Napoléon Bonaparte « républicain » : le mythe politique des droites radicales

jeudi 1er septembre 2022.
 

Depuis plus de deux siècles, droite radicale et extrême droite s’autorisent à qualifier Napoléon Bonaparte de républicain. Pareille falsification historique nécessite une mise au point scientifique.

Depuis quelques jours, une polémique se serait engagée entre la gauche républicaine (soit l’ensemble des composantes de la nupes) et l’extrême droite autour du « républicanisme » de Napoléon Bonaparte. Une partie des médias s’en fait l’écho et interroge, voire affirme, le républicanisme de Napoléon Bonaparte !

Première mise au point nécessaire. Il ne saurait s’agir d’une polémique, autrement d’un débat vif, du moins si je n’en tiens à la science historique. À l’exception de quelques thuriféraires de droite radicale et d’extrême droite, de quelques doxosophes qui innocentent bien volontiers celui qui a pris le pouvoir par un coup de force, rétablit l’esclavage, ou encore inscrit l’infériorité des catégories sociales économiquement dominées et des femmes dans le marbre (Articles 213 et suiv. et 1781 du Code civil), qui ose qualifier Napoléon Bonaparte de républicain ? Comment expliquer une telle confusion ?

Les faits sont pourtant objectivables. Napoléon Bonaparte prend le pouvoir par suite d’un coup d’État, les 18 et 19 brumaire an VIII. Pour ce faire, il s’appuie sur la bourgeoisie libérale et conservatrice, désireuse de rompre le compromis constitutionnel républicain : c’est la naissance de la droite radicale (qui s’est souvent alliée à l’extrême droite aux XIXeet XXesiècles). Dès l’abord, nombre de doxosophes, d’idéologues tentent de justifier le coup de force en l’objectivant, en somme en effaçant l’arbitraire et la violence de l’évènement. Depuis plus de deux siècles, droite radicale et extrême droite reproduisent ce discours à l’envi. Ils sont particulièrement perméables aux sentiments des partisans acharnés de la cause bonapartiste qui, hier comme aujourd’hui, qualifient Napoléon Bonaparte de « républicain » ! À leur point de vue, les évènements brumairiens aboutiraient à l’avènement de l’ère méritocratique, où les capacités légitiment la prééminence sociale. Contrairement à la seconde révolution, celle du 10 août 1792, celle des « basses classes du peuple alliées aux démagogues », le coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII se serait fait sans recours excessif à la violence. Voilà l’origine de la confusion … qui semble autoriser aujourd’hui à interroger le « républicanisme » de Napoléon Bonaparte !

Depuis plus de deux siècles, phraséologie, pratique discursive et idéologies sont identiques. C’est la résolution de contenir les convulsions des « classes dangereuses » soutenues par les « démagogues » qui aurait décidé du choix opéré en 1799. Le retour à l’ordre autoriserait l’emploi arbitraire de la force. Les événements des 9 et 10 novembre 1799 doivent pérenniser l’accession au pouvoir des élites conservatrices. C’est à l’instauration d’un « État fort et d’un pouvoir concentré »[1] qu’aspire cette bourgeoisie qui soutient Napoléon Bonaparte. Le contrôle des troubles populaires et la neutralisation des opposants politiques en dépendent.Reprenant les arguments des modérés, principal soutien à Napoléon Bonaparte en 1799, les idéologues donnent au coup d’État une couleur pacifique et légale. Il s’agirait d’un moindre mal face aux dérives néfastes de la Révolution française[2], autrement d’un régime démocratique qui arrête la souveraineté populaire comme fondement d’une République "une et indivisible". Ils adoptent donc les schèmes de pensée des bonapartistes qu’ils transmuent en instrument d’analyse du processus révolutionnaire. L’élite bourgeoise et conservatrice regarde la révolution non violente comme son fait. Son modérantisme, son talent et son désintéressement seuls l’ont permise. Elle fut l’abord et doit redevenir conforme à l’esprit qui les anime, à leur être même. Ce dernier influence leur conception du processus révolutionnaire. « On est dans le monde comme on le voit », écrit Hegel au détour d’un paragraphe de La Raison dans l’Histoire[3]. Et les doxosophes fondent leurs démonstrations sur les attendus de ceux dont ils prétendent expliquer les agissements. Pour eux, les événements brumairiens aboutiraient à l’avènement de l’ère méritocratique, où les capacités légitiment la prééminence sociale. Contrairement à la Seconde Révolution (10 août 1792), celle des « basses classes du peuple alliées aux démagogues », la révolution des 18 et 19 brumaire an VIII s’est faite sans recours excessif à la violence. Les tenants des droites radicales se montrent particulièrement perméables aux sentiments des hommes d’ordre, partisans acharnés de la cause bonapartiste, comme le contemporain du coup de force brumairien, Vincent Lombard de Langres (1765-1830) qui affirme :

que l’on se représente la convention nationale, armée d’un pouvoir tel qu’il n’en a jamais, nulle part, existé un pareil, et l’employant, jusqu’au 9 thermidor, à tout détruire, pour établir partout l’égalité, c’est-à-dire celle du néant et de la mort ; ne parlant de la propriété que pour en dépouiller le propriétaire ; de la richesse, que pour en vouer le possesseur à la proscription et à l’échafaud ; de l’industrie et du commerce, que pour signaler l’un et l’autre comme une conspiration permanente de la partie laborieuse du peuple contre la sentine fainéante et vagabonde qui partout en est la lie ; de la liberté que pour exciter la licence effrénée de quelques hommes perdus d’excès, contre la sûreté individuelle de tous les citoyens[4].

À la suite de Lombard de Langres, les thuriféraires bonapartistes contemporains estiment que, loin d’être arbitraire, l’usage de la violence est justifié par les nécessités particulières de l’hiver 1799 : la République démocratique. Ils interprètent le coup de force brumairien comme l’épisode naturel par lequel les représentants de la droite radicale et de l’extrême droite occupent enfin la position prééminente que leurs mérites auraient dû leur assurer dès les premiers temps de la Révolution. Ce faisant, droite radicale et extrême droite révèlent la relation de complicité ontologique qu’ils entretiennent, inconsciemment, avec cette vision de l’histoire. Ils partagent les présupposés idéologiques de ceux dont ils sont les héritiers politiques. Ainsi s’explique cette confusion entretenue depuis plus de deux siècles par les doxosophes de la droite radicale et de l’extrême droite qui semblent, aujourd’hui comme hier, les autoriser à qualifier Napoléon Bonaparte de républicain !

Soulef Bergounioux Historienne

NOTES

[1]Thierry LENTZ, Rœderer. 1754-1835, Metz, Éditions Serpenoise, 1989.

[2]Un autre exemple récent : Patrice GUENIFFEY, La politique de la Terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1794, Paris, Fayard, 2000.

[3]Georg W.F. HEGEL, La Raison dans l’Histoire, Paris, Pocket, 2012 (1èreédition, 1965).

[4]Vincent LOMBARD DE LANGRES, Le Dix-huit brumaire, ou Tableau des événements qui ont amené cette journée, des moyens secrets par lesquels elle a été préparée ; des faits qui l’ont accompagné, et des résultats qu’elle doit avoir, Paris, Garnery Librairie, an VIII de la République (1799).


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