« Quand on apprend aux électeurs RN que Le Pen a voté contre la hausse du SMIC… » – Récit des Caravanes populaires qui ont sillonné le pays cet été

mercredi 7 septembre 2022.
 

Cet été, pendant que certains avaient le chance de partir en vacances, une poignée d’irréductibles insoumis a sillonné le pays. Les Caravanes populaires sont allés à la rencontre des Français. Quartiers populaires, zone rurales, partout les témoignages sont les mêmes : la pauvreté fracasse le pays. Des témoignages parfois durs à encaisser. Des témoignages qui donnent la rage de repartir au combat pour arracher, enfin, le partage de la richesse produite dans la 6ème puissance mondiale. L’insoumission a rencontré Leïla Ivorra et Clarence MacDougall qui ont réalisé tous deux les 20 étapes de ces Caravanes à travers la France. Un récit concret pour mesurer le pouls du pays.

Entretien croisé.

Leïla Ivorra et Clarence MacDougall, respectivement 27 et 24 ans, ont sillonné le pays cet été. Du jeudi 11 au samedi 20 août, ils ont réalisé plus de 20 étapes à travers le pays. La première a traversé l’Est, le deuxième l’Ouest (retrouvez la carte du trajet des caravanes ici). L’insoumission est allée à leur rencontre. Entretien.

Leïla et Clarence, pouvez-vous nous livrer votre ressenti global après ces caravanes à travers le pays ?

Leïla Ivorra : Lors de ces caravanes, on a pris beaucoup plus le temps de parler aux gens (par rapport aux caravanes pendant la campagne présidentielle, NDLR). Les gens se demandaient pourquoi on était là, alors qu’il n’y avait pas d’échéance électorale derrière. Quand on arrive comme ça, en plein été, dans les quartiers populaires, il ne reste que ceux qui n’ont pu partir en vacances. Ces caravanes ont été très sociales. On est allé vider des syphons, changer des lampes, parler, plein d’actions sociales.

« Les gens se demandaient pourquoi on était là, alors qu’il n’y avait pas d’échéance électorale derrière »

On a rencontré beaucoup de mères seules et d’enfants en bas âges, ainsi que beaucoup de personnes âgées avec de trop petites retraites pour pouvoir partir en vacances. Et on a eu de très bon retours politiques de la plupart des gens, car quand on vient les voir en dehors de la période électorale avec une thématique, celle du pouvoir d’achat, de la lutte contre la vie chère, forcément ça parle.

Clarence MacDougall : oui on a eu des discussions beaucoup plus posées ! Les gens étaient mêmes parfois un peu stressés au départ en pensant qu’il y avait une échéance électorale qu’ils auraient oubliés. On a eau beaucoup plus le temps. Avec l’inflation, la perte de pouvoir d’achat, tout le monde la ressent. Les gens la ressente dans leurs chairs, concrètement, sur les prix de produits première nécessité comme les pâtes, en devant souvent se priver. Les témoignages sont durs à encaisser en tant que militant.

Pouvez-vous nous raconter ces témoignages qui vous ont marqué ?

Leïla Ivorra : des témoignages très durs à encaisser psychologiquement. On a fait beaucoup d’étapes avec des députés insoumis, expliquant aux gens comment le député peut les aider. Un député peut faire l’intermédiaire par rapport au bailleur par exemple en cas de loyers impayés, il a un droit de regard sur la situation dans les écoles, pas un pouvoir décisionnaire mais un pouvoir de défense. « Quand tu vois l’état de la France dans certains de ses quartiers, pas besoin d’aller faire de l’humanitaire au Vietnam »

Clarence MacDougall : certains témoignages ont été vraiment dur à encaisser. Je me rappelle d’un retraité lors de l’étape de Tarascon-sur-Ariège (commune rurale de 6 000 habitants, en Ariège, NDLR) qui se pose avec nous, juste après le porte-à-porte, et qui sort une feuille A4. Il écrit le montant de sa retraite, 1 360 euros. Puis il écrit tous les prélèvements, loyer, assurance pour sa voiture, gaz, électricité… Il lui reste 60 euros à la fin pour vivre. Sans compter la nourriture. Et il nous dit : « à la fin ça va être une révolution si ça continue ».

À 67 ans, il nous dit qu’il peut toujours bosser au black mais que d’autres sont plus dans la merde que lui. C’est la conscience populaire qu’il y a toujours pire que soi. C’est fou, c’est toujours ceux qui ont le moins qui te donnent le plus. La générosité, ça m’a marqué. Tu peux aller faire de l’humanitaire au Vietnam si tu veux, mais quand tu vois les gens ici l’été dans la chaleur de fou, des fois sans eau ni électricité…

Le deuxième témoignage qui m’a marqué, c’est celui d’Abdel, garagiste, la cinquantaine, habitant de la cité des Aubiers à Bordeaux. On était déjà passé dans son immeuble au moment de la campagne présidentielle. Il était super content de nous revoir. Il nous a raconté que durant la campagne, sur le palier, dans l’ascenseur, tout le monde faisait que discuter entre voisins, tout le monde était à fond avec nous dans l’immeuble. C’était notre enjeu avec les 4 000 correspondants d’immeuble : discuter, faire le relais militant, continuer le travail de bouche à oreille.

