Quel avenir pour la NUPES ? 4 « La Nupes restera d’autant plus vulnérable qu’elle se réduira à une alliance électorale entre des partis politiques soumis à une logique concurrentielle »

samedi 10 septembre 2022.
 

par BILIA Boris, COULOMBEL Alain, FERRI Léa, FLACHER David, GEORGE Susan, GUENNEAU Denis , KHALFA Pierre, LE LANN Yann, MASSIAH Gustave, VIEU Marie-Pierre

Quel avenir pour la NUPES ? 1 Manuel Bompard « Une force d’alternative prête à gouverner demain »

Quel avenir pour la NUPES ? 2

Quel avenir pour la NUPES ? 3 Créer et consolider partout des comités NUPES

La création de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) constitue un événement politique majeur, et ce, de deux points de vue. D’une part, elle s’est constituée sur la base d’une rupture claire avec le néolibéralisme et le productivisme, écartant ce qui a été une des causes de l’échec de la gauche, en particulier lors du quinquennat de François Hollande, dont la politique a fini par apparaître largement au service du capitalisme financier.

Certes des divergences, certaines sérieuses, existent entre les différentes forces politiques constitutives de la Nupes. Cela est normal, mais un défi à l’avenir sera de savoir comment construire les débats et les décisions sur ces sujets.

Un espoir qui avait largement disparu

D’autre part, élément décisif, ce cadre unitaire qui se veut pérenne a rendu crédible, donc possible, une alternative démocratique, sociale et écologique recréant ainsi un espoir qui avait largement disparu.

Tout est loin d’être cependant réglé. Une partie importante des classes populaires, employés et ouvriers, victimes des politiques néolibérales, continue de s’abstenir ou d’être attirée par le Rassemblement national (RN) dont la progression se confirme. S’il n’y a aucune fatalité à cette situation, encore faut-il en analyser les raisons.

Le vote RN est certes lié aux difficultés sociales et à un sentiment bien réel d’abandon. Cependant, ce qui rend difficile le fait de détacher les électrices et électeurs du RN, c’est le fait que les questions sociales sont vues à travers le prisme du ressentiment envers celles et ceux qui, dans l’échelle sociale, sont vécus comme en dessous d’eux : les bénéficiaires des minima sociaux traités « d’assistés » ou les immigrés, ressentiment qui peut tourner à la xénophobie et au racisme surdéterminant des affects puissants comme la peur, où les passions mises en œuvre renvoient surtout à la haine de l’autre.

Il ne s’agit pas là d’un simple affect superficiel qui pourrait être facilement éradiqué en se contentant d’avancer des exigences sociales plus ambitieuses que celles du RN ou en luttant seulement contre l’abandon dont elles sont victimes, même si évidemment cela est primordial.

Du ressentiment à l’espérance

Gagner des électrices et des électeurs aujourd’hui acquis à l’extrême droite suppose d’abord de rester ferme dans le combat et l’argumentation contre le racisme et la xénophobie. Toute concession sur ce terrain ne peut que les renforcer dans leurs convictions et crédibiliser encore plus les formations politiques qui en ont fait leur doctrine.

Cela suppose aussi d’être capable de transformer leur ressentiment, à la racine du racisme et de la xénophobie, en une espérance qui permet de se projeter dans l’avenir. C’est donc dans la construction d’un nouvel imaginaire émancipateur porteur d’égalité, de justice et de solidarité, intégrant les impératifs écologiques et féministes, que réside la solution.

La formation d’un tel imaginaire ne peut être qu’une création inédite, le produit de luttes sociales, de victoires, même partielles, d’espoirs qui petit à petit prennent le dessus sur le ressentiment dessinant ainsi l’horizon d’une société à advenir, tâche d’autant plus difficile que la crise écologique nous oblige à inventer un avenir différent.

Cela passe d’ores et déjà dans le fait de reconstruire une sociabilité commune par un patient travail militant et de solidarité quotidienne qui soit capable d’articuler le social et l’écologie et qui ne peut se résumer aux dynamiques électorales.

Forces centrifuges

C’est dire qu’il s’agit d’un travail qui ne peut donner des résultats que dans la durée. Ce travail a cependant une dimension proprement politique. Il ne peut avoir d’impact que s’il existe clairement une alternative politique, d’où l’importance de la Nupes et de sa pérennisation.

Or cette dernière est fragile. Elle reste encore largement une alliance électorale au sommet même si des formes d’organisation au niveau local commencent à se mettre en place. Elle est étroitement dépendante du travail parlementaire et de ses aléas. Enfin, elle est soumise à des forces centrifuges liées au caractère même de sa constitution et des rapports de force en son sein.

Comment dépasser ces limites ? La Nupes restera d’autant plus vulnérable qu’elle se réduira à une alliance électorale entre des partis politiques soumis à une logique concurrentielle qui n’a pas disparu. Elargir la Nupes à des forces non partidaires – associations de défense des droits, d’éducation populaire et/ou de lutte, féministes, fondations, centres de réflexion et même organisations syndicales – pour en faire un front politico-social est une des conditions pour que cette alternative politique s’enracine dans la société et ne contente pas d’être simplement présente sur le terrain de l’affrontement parlementaire.

Non seulement un tel élargissement engagerait une dynamique politique qui conforterait sa crédibilité, mais, en permettant de sortir du face-à-face entre les partis politiques, ce serait aussi un moyen d’en relativiser les éventuelles dissensions qui pourraient voir le jour. Il pourrait être aussi source d’élargissement des thèmes portés par la Nupes.

Méfiance justifiée

Il ne faut pas se cacher les difficultés d’une telle perspective. Elle remet en cause un partage des tâches entre partis politiques et forces du mouvement social. Elle doit vaincre la réticence de ces dernières à s’engager dans une approche qui vise à lier les enjeux électoraux et les mobilisations sociales, réticence paradoxale alors même que toutes leurs actions se situent sur un terrain politique.

Elle doit vaincre surtout leur méfiance – justifiée – par rapport aux tentatives régulières d’instrumentalisation et d’hégémonie dont elles sont l’objet de la part des partis politiques. Elle implique donc aussi de la part de ces derniers le fait de respecter l’histoire et le fonctionnement de chacun mais aussi accepter d’avoir des partenaires traités à égalité dans un cadre où les décisions doivent être prises en commun.

La participation à la Nupes n’entraînerait en rien une perte d’indépendance d’aucun des mouvements qui s’y engageraient, car la Nupes n’est pas un parti politique unifié mais un cadre unitaire dans lequel chacune des forces engagées garde sa liberté de parole et d’intervention.

Dans une situation marquée par une coupure entre les partis politiques et les forces du mouvement social, il s’agit de saisir l’opportunité historique d’inventer de nouveaux rapports entre eux, nouvelle phase permise par la création d’un cadre unitaire pérenne entre les partis politiques. C’est une occasion qui ne se représentera pas et qu’il faut savoir saisir.

Les signataires : Boris Bilia (Intérêt général), Alain Coulombel (Fondation de l’écologie politique), Léa Ferri (Intérêt général), David Flacher (Mouvement Utopia), Susan George (présidente d’honneur d’Attac), Denis Guenneau (Archipel de l’écologie et des solidarités), Pierre Khalfa (Fondation Copernic), Yann Le Lann (Espace Marx), Gus Massiah (Centre socialiste de documentation et d’études sur les problèmes du tiers-monde/Cedetim-Initiatives pour un autre monde/Ipam), Marie-Pierre Vieu (Fondation Copernic).

Collectif

• Le Monde. 25 août 2022 :


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