Au Royaume-Uni, le spectre d’une grève générale pour dire non à l’inflation

jeudi 1er septembre 2022.
 

Le Royaume-Uni connaît depuis jeudi une nouvelle salve de débrayages massifs dans les transports, la poste ou encore les ports. Un mouvement de grève commencé cet été qui prend de l’envergure et coagule autour d’un problème central : le pouvoir d’achat des Britanniques, qui veulent des augmentations de salaires.

"Allons-nous vers une grève générale ?", titrait la BBC le 28 juillet. Si le Royaume-Uni ne semble pas encore avoir atteint ce stade, les grèves se multiplient pourtant dans plusieurs secteurs outre-Manche depuis le début de l’été contre une inflation galopante.

Derniers en date, les salariés du port de Felixstowe – plus grand port de fret dans l’est de l’Angleterre, qui traite près de quatre millions de conteneurs par an – ont entamé, dimanche 21 août, une grève de huit jours pour demander de meilleurs salaires face à une inflation record. Grutiers, opérateurs de machines, dockers… Quelque 1 900 membres du puissant syndicat britannique Unite ont cessé le travail pour demander des revalorisations salariales. Une première depuis plus de trente ans, la dernière grève remontant à 1989, à la fin des années Thatcher.

Et ils ne sont pas les seuls : les services postaux, les éboueurs, les avocats, les employés de l’opérateur télécom BT ou encore les manutentionnaires d’Amazon ont aussi débrayé ou prévoient de le faire bientôt. Les employés du rail perturbent, quant à eux, le fonctionnement des transports britanniques (dont le métro londonien) depuis le 18 août. Il s’agit d’ores et déjà du plus gros mouvement de grève du rail – là aussi depuis 1989. Il pourrait "se poursuivre indéfiniment", a prévenu le secrétaire général du syndicat RMT, Mick Lynch, les débrayages des cheminots se poursuivant par épisodes depuis juin pour réclamer une hausse de salaires adaptée à l’augmentation du coût de la vie.

"C’est un été très chaud sur le plan social", explique notre correspondante au Royaume-Uni, Bénédicte Paviot. "Les grèves existantes dans plusieurs secteurs vont sans doute augmenter, c’est le sentiment qui prévaut ici."

"Ce qui est historique dans ce mouvement, ce sont les secteurs en grève", note pour sa part auprès de FranceInfo Marc Lenormand, maître de conférences à l’université Paul Valéry en études anglophones et civilisation britannique, spécialiste des mouvements sociaux britanniques. "Ce qui est particulier aujourd’hui, c’est de voir des secteurs privés, parfois industriels, en grève, ce qui n’a pas été le cas selon les secteurs depuis vingt, trente, voire quarante ans."

Contexte économique et détermination des grévistes

La perte de pouvoir d’achat pour les Britanniques est un ciment de la contestation sociale actuelle : les salaires ne suivent pas, en effet, le cours de l’inflation au Royaume-Uni – qui a atteint 10,1 % sur un an en juillet, contre 6,1 % en France. Et les prévisions économiques ne s’annoncent pas meilleures : la Banque d’Angleterre s’attend à une inflation revue à la hausse, à 13,3 % en octobre, et prédit qu’elle va rester à des niveaux élevés en 2023.

Selon le secrétaire général du syndicat RMT, "les travailleurs britanniques sont fondamentalement sous-payés". Et Mick Lynch d’ajouter que le mouvement "ne sera pas brisé" et pourrait au contraire s’étendre à "chaque secteur de l’économie" dans les prochaines semaines.

Face à l’augmentation du prix des aliments, des vêtements ou encore de l’énergie – une augmentation de 82 % de la facture d’électricité est attendue pour octobre prochain –, les hausses de salaires proposées pour le moment secteur par secteur ne satisfont pas les salariés grévistes.

Les responsables du port de Felixstowe se sont dits "déçus que Unite n’ait pas accepté notre offre d’annuler la grève" après avoir proposé une hausse de salaire de 8 % en moyenne – et proche de 10 % pour les salariés les moins bien payés. Les négociations pour le secteur du rail sont, quant à elle, dans l’impasse.

Seule certitude : les grévistes semblent déterminés, alors qu’initier un mouvement social aujourd’hui au Royaume-Uni relève du parcours d’obstacles. C’est un héritage des années Thatcher, quand la Première ministre britannique (1979-1990) – surnommée la "Dame de fer" en raison de sa résistance à plusieurs mouvements sociaux – a fait modifier le droit de grève.

"(Elle) a fait adopter une loi pour que cela soit particulièrement difficile de faire grève et, loin d’avoir été supprimée depuis, cette loi a été renforcée par le gouvernement actuel", selon Sarah Pickard, maîtresse de conférences en civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne Nouvelle, interrogée par 20 Minutes. La spécialiste explique que les grèves spontanées sont complètement interdites outre-Manche, et qu’il faut déposer un préavis de vote, puis organiser un vote des syndicats tout en "sachant que la voix des absents est considérée comme un vote contre."

Liz Truss dans les pas de Margaret Thatcher

Malgré ces obstacles législatifs, plusieurs secteurs britanniques ont massivement participé au vote d’une grève. "Ce qui est tout à fait remarquable, c’est qu’effectivement dans ces consultations, il y a des taux de participation très forts, souvent de plus de 80 %", note encore Marc Lenormand sur FranceInfo.

Face à cette situation sociale inflammable, le gouvernement britannique – secoué par une crise politique qui a fait chuter Boris Johnson – tarde à apporter des réponses. Dans le secteur du rail, l’actuel ministre des Transports, Grant Shapps, est pointé du doigt par les organisations syndicales, accusé de ne pas donner de mandat suffisant aux entreprises pour négocier.

Autre motif de colère sociale : l’exécutif vient de modifier la loi afin de permettre le recours à des intérimaires pour remplacer les grévistes si nécessaire.

Enfin, les deux successeurs potentiels de Boris Johnson à Downing Street – Liz Truss et Rishi Sunak – ne semblent pas vouloir d’un dialogue social. L’ex-chancelier de l’Échiquier est plutôt en faveur d’interdire les grèves pour les services publics essentiels.

La favorite au poste de Premier ministre a, quant à elle, déclaré dans un tweet, le 19 août, qu’elle "ne laissera pas" le Royaume-Uni "être rançonné par des syndicalistes militants" si elle devient Première ministre. Elle a aussi promis qu’elle réprimerait plus durement les grèves en cours, s’inscrivant dans les pas d’une certaine Margaret Thatcher.


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