps de la mort.

« Un passé qui ne passe pas »

Après la Libération en 1944, vient le temps des procès de collaborateurs, Pétain le premier. Et il semble que les jurés et juges de 1945 se soient montrés plus intransigeants contre l’ancien dictateur antisémite que certains « libéraux » aujourd’hui. Qu’importe l’image du vainqueur en 1916, le jugement rendu retire à Pétain sa dignité de maréchal, le frappe d’indignité nationale. Exit donc le « grand soldat », quoiqu’en dise Macron.

Dire que ce même Président voulait, en 2018, fleurir la tombe de Pétain. Une chose inédite depuis Mitterrand (il s’est heureusement ravisé). La postérité de Pétain sert aussi de matrice à l’extrême-droite de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui. Réduite au silence à la Libération à cause de la collaboration, la droite réactionnaire réémerge après la guerre d’Algérie. Elle s’attèle à réhabiliter l’image de Pétain, représentant d’une « certaine idée de la France ».

Elle brandit alors le mythe du « glaive et du bouclier ». Selon eux, De Gaulle aurait continué la lutte hors de la France pendant l’occupation. De son côté, Pétain aurait protégé les Français, se sacrifiant en restant en France occupée. Les deux hommes seraient implicitement associés. Le but de la manœuvre est d’unir les courants de l’extrême-droite d’une part, chose faite en 1972 avec le Front National, mais aussi de rallier une partie de la droite « traditionnelle », gaulliste.

Selon l’historien F. Bouthillon, il existe des passerelles entre pétainisme et gaullisme. Les deux parlent d’une « France Eternelle », qui certes n’est pas la même. Mais la différence fondamentale entre les deux est que l’un ne s’est pas couché devant Hitler. L’autre l’a fait. Cette tentative d’ « union des droites » se comprend mieux quand on voit ses artisans : Isorni, avocat de Pétain en 1945, et les fondateurs du Front National, comme les anciens Waffen-SS Pierre Bousquet ou Léon Gaultier

Ce rappel est aujourd’hui nécessaire. D’autant plus que lorsque les macronistes n’assument pas l’hommage rendu à Pétain par Macron. Pour avoir rappelé cela, la députée insoumise Mathilde Panot s’est pris un violent torrent de boue le week-end dernier. C’est avec un œil surpris, voire inquiet que l’on voit les réactions virulentes à ce rappel. D’autant plus inquiet, mais de moins en moins surpris quand on voit que les attaques viennent des partisans du président comme des parlementaires du Rassemblement National.

Poussés au bout de leurs attaques les plus abjectes, les détracteurs de Mathilde Panot en viennent à la taxer… d’antisémitisme. Tout en révélant leur rapport très ambigu avec Pétain. Un comble. Les digues cèdent une à une, déchaînant l’extrême-droite dans le paysage politique et médiatique, rejointe par le bloc bourgeois dans sa détestation de la gauche. Mais que peut-on attendre du RN, après tout. C’est à leur père spirituel que l’on s’attaque. Celui-là même qui avait, en 1936, résumé sa vision politique en deux mots : « Rassemblement National ».

Par Alexis Poyard.


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