Leïla Ivorra : ce qui m’a particulièrement touché, c’est les inscriptions à l’ASPA (l’Allocation de solidarité aux personnes âgées, NDLR). Ça concerne les retraités gagnant moins de 916 euros quand ils sont seuls, 1 400 euros quand tu es un couple de retraités. C’est une aide de 200 euros !

« J’ai rencontré une maman seule qui rationne tout, sauf le lait en poudre. Dès qu’elle touche sa paye, elle a 400 euros de découvert »

Je me rappelle d’une maman seule que j’ai rencontré à Saint-Etienne. Elle m’a dit qu’elle avait voté Macron en 2017. Elle m’a dit qu’elle rationnait le papier toilette. Le seul produit qu’elle ne rationne pas aujourd’hui, c’est le lait en poudre. Si tu enlèves le lait, elle rationne, tout. Elle a une sorte de « pèse » pour ne pas dépasser les 100 grammes par jour de nourriture pour elle. Dès qu’elle touche sa paye, elle a 400 euros de découvert.

Voilà le quotidien d’une mère seule, qui est aide à la personne, qui travaille tous les jours. Elle accumule des retards de loyer. Elle m’a dit : « la seule raison de ne pas m’être mis une balle, c’est que dans l’islam, c’est interdit de se suicider ». Elle a 3 enfants, elle n’est même pas sûre que les services sociaux puissent s’occuper mieux de ses enfants qu’elle.

Et pourquoi elle est seule ? Car elle a fait une procédure contre son ex mari, pour violence conjugale. Elle a obtenu une mesure d’éloignement et il devrait verser une pension pour les enfants, mais il ne la verse pas. Elle a mis 2 ans pour trouver une crèche. Avec l’augmentation de l’essence, elle perd 50 à 100 euros chaque trimestre. Pendant 1 an et demie elle est partie au travail avec son bébé, elle ne pouvait pas le faire garder.

Mon deuxième témoignage se déroule dans le quartier de la canardière à Strasbourg. J’étais avec le député Emmanuel Fernandez (député insoumis de la 2ème circonscription du Bas-Rhin, NDLR) et on croise une personne seule avec un chariot. On lui parle, elle ne s’arrête pas. On continue, et elle finit par s’arrêter. Elle laisse tomber son chariot. Elle nous dit « je suis fatiguée, je suis fatiguée ». Puis, elle ouvre sa veste, et elle nous montre : elle a pleins d’électrodes collées. Elle nous raconte. Elle est sortie de l’Hôpital, elle est toute seule.

Elle se sent isolée en plein été, pas d’argent, rien du tout, complètement déboussolée. Au point de ne pas retrouver son appartement. On finit par trouver sa carte d’identité, on la raccompagne. Elle nous raconte. Le Covid, horrible. Plus aucun repère, elle avait l’impression d’avoir perdu la tête. 86 ans, enfermée des mois durant, toute seule. Personne ne vient la voir. Quand les pompiers sont venus la chercher, ça a été une délivrance. Elle aurait presque préféré rester à l’Hôpital avec des gens.

Cette personne a besoin de ce lien social qu’on a essayé d’apporter avec ces caravanes. On a vidé son siphon, changé sa lampe, fait sa vaisselle. Ces caravanes ont vraiment été très différentes des précédentes, celles de la présidentielle et des législatives. Sans échéance électorale, les gens ont eu plus de facilité à demander de l’aide immédiate, c’est physique, c’est tout de suite.

Clarence MacDougall : et on a constaté les mêmes problématiques, les mêmes urgences, dans les quartiers populaires et dans les zones rurales. Que ce soit à Tarascon-sur-Ariège, très rural, 6 000 habitants, ou à Villefranche-de-Rouergue, 10 000 habitants, que dans les quartiers populaires de Bordeaux ou Toulouse.

« Avec les caravanes populaires, on a constaté les mêmes urgences dans les quartiers populaires et dans les zones rurales »

Et beaucoup de nouveaux députés sont venus avec nous sur les différentes étapes de ces caravanes, sans oublier la quinzaine à la trentaine de camarades, tous les militants et sympathisants locaux sur chaque étape, sans qui, rien n’aurait été possible. Eux aussi sortent de 22 mois de campagnes. Particulièrement à Camille Noury, Simon Veissiere et Tim Blanloeil pour la caravane de l’Ouest, et à Livia Jampy, Gabriel Rupert et Bruno Mazel pour la caravane de l’Est.

Pouvez-vous nous raconter votre plus beau souvenir, votre souvenir le plus fort de ces caravanes ?

Leïla Ivorra : à Metz, dans le quartier Le Sablon, sur un terrain de pétanque, on a rencontré des gens qui votent Marine Le Pen. 40, 50, 60 ans, des chauffeurs routiers, des retraités, des ouvriers en usine, un ancien employé de La Poste qui a perdu son emploi quand elle a fermé. On est sur un ancien bastion ouvrier. On lance la discussion.

On leur dit que le Rassemblement national (RN) a voté contre l’augmentation du SMIC. L’intégralité des gens présents autour du terrain de pétanque ne nous croient pas. On a été obligé de sortir nos téléphones, d’aller chercher les votes à l’Assemblée nationale, et de leur montrer les votes du RN et de Marine Le Pen. Et là, il se passe un truc : « mais nous on a voté pour eux pour le pouvoir d’achat, on n’a pas de quoi payer 4 jours à la mer à nos enfants et ces bâtards ils nous font ça ? ». Nous on est là, pas d’échéance électorale, on est là les insoumis pour vous raconter ce qu’il se passe à l’Assemblée.

On a parlé de tous pleins de problèmes sociaux. Et à aucun moment le racisme et l’immigration n’est venu dans la discussion. On a fini par rester. Alors qu’il y avait Leïla, Shéhérazade et Livia, il n’y avait aucune animosité. Jamais je n’ai vécu un échange politique avec moins d’animosité que ce moment là. Avec nos opposants politiques majeurs, le Rassemblement national ! On était heureux. On a fait la partie de pétanque avec eux. Je tiens à dire que la lyonnaise c’est beaucoup plus compliqué les règles (rire). On rêve de moments politiques comme ça. Je pense que c’est mon plus beau moment en tant que militante politique.

« Quand les électeurs RN ont appris que Marine Le Pen a voté contre la hausse du SMIC (…) Alors qu’il y avait Leïla, Shéhérazade et Livia, à aucun moment ils nous ont parlé d’immigration »

Clarence MacDougall : mon plus beau souvenir, c’est le garagiste qui me raconte que tout son immeuble, tous ses voisins, parlent tous politique sur le palier, et qu’ils sont tous avec nous !

Et votre pire souvenir ?

Leïla Ivorra : à Grenoble, la mairie a voté contre les expulsions, mais la préfecture, Macron, a annulé la décision et a fait vider des bâtiments, jetant 200 familles avec enfants à la rue. Le Droit Au Logement (DAL) s’est pointé avec 150 personnes à l’arrêt de la caravane. J’ai pleuré, puis je me suis dit : « il va falloir que je porte mes ovaires, je suis toute seule ». On a donné des matelas, tout ce qu’il nous restait comme nourriture dans le camion comme c’était la dernière étape.

Clarence MacDougall : pas de pire souvenir, même si les témoignages ont été un peu durs, que les gens c’est dur ce qu’ils vivent, ce qu’ils traversent, la campagne présidentielle a suscitée énormément d’espoir, l’accueil est toujours super, les gens sont contents de nous voir !

Alors, après ces 20 étapes, après avoir sillonné la France, quel est la température, le pouls du pays ?

Leïla Ivorra : la pauvreté, constante. Pas une situation passagère non, pas le « il faut rebondir » de Macron, mais un état tellement constant, que sortir de la pauvreté c’est le rêve, c’est le but. Nous notre rêve peut-être qu’il est un peu plus intellectuel. Pour les Français, c’est payer le loyer, manger, la fierté de ne pas avoir de dette. Mais on les empêche d’avoir cette fierté avec leurs discours politiques culpabilisants. Résultat, 50% des retraités ne demandent pas l’ASPA. Alors que ça fait 200 euros en plus ! On écrase les gens mentalement, on écrase leur vie, on écrase leur fierté.

« Sortir de la pauvreté c’est le rêve, c’est le but. On écrase les gens mentalement, on écrase leur vie, on écrase leur fierté »

Je me rappelle avoir toqué une porte, une femme m’ouvre avec son bébé. Elle me dit : « j’ai tellement honte, je préfère ne pas manger et acheter mon maquillage pour pas qu’on me voit comme une pauvre ». Et ça, je l’avais déjà vu quand je faisais mon mémoire sur l’hébergement d’urgence (Leïla Ivorra est démographe, NDLR) entre BNF et Crimée, j’avais déjà rencontré des femmes sans-abris qui me disaient la même chose, elles préfèrent pouvoir avoir un petit sourire avec un peu de fond de teint parfois que de manger.

Clarence MacDougall : pouvoir d’achat, pouvoir d’achat, pouvoir d’achat. Beaucoup la retraite aussi.

Dernière question : comment les gens se sont autant confiés à vous, comment avez-vous réussi à nouer ces relations de confiance à chaque étape de votre tour de France ?

Leïla Ivorra : grâce au mot magique : Mélenchon. C’est vraiment le mot magique pour la relation de confiance. Quand on dit Mélenchon, les gens ouvrent. Jean-Luc Mélenchon c’est une figure presque paternelle, familiale. Le mot magique.

Propos recueillis par Pierre Joigneaux, pour l’insoumission.fr


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